L’histoire discrète du Mont des Arts
Souvent considéré comme « moche », le Mont des Arts de Bruxelles est bien plus intéressant qu’il n’y paraît, pour peu qu’on se penche sur les traces de son histoire.
Des plaques commémoratives, il y en a un peu partout à Bruxelles. Celle-ci, pourtant, a quelque chose de cocasse: « Le Mont des Arts, conçu par Léopold II, mis en oeuvre sous Léopold III, édifié sous Baudouin, est dédié à la mémoire d’Albert Ier. » Difficile de faire plus tarabiscoté, comme dédicace. « Elle est pourtant tout à fait exacte, sourit Aude Musin, guide pour l’Association Bruxelles Bavard (voir ci-dessous). Il a fallu pas moins de quatre règnes pour que le Mont des Arts, entre les premières esquisses et son inauguration finale, voie le jour. »
Tout ça pour ça, aurait-on envie d’écrire: avec son architecture classicisante, typique de la fin des années 1930, le Mont des Arts fait aujourd’hui partie des lieux emblématiques mais mal-aimés de Bruxelles. Considéré au pire comme moche, au mieux comme sans trop d’intérêt, il est avant tout un lieu de passage, auquel on ne jette plus qu’un regard distrait. Tout au plus s’accorde-t-on sur le très beau point de vue qu’il offre sur la ville basse de Bruxelles, depuis ses plus hautes terrasses. Se limiter à ce panorama serait pourtant réducteur: nous sommes ici dans une partie très ancienne de la ville. De cette longue histoire, il reste ça et là quelques traces à redécouvrir... mais parfois bien cachées.
La Montagne de la Cour
Et pour cause! Le relief en terrasses qui caractérise l’actuel Mont des Arts n’a plus grand-chose à voir avec la colline escarpée qui se tenait là autrefois. « Pendant des siècles, cette pente a été le trait d’union entre le palais du Coudenberg, le centre du pouvoir, et le coeur de Bruxelles, explique la guide. Ce lien entre ville et puissants va avoir une grande influence sur l’évolution des lieux. »
A l’époque médiévale, on y trouve d’abord le quartier juif: les israélites s’y installent avant tout pour se mettre sous la protection directe des seigneurs, face aux persécutions fréquentes dont ils font les frais. Le versant est alors parcouru par quatre « escaliers des juifs », forts abrupts, dont il ne reste qu’un tronçon menant aux abords du Parc royal. Mais cette population quitte la ville au XIVe siècle, après un énième massacre – on l’accuse d’avoir poignardé des hosties .
Le quartier change alors de physionomie et devient progressivement ce qu’on appelle la « Montagne de la Cour »: on y trouve certes une zone populeuse et densément peuplée en contrebas, le quartier Saint-Roch, mais aussi de luxueux hôtels particuliers, voire de véritables palais, construits par des courtisans désireux de se rapprocher au maximum du souverain. Une époque de fastes dont l’hôtel Ravenstein, demeure cossue de la fin du Moyen Âge, est plus ou moins l’unique rescapé. Si sa petite porte cochère est ouverte, n’hésitez pas à pénétrer dans sa cour intérieure, qui mérite le coup d’oeil! Et c’est tout? Pas tout à fait... Plus loin, il demeure encore quelques traces du Palais de Nassau, à l’époque loué pour sa splendeur et détruit dans les années 1960. Plus précisément, sa chapelle gothique du XVIe siècle a miraculeusement été préservée. Mais pour celui qui l’ignore, elle est aujourd’hui presque invisible, intégrée à la Bibliothèque royale et au récent KBR Museum.
La destruction du reste du palais paraît aujourd’hui peu compréhensible, d’autant plus qu’après l’incendie du Coudenberg, en 1731, il devient la résidence officielle des gouverneurs des Pays-Bas autrichiens. Charles de Lorraine y fait ajouter des ailes dans les années 1760, dont il ne subsiste que les appartements d’été, joliment baroques. Ce sont eux qui, étonnamment, vont donner sa fonction actuelle au mont des Arts. Durant la période française (1792-1815), le bâtiment est racheté pour y installer l’ancienne bibliothèque des Ducs de Bourgogne et un premier musée d’art, auquel les Hollandais rajoutent un Palais de l’Industrie nationale en 1825. Le tout est récupéré par le jeune Etat belge dans les années 1830: il constitue la première bibliothèque nationale et le noyau du patrimoine belge, autour duquel vont se constituer les collections du pays. Rapidement, la place manque, malgré l’adjonction d’une troisième aile en 1879. Un agrandissement s’avère nécessaire...
So British!
À la Belle Époque, l’actuelle rue Montagne de la Cour, est emplie de boutiques de luxe. Parmi les rescapées de ce temps, impossible de manquer l’ancien magasin Old England, devenu Musée des Instruments de Musiques (MIM). Le bâtiment Art nouveau doit son origine aux nombreux touristes anglais qui séjournaient dans le quartier avant de partir faire une visite du champ de bataille de Waterloo. Quelques maisons plus loin se trouve l’ancienne pharmacie Delacre: fin du XIXe siècle, on y vendait du chocolat en tant que fortifiant... Avec un tel succès que l’entreprise finira par se transformer en célèbre fournisseur de douceurs!
Le centre de tous les arts
Léopold II est le premier à lancer l’idée de la création d’une colline entièrement dédiée aux arts. « L’idée était de faire un pendant artistique aux hauteurs sur lesquelles se trouvaient les symboles judiciaire – le Palais de Justice – et religieux – la Basilique de Koekelberg », précise Aude Musin. Sans le savoir, le souverain initie une polémique qui ne prendra fin que dans les années 1960... Au début, tout se passe bien: au sommet, un Palais des Beaux-Arts (l’actuel Musée Oldmasters), dessiné par Alphonse Balat, est terminé dès 1890. Les esquisses du reste du projet sont dans le même ton: grandiloquentes, néo-classiques, bref, léopoldiennes! Mais elles provoquent une levée de bouclier chez les partisans d’un ensemble qui ne ferait pas table rase du passé du quartier...
Résultat des courses: aucun projet définitif n’est encore avalisé lorsque le quartier Saint-Roch, qualifié d’insalubre, est presque entièrement détruit en 1897. Pendant plus de dix ans, la zone reste un chancre urbain, qu’il faut transformer dare-dare en jardins à l’approche de l’Exposition universelle de 1910. Une solution charmante et « provisoire »... qui va rester en place jusque dans les années 1954-55 et auxquels beaucoup de Bruxellois vont s’attacher.
Finalement, c’est la mort d’Albert Ier, en 1934, qui donne corps à un projet pour le Mont des Arts: celui d’une bibliothèque-mémorial dédiée au souverain. Las, la Seconde Guerre mondiale met un nouveau coup d’arrêt au projet... qui n’a pas l’air près de redémarrer. La création de la jonction Nord-Midi a traumatisé bon nombre de Bruxellois et les autorités renâclent à lancer un nouveau chantier pharaonique. C’est encore une fois une exposition universelle, celle de 1958, qui va relancer les travaux. On décide d’adjoindre à la bibliothèque un palais des Congrès et un parking souterrain, recouvert par un jardin sur dalles. Le style est massif, cubique et, pour beaucoup, pas très joyeux. Les jardins Belle-Époque et le Palais de Nassau sont effacés à coups de bulldozer.
Dommage? Sans doute. Mais on vous le promet: même en étant pas fan du style, il y a toujours de l’intérêt à parcourir les lieux, à les observer attentivement. Tout au plus faut-il parfois oser pousser quelques portes. Comme celles de la Bibliothèque royale, par exemple: saviez-vous qu’à son sommet, se cache une cafétéria panoramique carrément vintage et accessible à tous, au-dessus duquel se trouve un rooftop ouvert à la belle saison?
Découvrir le Mont des Arts: L’asbl Bruxelles Bavard organise régulièrement des visites du Monts des Arts pour individuels, ou des visites sur mesure pour les groupes et entreprises. Plus d’infos: www.bruxellesbavard.be ou 0485 70 71 06
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