Eric Domb © belga

Rencontre avec Eric Domb, patron de Pairi Daiza : « C’est ma plaine de jeux »

On le prenait pour un fou mais son rêve est devenu le meilleur zoo d’Europe. Échanges avec un patron, passionné et obstiné, qui revendique son âme d’enfant...

En 1994, les portes du jardin ornithologique Paradisio s’ouvraient au fin fond du Hainaut. Des idées plein la tête, son fondateur le fera évoluer en parc zoologique pour s’appeler, dès 2010, Pairi Daiza. Eric Domb nous accueille au coeur de son univers, de son « Jardin des Mondes », un splendide domaine de près de 70 hectares, abritant plus de 7.000 animaux de 800 espèces différentes dont des pandas géants.

Que ressentez-vous lorsque vous regardez autour de vous?

Ce parc est l’extériorisation de ce que j’ai en tête: le désir de créer le jardin idéal, une sorte de temple à ciel ouvert consacré à la contemplation et à la protection de toutes les formes de vie et autres merveilles de la nature. C’est aussi un lieu qui veut promouvoir les arts et les pensées de toutes les cultures qui élèvent l’humanité. Le parc qui m’entoure évoque des voyages car j’ai eu la chance de visiter une soixantaine de pays, où j’ai rencontré des artisans et recueilli ce qui m’a le plus touché. Tout est authentique ici! Pairi Daiza, c’est à la fois une utopie et un recueil de souvenirs.

Comment est né ce désir?

Enfant, je ne me sentais pas heureux. Ma chambre était le seul endroit où je me sentais bien. Là, je m’évadais aux quatre coins d’un monde merveilleux grâce aux livres « Contes et légendes de tous les pays » que m’avait offerts ma mère. Je réalise aujourd’hui ce que j’aurais rêvé faire petit, sauf qu’à l’époque je ne m’en croyais pas capable. Je devais exercer un métier sérieux comme tout le monde. J’ai donc suivi des études de droit. J’ai réussi mais j’étais un mauvais avocat. Ensuite, j’ai fait deux ou trois trucs pas terribles non plus, puis j’ai créé, avec un ami, une petite fiduciaire qui a bien marché mais ne m’inspirait pas du tout. Mes premières expériences professionnelles me convainquaient que le monde des grands ne m’intéressait pas... Fin 1992, au détour d’un rendez-vous professionnel, j’ai découvert le domaine abbatial de Cambron-Casteau. Un coup de foudre!

Vous passiez pour un fou avec votre projet de jardin ornithologique...

J’ai toujours été très indifférent à ça même si j’ai été triste d’apprendre que certains que je croyais mes amis m’invitaient pour se foutre de ma gueule. J’ai été la vedette de « dîners de cons » sans m’en rendre compte car j’étais tellement porté par mes images, mes fantasmes... Maintenant, on me prend un peu plus au sérieux.

Quel est le secret du succès de votre parc?

Le succès, relatif et toujours temporaire, est le résultat de la puissance de notre désir de créer un magnifique endroit, en étant prêt à souffrir, et de notre obstination car nous ne nous décourageons jamais!

Récemment, l’arrivée des ours polaires a suscité des contestations...

Il suffit de les observer pour savoir s’ils sont heureux ou non. On se trompe de danger... C’est une espèce en voie de disparition et probablement qu’un jour le sol va se dérober sous leurs pattes car la banquise va fondre. La Fondation polaire internationale nous a fait ambassadeurs et les installations pour accueillir ces animaux sont sans doute les meilleures. Les critiques viennent souvent de personnes qui ne maîtrisent pas leur sujet. Mais comme nous vivons dans la culture de l’indignation, il suffit qu’une personne s’énerve de quelque chose pour que, spontanément, on lui donne raison.

Rencontre avec Eric Domb, patron de Pairi Daiza :
© DR

Comment avez-vous vécu le confinement dû au coronavirus?

Pour la première fois en 27 ans, j’ai dû licencier du personnel pour raisons économiques: une vingtaine de collaborateurs sur les 500 du parc. La responsabilité d’un chef d’entreprise est de protéger son personnel. Ne pas y arriver peut être assimilé à un échec...

Pairi Daiza a été élu « Meilleur zoo d’Europe » ces trois dernières années. Que représente ce titre?

En terme d’image, c’est évidemment un événement positif, un hommage qui fait plaisir. Maintenant, les sources d’amélioration du parc sont telles que j’ai du mal à considérer cela comme une consécration. Il y a plein de détails sur lesquels je n’ai pas encore pu travailler faute de temps. Je crois en la perfectibilité infinie...

Des chouchous dans le parc?

Toutes les formes de vie m’émerveillent même si j’ai moins d’affinités avec les araignées, par exemple. Honnêtement, j’ai une passion pour les éléphants. Les aventures de Babar ont bercé mon enfance. Il était mon doudou. Ces animaux extraordinaires sont proches de nous, ils sont très sensibles et susceptibles, ils ont de l’humour aussi... Durant toute une période, je me baladais quotidiennement à dos d’éléphant dans le parc. Je ne le fais plus car comme je sentais mauvais, c’était compliqué de recevoir des gens après dans mon bureau. Et puis, c’est assez acrobatique!

Des animaux à la maison?

J’habite ici depuis quelques mois, ce que j’ai toujours voulu. En attendant la fin de la restauration de deux petites maisons dans ce parc, je vis dans une cabane suspendue à quatre arbres. J’ai un bulldog français qui est d’ailleurs le seul chien autorisé dans le parc. Mais il est très discret!

Et à force de vivre avec les animaux vous êtes devenu végétarien...

Je l’ai été pendant 11 ans et puis j’ai lamentablement craqué! J’étais à la montagne où il y avait un plateau avec du saucisson... C’est donc un échec cuisant.

Vous parlez beaucoup d’échecs finalement...

Oui, je n’ai pas de vision culpabilisatrice de l’échec. Je pense que les échecs sont la meilleure manière d’apprendre. Mais parfois vous placez la barre un peu trop haut.

Votre famille est-elle sensible à votre passion?

Mes trois enfants (28, 29 et 32 ans, ndlr) adorent ce parc mais je ne crois pas qu’ils aient envie d’y consacrer leur vie. Ayant connu tous les affres de sa création, ils se rendent compte des sacrifices. L’un est ingénieur civil, ma fille suit des études de logopédie... Ils sont à des années-lumière de ce que je fais!

Mais c’est un peu de ma faute car j’ai animé un groupe, dans des classes de rhéto, pour dire aux jeunes d’écrire leur propre histoire, un conseil que je donnais aussi à la maison. Ils m’ont pris au mot! Chacun essaye de se réaliser dans son domaine et c’est très bien.

Eric Domb

  • 1960 : Naissance à Uccle
  • 1982 : Licencié en droit
  • 1994 : Ouverture de Paradisio
  • 2008 : Manager de l’année
  • 2015 : Pairi Daiza sacré Entreprise de l’année
  • 2019 : Docteur honoris causa de l’Université de Liège

Avez-vous des loisirs en dehors de Pairi Daiza?

C’est extraordinaire de travailler ici! J’amène tout ce que j’aime: les plantes, les arbres, les animaux, les minéraux, l’architecture, la poésie... Ce domaine est ma plaine de jeux. Donc, je n’ai pas de vie en dehors de Pairi Daiza.

Le prochain projet pour le parc?

La construction d’une maison de verre de 4 hectares: une biosphère qui sera principalement consacrée à la faune et la flore équatoriale de l’Amérique du sud, un monde quasiment absent ici. Il y aura un immense aquarium, une forêt tropicale, un désert... Un grand rêve très compliqué car c’est une succession de défis technologiques.

Etes-vous fier de votre réussite?

Franchement, je n’arrive pas à résumer cette aventure comme étant une réussite parce que j’ai l’impression qu’une réussite, c’est la fin d’une histoire. Je suis tellement obnubilé par les défauts de ce parc et les possibilités de l’améliorer que je ne parviens pas à profiter de ce jardin comme on pourrait l’imaginer. J’aimerais pouvoir le regarder avec les yeux d’un visiteur qui vient pour la première fois.

Que dirait l’enfant que vous étiez à l’homme que vous êtes devenu?

Il remercie l’adulte de lui permettre de réaliser son rêve. L’adulte est un peu l’auxiliaire de l’enfant que je suis resté: il me donne la crédibilité, me permet de rencontrer des financiers, des responsables à tous les niveaux. L’enfance est une période de la vie où tout est possible. Je continue à penser que tout est possible pour autant que vous y mettiez la passion et que vous vous entouriez de personnes fantastiques qui se réapproprient votre rêve et l’aident à avancer.

Je n’ai pas du tout envie de quitter l’enfance...

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