Herstal : le palais perdu de Charlemagne
Automne 778. Charlemagne prend ses quartiers d’hiver dans son palais de Herstal, une de ses résidences préférées. Aujourd’hui, on ignore où se trouvait exactement la royale demeure. À moins que...
Le parchemin millénaire est jauni, taché par les ans. Impossible de le manipuler, mais on devine qu’il doit exhaler une odeur douceâtre de poussière et de moisissure. Ci et là, quelques mots sautent aux yeux : les jolies lettres carolines, tracées par un copiste appliqué, demeurent particulièrement lisibles. Ce document, le plus vieux texte législatif connu émis par Charlemagne, est connu sous le nom de capitulare Haristallense. Dans celui-ci, le souverain franc impose la dîme sur son territoire. Cet impôt, qui oblige les paysans à donner un dixième de leur récolte à l’Eglise, perdurera en Europe durant plus de mille ans. Il ne disparaîtra qu’à la chute de l’Ancien Régime.
Daté de mars 779, le document ne donne aucune indication de lieu. On sait néanmoins où il a été rédigé, grâce à d’autres parchemins produits le même mois et signés par Charlemagne : ceux-ci portent la mention « actum haristalio palatio publico« , ce qui signifie qu’ils ont été produits « au palais public de Herstal ».
Un palais apprécié
Ces mentions d’un palais carolingien à Herstal ne sont pas si rares. On les retrouve une quarantaine de fois dans des documents d’époque, textes de loi ou chroniques. Le fait qu’Herstal soit nommé si souvent est loin d’être anecdotique. Cela indique l’existence d’une résidence royale de première importance.
Au début de son règne, Charlemagne semble même en avoir fait son palais préféré : il y fête régulièrement les fêtes religieuses les plus importantes, Pâques ou la Noël, y établit à plusieurs reprises ses quartiers d’hiver. Après le désastre de Roncevaux en 778 où, selon la légende, son neveu Roland trouve la mort, c’est là que le souverain vient se ressourcer et réorganiser son royaume. Quelques mois après son arrivée, lors d’une grande assemblée, il y convie tous les notables de l’Etat : évêques, abbés, comtes...
Il faut dire que le palais est particulièrement bien situé, au carrefour des anciennes routes romaines reliant Trèves, Tongres, Cologne et Maastricht, en bord de Meuse. Mieux : il se situe à proximité de l’un des rares passages à gué du fleuve, à une époque où les ponts font cruellement défaut. Sur l’autre rive se trouve un second palais, celui de Jupille, auquel sont attachés de nombreux bois et terres agricoles. Bref : l’accessibilité est aisée et il y a là de quoi nourrir toute une cour, qui peut en outre s’adonner à son activité favorite, la chasse. Au VIIIe siècle, les forêts liégeoises sont encore peuplées d’ours, d’aurochs, de lynx, de bisons...
Charlemagne, illustre inconnu
Si les sources relatives aux Carolingiens sont plus nombreuses que celles datant de l’époque mérovingienne, on en sait finalement peu sur Charlemagne. Si son activité politique, administrative et guerrière est assez bien documentée, l’homme, lui, continue à nous échapper. Impossible, même, de savoir à quoi il ressemblait ! Tout au plus peut-on dire qu’il était très grand pour l’époque (1,90 m), robuste mais possédant une voix assez fluette. Portait-il la barbe, comme dans les images d’Epinal ? C’est en réalité peu probable, les nobles carolingiens arborant plutôt une moustache.
Ajoutons qu’il était excellent nageur, et décrit comme sensible, peu porté sur les plaisirs de la table, mais adepte de la sieste et volage. Et c’est à peu près tout...
A quoi ressemble le palais de Herstal lorsque Charlemagne y établit ses quartiers ? On y trouve probablement quelques constructions en pierre : un oratoire, un grand bâtiment destiné aux cérémonies d’apparat et aux assemblées, ainsi qu’un autre pour loger le roi et sa cours. Autour de ces trois secteurs, pour nourrir et gérer ce petit monde, quantité de petits bâtiments de service ont dû être érigés (forge, moulin, fours, écurie, grange...).
L’ensemble est peut-être entouré d’une palissade. On est donc loin des constructions fastueuses de la Rome antique : de l’extérieur, le palais doit davantage ressembler à une (très) grosse exploitation agricole ou à une abbaye.
Une disparition rapide
Difficile d’en dire davantage : dès 786, Herstal tombe en désuétude. Charlemagne, occupé à soumettre les Saxons à l’est, réside de plus en plus souvent en son palais d’Aix-la- Chapelle. Ce dernier devient rapidement la vitrine du royaume, puis de l’empire. L’empereur finit par en faire sa résidence unique et définitive, appréciant notamment ses sources chaudes qui lui permettent de calmer ses douleurs articulaires. Herstal perd alors de son prestige, même s’il accueille à quelques reprises les principaux héritiers carolingiens : l’empereur Louis le Pieux, Charles le Chauve, Louis le Bègue...
Après 920, le palais disparaît des archives et du paysage. Peut-être a-t-il été rasé lors des invasions normandes ? A moins qu’il n’ait été principalement construit en bois ? Quoiqu’il en soit, à l’heure actuelle, il semble n’en rester aucune trace. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien eu ! Zone très industrialisée, Herstal a vu son terrain bouleversé en profondeur par la construction de nombreuses usines et bâtiments, à une époque où les fouilles préalable n’étaient pas la norme. Et la dernière étude digne de ce nom consacrée au » palais fantôme » date... de 1979.
La tradition locale, dans laquelle le souvenir de Charlemagne reste vivace, donne pourtant une localisation précise du palais : celui-ci aurait été établi sur la Licour, une place située en bord de Meuse. L’étude de 1979 s’est longuement penchée sur ce lieu, ce qui permet de se rendre compte que la légende n’est peut-être pas si farfelue...
C’est que la Licour est un lieu surélevé d’une dizaine de mètres au-dessus de la Meuse. Des cartes anciennes montrent que le côté « terre » de la place était entouré de ruisseaux. On se retrouve donc face à une zone d’un hectare, à l’abri des crues et protégée sur les côtés opposés au fleuve par une sorte de douves. Or, c’est précisément la forme des implantations palatiales carolingiennes dont on a déjà retrouvé la trace à Thionville ou encore Düren.
La présence d’une église en bord de place, vouée à Notre-Dame comme la plupart des chapelles des palais carolingiens, constitue un élément de plus à mettre au dossier. Malheureusement, le bâtiment actuel est assez récent, l’église initiale ayant été détruite par un incendie en 1737... Quelques rares éléments d’origine, réutilisés ou conservés, laissent toutefois supposer une origine fort ancienne ! Et ce n’est pas tout : jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le chapitre de Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle, ancienne capitale impériale, possédait le droit d’y nommer les prêtres en fonction. Enfin, par le passé, la place jouait visiblement un rôle prépondérant sur le plan administratif, comme le prouve la présence d’un manoir du XVIe siècle.
Si la localisation du palais sur la Licour est une hypothèse séduisante, il ne s’agit à l’heure actuelle que d’une supposition. Mais peut-être, un jour, une fouille d’envergure permettra-t-elle au palais perdu de Charlemagne de ressurgir de terre...
Pour en savoir plus : direction le Musée de la ville de Herstal !
Même si aucun élément du palais n’a encore été retrouvé, le Musée de la Ville de Herstal donne un bon aperçu de ce à quoi il a pu ressembler, grâce à une collection d’objets mérovingiens/carolingiens issus des zones archéologiques proches, une scénographie audiovisuelle moderne et une maquette fidèle aux hypothèses sur le sujet.
Une halte intéressante pour ceux qui désirent visiter Aix-la-Chapelle : Herstal n’est situé qu’à 40 minutes de la capitale de Charlemagne ! Musée de la ville de Herstal, place Licourt 25, 4040 Herstal. Ouvert tous les jours de 13 à 17h, sauf le vendredi. Attention aux règles Covid : contactez le musée avant toute visite.
Sources bibliographiques :
Joris, A., Le palais carolingien d’Herstal, extrait de la revue le Moyen-Âge, T.79, n°3-4, 1979.
Charlemagne, du royaume franc à l’empire, de Herstal à Aachen, brochure publiée par le Musée de la ville de Herstal, 2014.
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