La Journée de la Femme à Paris en 2018 : les violences sexuelles n'épargnent potentiellement personne. © GETTY IMAGES

Les violences sexuelles n’ont pas d’âge

Julie Luong

Longtemps taboues, minimisées voire niées, les violences sexuelles sont aujourd’hui en passe d’être reconnues comme un fléau social mais aussi comme un problème de santé publique.

En 2016, la Belgique a ratifié le Traité d’Istanbul, relatif aux violences domestiques et aux violences faites aux femmes. Sur proposition de la secrétaire d’État Zuhal Demir, trois centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) ont été mis en place dans la foulée, respectivement au sein de l’hôpital Universitaire de Gand, du CHU Saint-Pierre de Bruxelles et du CHU de Liège. Ils assurent une prise en charge psychologique et médicale de la victime, tout en lui permettant, si elle le souhaite, de porter plainte auprès d’un agent de police qui se déplace jusqu’à elle.

L’objectif ? Faciliter le cheminement des victimes qui, jusqu’à présent, se trouvaient ballottées d’un service à l’autre, avec le risque de se décourager en cours de route.  » Le but est de mettre la victime dans un cocon au sein du centre et de lui permettre d’effectuer des démarches complètes et correctes, avec une probabilité élevée d’arriver à une judiciarisiation et à une condamnation des auteurs « , précise Virginie Baÿ, infimière chef de service au CPVS de Liège.

Un an après son lancement, ce projet pilote démontre par les chiffres qu’il correspond à un réel besoin puisque le nombre de victimes accueillies avoisine le double de l’objectif initial, avec quelque 200 personnes prises en charge dans le seul CPVS de Liège.  » Condamner les auteurs est non seulement un objectif du point de vue judiciaire mais aussi médical. On sait en effet que l’espoir d’une condamnation fait partie du processus de guérison de la victime « , poursuit Virginie Baÿ.

Pour avoir une chance de récolter des preuves ADN fiables, les prélèvements sur la victime doivent être réalisés dans un délai de 72 h.  » La majorité des personnes – environ 75 % – que nous accueillons choisissent de porter plainte avec l’avantage qu’elles peuvent ne pas le faire directement. Les prélèvements sont effectués à titre conservatoire, ce qui leur laisse ensuite la possibilité ou non de porter plainte, tout de suite ou plus tard. « 

N’importe qui n’importe quand

Un an après l’affaire Harvey Weinstein et la déferlante #mee-too, l’expérience de terrain rappelle aussi que les violences sexuelles sont loin – très loin – de toucher seulement les jeunes et jolies femmes. Malheureusement, ce fléau fait fi de l’âge, du physique et de la classe sociale.  » Il n’y pas deux histoires semblables... Les violences sexuelles ne touchent pas seulement des jeunes filles habillées sexy, agressées dans le cadre de soirées festives qui dérapent. Cela existe mais c’est loin de représenter la majorité des cas ! Le constat est plutôt que cela peut arriver à n’importe qui, n’importe où, n’importe quand « , analyse Virginie Baÿ.

La progressive libération de la parole à laquelle nous assistons amène par ailleurs certaines femmes à se rendre compte qu’elles ont peut-être été victimes elles aussi de violences sexuelles... sans vraiment avoir pu mettre demots dessus.  » Pour la génération des 50-60 ans, il y a aussi la grande question du consentement. Il y a des femmes qui se rendent compte aujourd’hui que fondamentalement, elles ont eu des rapports sexuels qui n’étaient pas tout à fait consenti. La difficulté pour ces femmes, c’est de relire leur propre histoire en se disant :  » oui, quand je suis allée à ce festival, que j’avais bu deux ou trois verres et que ce garçon m’a emmenée dans sa tente, peut-être que je ne voulais pas vraiment, peut-être qu’il m’a un peu forcée... « , explique Mireille Monville, psychothérapeute au Département de psychologie traumatique et victimologie de l’ULiège.

En outre, toutes les études montrent que la majorité des violences sexuelles sont commises au sein même du milieu familial, mettant à mal une valeur centrale de cette génération.  » Cette réalité explique aussi pourquoi beaucoup de victimes ont préféré se taire pour préserver leur famille. Beaucoup éprouvent aussi ce sentiment de honte qui les empêche de parler « , ajoute la spécialiste.

Les chiffres qui font mal

  • En Belgique, plus d’1 femme sur 3 a subi des violences physiques et/ou sexuelles.
  • En Belgique, plus d’1 femme sur 4 a subi des violences physiques et/ou sexuelles de la part de son partenaire ou ex-partenaire.
  • Plus de 8 plaintes pour viol sont enregistrées chaque jour en Belgique.
  • Ces plaintes ne représenteraient qu’ un dixième des viols réellement commis.
  • 9% des femmes et 3% des hommes ont été victimes d’attouchements ou d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans.
  • 6% des femmes et 1% des hommes ont été victimes de contacts ou de rapports sexuels forcés après l’âge de 18 ans.

Des conséquences sur la santé

Longtemps sous-estimées, les violences sexuelles sont en réalité à l’origine de nombreux troubles de santé mentale (anxiété, dépression, troubles du sommeil...) mais aussi de plaintes somatiques diverses.  » Lorsqu’il n’y a pas de prise en charge possible, les souffrances se cristallisent dans le psychisme et dans le corps des personnes pendant de nombreuses années. Dans la clinique où je pratique, on reçoit des personnes qui, vingt ans plus tard, viennent consulter pour des faits d’abus sexuels dans l’enfance ou un viol dans la jeunesse. Pendant tout ce temps, ces personnes ont souffert sans pouvoir toujours faire le lien entre leurs problèmes corporels, leurs problèmes de liens avec les hommes, à l’image qu’elles avaient d’elles-mêmes et ce viol qu’elles avaient un peu occulté. Mais finalement, elles étaient plus dans la survie que dans la vie.... Les mécanismes de défense de l’humain sont très puissants : tout en étant adaptés, ils lui infligent de grandes souffrances. « 

 » En médecine générale, les violences sexuelles doivent aujourd’hui être considérées comme une cause plausible de certaines plaintes « , confirme le Docteur Pierre Litt, médecin généraliste.  » Il faut cependant que la victime soit prête à parler. Chez les personnes plus âgées, les choses se révèlent souvent sur des entretiens plus longs. Il faut laisser la porte ouverte au dialogue mais on ne peut pas la devancer, au risque de causer un nouveau traumatisme. «  Le médecin attire aussi l’attention sur le fait que les violences sexuelles peuvent aussi toucher la personne âgée, voire très âgée, ce qui constitue un énorme tabou.  » Les personnes avec une déficience mentale ou un trouble neurologique, tel qu’il peut parfois toucher les personnes âgées, sont particulièrement vulnérables « , précise-t-il.

Un impact sur la mémoire

De même, des données permettent aujourd’hui de penser que les violences sexuelles pourraient causer ou aggraver certains cas de démences.  » Ce qu’on sait c’est que ce genre de psychotraumatismes engendrent des problématiques cognitives, notamment en ce qui concerne le fonctionnement de la mémoire. Il est donc possible de faire une lecture psychotraumatique de la démence « , confirme Mireille Monville.

En tant que proche d’une personne dont on pense qu’elle a été victime de violences sexuelles, il est donc important de laisser la porte ouverte à la parole. Sans pour autant imposer cette lecture de la problématique : d’abord parce que des doutes subsistent souvent, mais aussi parce que la parole n’est libératrice que lorsque la personne est prête à parler.

 » Une dame très âgée m’a un jour consultée parce qu’elle avait subi un viol pendant l’exode, à l’époque de la guerre. C’est en voyant un reportage à la télévision sur les réfugiés confrontés à cette problématique qu’elle y a repensé... et qu’elle a décidé de consulter. » Jamais trop tard donc. Car heureusement et enfin : les temps changent...

Qu’est-ce que la violence sexuelle ?

Selon les Nations Unies, la violence à caractère sexuel se définit comme toute forme de violence, physique ou psychologique, infligée par des moyens sexuels ou dans un but sexuel. Cela peut inclure :

  • Tout acte sexuel non désiré, incluant des caresses ou des attouchements.
  • Tout acte qui suppose l’utilisation de la victime pour la satisfaction sexuelle de l’agresseur.
  • La nudité forcée et la photographie explicitement sexuelle.
  • Un rapport sexuel forcé ou un viol.
  • Un ou des actes sexuels qu’une personne est forcée à accomplir.
  • Du harcèlement sexuel, de l’exhibitionnisme ou des menaces sexuelles de quelque sorte.

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