© Musée d'archéologie

Sur la piste des Mérovingiens en Belgique

La fin de l’Antiquité dans nos régions est souvent vue comme une période sombre et barbare. Et si cette vision des choses était à relativiser ? À Mariemont, Tournai et Mons, trois expositions permettent de découvrir le monde des Mérovingiens, bien plus raffinés qu’il n’y paraît !

Il y a des pièces de musée qui, parfois, vous tapent dans l’oeil. Malgré leurs 1500 ans, les bijoux mérovingiens actuellement exposés à Mariemont, Tournai et Mons n’ont rien perdu de leur éclat. Sur les fibules ou les boucles de ceinture, les délicats fils d’or, fins d’à peine un millimètre, s’entrelacent en arabesques autour de verres colorés et de grenats chatoyants, provenant des lointaines mines du Rajasthan, aux confins de l’Inde et du Pakistan. Le résultat s’avère magnifique. Difficile d’imaginer que ces objets proviennent des environs... et surtout qu’ils datent des Ve et VIe siècles!

Et pour cause : il faut faire appel à tous ses vieux souvenirs d’école pour resituer vaguement cette époque dans nos régions. Il s’agit de celle des « invasions barbares », entre la fin de la période (gallo-)romaine et Charlemagne. Reviennent alors les images d’un âge « sombre », nébuleux, dans lequel surnage la figure de Clovis, roi franc de la dynastie des Mérovingiens, prenant le pouvoir sur les ruines fumantes de l’Empire romain. Ajoutez-y les images d’Epinal de son baptême à Reims, entouré de ses guerriers moustachus, l’épisode du vase de Soissons... Sans oublier la réputation de ses successeurs, qualifiés de « rois fainéants », dirigeant mollement leur royaume alangui dans leurs chars à boeufs... Et c’est à peu près tout. Pas de ruines grandioses, pas de figures littéraires ou héroïques ; bref, pas de quoi faire rêver. Circulez, y a rien à voir ! Comment, dès lors, expliquer l’existence de ces chefs-d’oeuvre de joaillerie ?

Colliers en ambre, verre et matière osseuse.
Colliers en ambre, verre et matière osseuse.© B. Felgenhauer (MRM)

Dans la continuité romaine

En réalité, l’époque mérovingienne (450-750 après J.C.) s’avère bien plus riche et subtile qu’on ne le pense de prime abord. « C’est que l’Empire romain ne s’est pas effondré du jour en lendemain, explique Marie Demelenne, commissaire de l’exposition « Le Monde de Clovis » à Mariemont. Il faut oublier cette image d’invasion de barbares chevelus, avec une cassure totale à la fin de l’Antiquité. Les Francs, comme d’autres tribus, ont été accueillis aux marges de l’Empire, en tant que tribu fédérée, à condition de défendre les frontières. Childéric, le père de Clovis, était à la fois roi de sa tribu et général romain. » Ce n’est que petit à petit, avec le délitement du pouvoir impérial, que ces différentes peuplades prendront véritablement leur indépendance.

Ce faisant, elles donneront lieu à des sociétés hybrides, mêlant héritage romain et influences germaniques. « Dans nos régions, les Francs constituaient une élite, mais ne représentaient qu’une infime partie de la population, majoritairement gallo-romaine. Les Mérovingiens n’ont donc pas fait table rase du passé : ils se sont appuyés sur tout ce qui existait déjà et qui fonctionnait avant leur arrivée... ». C’est ce curieux mélange, assez fascinant, que permettent d’appréhender les expositions de Mariemont, Tournai et Mons. De quoi battre en brèche les idées reçues : il existait encore à l’époque un commerce et des relations « internationales », un artisanat pointilleux, une élite intellectuelle et religieuse, un système juridique développé... Et si les grandes villas romaines ont disparu, ce n’est pas tant que les Mérovingiens étaient incapables de les entretenir : c’est qu’un refroidissement climatique a imposé de nouvelles formes d’agriculture, bien moins extensives !

Fibule discoïde avec or, cuivre et argent.
Fibule discoïde avec or, cuivre et argent.© R.Gilles (MRM)

Malheur aux vaincus

Reste à comprendre pourquoi les Mérovingiens ont laissé si peu de traces et une image peu reluisante ? « Au niveau des sources historiques, ils continuaient à utiliser le papyrus, comme les Romains, développe Marie Demelenne. Or, celui-ci ne se conserve pas dans les régions humides... La plupart des informations que nous possédons sur eux viennent des Carolingiens, qui utilisaient le parchemin. Comme ceux-ci ont usurpé le pouvoir aux Mérovingiens, ils n’allaient bien sûr pas les mettre en valeur ! »

Les sources archéologiques sont également limitées : les bâtiments, construits en bois, n’ont laissé que peu d’indices dans le sol. « Même à Tournai, qui était pourtant capitale mérovingienne et où a été enterré Childéric, les traces sont très ténues, souligne Marianne Delcourt-Vlaeminck, conservatrice au musée archéologique de Tournai. Les couches mérovingiennes se limitent à des strates noires très peu lisibles et, de toute façon, les Francs occupaient les bâtiments romains, qui étaient encore en bon état. Finalement, la majorité du matériel archéologique provient des nécropoles aux abords des villes : les gens se faisaient enterrer en grande tenue, avec armes et bijoux. » Des objets d’apparats tantôt éloquents, tantôt brillant encore de tout leur éclat... et qui redonnent un peu de lustre à ceux qu’on hésite désormais à qualifier de « barbares » !

Antomir, Aughilde et les autres...

La plupart des informations sur les Mérovingiens provenant des tombes et du mobilier funéraire, le risque était grand de proposer des expositions un peu austères. Heureusement, les archéologues sont capables de « lire » les tombes pour en tirer des informations pragmatiques sur les défunts avant leur décès : caractéristiques physiques, âge, habillement, alimentation, profession, richesse ou pauvreté... À partir d’une sépulture, ils peuvent dès lors dresser un portrait robot de son occupant : religieuse, artisan, petit enfant, princesse... De quoi pouvoir raconter l’histoire vraisemblable du défunt et rendre les Mérovingiens bien plus vivants et proches de nous. L’exercice a été particulièrement bien mené à Mariemont, où les concepteurs sont allés jusqu’à inventer un prénom et à proposer un portrait des personnages, du temps de leur vivant.

Personnage fictif de la princesse saxonne de Tournai.
Personnage fictif de la princesse saxonne de Tournai.© C. Volon (MRM)

3 expos, 3 thématiques

  • Le Monde de Clovis, Musée Royal de Mariemont, Chaussée de Mariemont 100, 7140 Morlanwelz. www.musee-mariemont.be. Jusqu’au 13 juin. La plus ambitieuse des trois expositions, elle offre une synthèse des connaissances actuelles sur les Mérovingiens, en abordant de très nombreuses thématiques (habitat, foi, homme/femme...) grâce à plus de 360 ensembles d’objets témoins et plusieurs niveaux de lecture.
  • Tournai, Cité royale, Musée d’archéologie, rue des Carmes 8, 7500 Tournai. www.tournai.be Jusqu’au 27 juin. Trois souverains mérovingiens ont vécu à Tournai, faisant de la ville une cité royale : Childéric, qui y a été enterré, Clovis et Chilpéric. L’exposition revient sur l’histoire de la dynastie mérovingienne, faite de meurtre, de trahisons et de guerres intestines et sur la ville de cette époque.
  • Mons au temps de Waudru, Artothèque de Mons, Rue Claude de Bettignies 1, 7000 Mons. www.artotheque.mons.be. Jusqu’au 13 juin. À partir des collections archéologiques de la ville de Mons et de prêts émanant d’autres institutions, l’Artothèque revient aux origines de la cité et fait revivre Sainte Waudru, fondatrice légendaire de la ville, et ses contemporains à la lumière des dernières recherches historiques et archéologiques.

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