« Mille sabords et castrats », une expo sur la censure en BD
De l’interdiction de fumer pour Lucky Luke aux jurons modifiés du capitaine Haddock, cette exposition, à Bozar, montre comment la censure s’infiltre dans le 9e art. Une chouette idée de sortie, en bulle, dans l’univers des bulles !
Présentée en marge de la Journée de la Liberté de la presse (le 3 mai), l’exposition a pour fil conducteur le livre de l’auteur et spécialiste de bande dessinée Jan Smet, « Duizend bommen en castraten » (« Mille sabords et castrats »), sorti en février dernier. Le parcours s’articule autour de sept thèmes tels que de la violence, le langage, le racisme ou le sexe, avec des exemples tirés de la bande dessinée belge et internationale. Autant le savoir, vous ne verrez pas de planches originales d’albums dans les salles, uniquement des panneaux didactiques. Les différents thèmes sont, en fait, traités sur des colonnes noires représentant les barres de censure. Elles se dressent dans un cadre sobre pour retracer un siècle de tensions, pour mettre à nu le lien indissoluble entre l’histoire de la BD et celle de la censure.
Le Comics Code
Ce voyage dans le temps évoque, forcément, la Comics Code Authority américaine. Un organisme de règles créé à la suite du livre « Seduction of the innocent » (1954) du psychiatre Fredric Wertham, selon lequel la violence dans les comics était une des causes principales de la délinquance juvénile. Voici un extrait du code: « Sont interdites les scènes de violence extrême. Les scènes de torture brutale, d’usage excessif et injustifié de couteaux et fusils, de douleur corporelle, de crimes sanglants et crapuleux seront éliminées. » Une règle qui menait parfois à des situations absurdes ! L’auteur de BD Joe Sinnott se souvient que si un personnage blanc tirait sur un Indien, il ne pouvait pas être dessiné dans la même case, apprend-on à l’exposition. Le Comics Code a été révisé plusieurs fois.
Les jurons euphémisés
Pour contourner la censure, la bande dessinée recourt à ce qu’on appelle des « jurons euphémisés ». Il s’agit de jurons qui subissent une transformation telle qu’ils sont perçus comme plus innocents et donc moins choquants que les originaux. Un des jurons euphémisés parmi les plus connus est le « Rogntudju !' » de Franquin qui s’échappe régulièrement de la bouche de Prunelle quand Gaston Lagaffe l’énerve. En fait, il dérive du juron authentique « Nom de Dieu ». Autre exemple, le capitaine Haddock dans les albums Tintin. On connaît tous plein de jurons vociférés par l’auteur du fameux « Mille milliards de mille sabords ». Pourtant, les termes injurieux qu’il utilise n’ont jamais été considérés par les censeurs comme un problème, car ils ne dérivaient pas d’un vrai juron. « Toutefois Hergé ou son éditeur ont modifié quelques expressions sujettes à discussion dans les réimpressions subséquentes des albums de Tintin », peut-on lire sur un des panneaux de l’exposition. « Il s’agit de mots qui à l’époque d’Hergé étaient encore tout juste acceptables mais qui de nos jours sont éminemment racistes, comme ‘moricaud’ et ‘anthracite’. »
L’interdiction de fumer
A partir des années 60, les producteurs de tabac ont été obligés d’indiquer les risques pour la santé sur les paquets de cigarettes et toute publicité pour le tabac a été interdite. Dès les années 80, le héros-qui-fume n’est plus admis. On peut citer Superman qui passe à l’attaque de Nick O’Teen ou encore le héros anglais Andy Capp, alcoolique et fumeur notoire, qui arrête le tabac. Le célèbre cow-boy créé par Morris doit lui aussi capituler: en 1983, la cigarette emblématique de Lucky Luke est remplacée par un brin d’herbe. Dans l’univers des BD, l’irréprochable héros se doit de rester exemplaire!
Par ailleurs, l’exposition « Mille sabords et castrats » se penche également sur la drogue dans les bandes dessinées, la nudité, le racisme, avec en exemple l’album « Tintin au Congo », les caricatures des têtes couronnées belges... Encore plus que les auteurs de BD, ce sont les cartoonistes qui ont affaire à la censure. En fin de parcours, on peut voir, à ce sujet, une (très courte) vidéo du dessinateur belge Kim Duchateau qui témoigne de son expérience.
En sortant de cette petite exposition instructive qui se visite assez rapidement, vous ressentirez peut-être comme un léger goût de trop peu. Comme nous, profitez d’être à Bozar pour poursuivre votre escapade culturelle : découvrez, dans le même bâtiment, la magnifique rétrospective consacrée au peintre flamand Roger Raveel.
« Mille sabords et castrats » Bozar, 23 rue Ravenstein, 1000 Bruxelles. Jusqu’au 16/5. Prix : 4 €. Infos & tickets : 02 507 82 00 www.bozar.be. Jusqu’au 16/5.
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