Anne Vanderdonckt
Peut-on être vieux et homo?
Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.
C’est un sujet rare et ambitieux qu’aborde Julia Marina Free. La photographe et réalisatrice prépare à la fois une série documentaire et des podcast sur les couples lesbiens de plus de 65 ans, Gay&Grey. Homosexuelles et grises. Comment ces femmes ont-elles vécu leur homosexualité à une époque où celle-ci n’était pas acceptée ? Comment ont-elles réussi à inscrire leur couple dans la durée ? Il y aura bien sûr autant de récits de vie et de chemins qu’il y a d’individus. Ce sera passionnant d’entendre ces histoires individuelles qui s’inscrivent dans l’histoire d’une société et doivent être sauvegardées.
Mais bon, même si l’homophobie est loin d’être morte, être homo, est-ce aujourd’hui encore un sujet ? Les médias regorgent de personnes qui s’affirment comme homosexuelles ; les rues de filles se tenant par la main ; dans les films, les filles s’embrassent ; les stars s’affichent en couple gay… Le problème, c’est qu’on part du présupposé que tout ceci est l’apanage des jeunes. Mais quid lorsque le couple vieillit ? Tout le monde n’est pas St Laurent et Pierre Bergé...
On a affaire ici à un groupe invisible. Qui, lorsqu’il s’installe en maison de repos cache son identité sexuelle, par peur de ne pas être accepté, voire d’être harcelé. Même ceux et celles qui ont milité toute leur vie. S’enquérir d’une chambre double, au même titre que le font les couples hétéros ? Faut oser. Bien entendu, certaines institutions se montrent plus ouvertes que d’autres, même si on y part aussi généralement du principe que tout le monde est hétéro. Quand un homme s’inscrit, on lui demande si sa femme vit toujours, alors qu’il serait tout aussi simple de parler de partenaire.
Le bien vieillir doit être un droit inconditionnel pour tous
Ce qu’il faudrait, c’est que le personnel soit formé à accueillir chacun. Et aussi que les maisons de repos se penchent sérieusement, et là cela concerne tout le monde, sur la notion d’intimité dans un univers où les portes n’ont pas de clé et où les intrusions des équipes sont incessantes, y compris la nuit. Les résidents ne sont pas asexués en raison de leur âge et ils ont aussi le besoin fondamental de disposer d’un endroit où ils peuvent se retirer en paix. A l’heure où l’importante génération du baby boom a vieilli, il est amplement temps de se pencher sans tabou et sans oeillères sur ces questions. Qui ne sont pas neuves. Le bien vieillir doit être un droit inconditionnel pour tous.
Je suis tombée par hasard sur Netflix sur un documentaire américain tourné entre 2013 et 2018, intitulé Secret love, et qui illustre bien tout cela. Durant soixante ans, Terry et Pat, Canadiennes immigrées aux Etats-Unis, ont caché leur relation. Plus de soixante ans de mensonges, à se dire amies, cousines, colocataires, avant de faire leur outing… qui, au final, n’a pas suscité de vagues.
Le documentaire commence alors qu’elles visitent une maison de repos. Moment difficile, car si la dépendance ne laisse plus le choix, l’inquiétude est là. De retour au Canada où elles obtiennent une chambre double dans un établissement accueillant. Et cette fois, il n’est plus question de « cousines en colocation ». Elles sont ce qu’elles sont. Leur famille, leurs amis seront présents pour la célébration, enfin !, de leur mariage. Emotion.
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