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Se passer de smartphone? Mission (presque) impossible

Pour une majorité de Belges, le smartphone sert désormais partout, tout le temps. Presque obligatoire, il est compliqué de s’en passer. Une omniprésence qui pose une foule de question...

Ce sont deux images qui circulent depuis quelques années sur internet et qui, en elles-mêmes, valent mille mots. À gauche, un bureau typique des années 90. Le plateau est encombré de tout le matériel dont un travailleur pourrait avoir besoin pour se détendre ou mener à bien ses tâches. La liste est volontairement exhaustive: téléphone fixe, ordinateur, agenda, calendrier, montre, calculatrice, porte-documents, répertoire, portefeuille et porte-cartes, catalogue de fournitures, stylo et calepin, bac à courrier, walkman, radio, journal, horloge, dictaphone, caméra, appareil et album photo, télévision, lampe de poche, jeu vidéo portable, carte routière, minuteur-chronomètre... À droite, le même bureau, mais vingt ou trente ans plus tard. La surface est immaculée, vide. En son centre, ne s’y trouve qu’un petit boîtier noir qui peut – au moins théoriquement – remplir la fonction de tous les autres objets: un smartphone.

Véritable couteau-suisse, le smartphone a complètement bouleversé la vie quotidienne au XXIe siècle. Et la révolution n’est pas finie... Après avoir remplacé nombre d’outils, depuis quelques années, il est aussi devenu un précieux sésame, le médium privilégié pour accéder facilement à de nombreux services. Accrochez-vous: en établir la liste peut donner le tournis, voire provoquer un petit frisson d’inquiétude. L’exercice souligne en tout cas combien le quotidien est désormais indubitablement et intimement lié à ce concentré de technologie plastifié.

Identité numérique

Au magasin, il remplace petit à petit les cartes de fidélité qui encombraient les portefeuilles. Sur ordinateur, que ce soit pour se connecter à sa boîte e-mail, accéder aux réseaux informatiques du boulot, aux réseaux sociaux ou à des données personnelles informatisées, un simple mot de passe ne suffit plus: l’identification à deux facteurs nécessitant un smartphone devient la norme. Bien sûr, il existe encore des alternatives, mais celles-ci sont souvent rébarbatives à employer (lecteur de carte d’identité, clé physique usb...). Même les services publics, de plus en plus dématérialisés, promeuvent cette méthode pour un accès en ligne sécurisé: pour sa déclaration d’impôt, une demande de prime ou pour accéder aux informations sur sa pension, le plus simple est aujourd’hui de s’identifier grâce à l’application mobile « Itsme », utilisée au moins une fois par 80% des Belges adultes.

Un mot de passe ne suffit plus: l’identification via smartphone devient la norme.

Idem pour les banques, dont le nombre de guichets a drastiquement chuté ces dernières années. Après avoir encouragé les clients à réaliser leurs opérations quotidiennes en ligne (virements, gestion des comptes...) via des lecteurs de carte individuels, celles-ci poussent désormais à l’utilisation de leur application sur téléphone mobile, avec succès. En mai dernier, pour ne citer qu’un exemple, la banque ING soulignait que « 1,5 million de personnes – soit près de 6 clients d’ING Belgique sur 10 – effectuent leurs opérations bancaires à l’aide de l’application ING Banking ». Cette banque vient d’ailleurs de lancer un système d’authentification par QR code via son app pour faciliter les opérations sur ordinateur, avec pour principal argument que « tout le monde a presque toujours son smartphone dans la poche, alors que le lecteur de cartes est parfois perdu à la maison ».

Tous les aspects de la vie

Mais ce n’est pas tout: là où les rappels de rendez-vous médicaux se faisaient autrefois par courrier, beaucoup passent désormais par sms ou rappel automatique d’e-agenda. Pour les adeptes de la domotique, soit tout de même 1,18 million de foyers belges, le système d’alarme, le lancement du lave-vaisselle, l’ouverture de la porte d’entrée, l’aspirateur robot, la gestion du chauffage... Tout se pilote avec le doigt, via le petit écran du téléphone. Dans les bars et les restaurants branchés d’après Covid, celui-ci sert à consulter le menu ou carrément à commander ses consommations, via un QR code. Et puisqu’on en parle... Un verre entre amis, un resto où il faut rembourser sa part de l’addition? Hop, smartphone! De toute façon, il devient compliqué de trouver des distributeurs de billets... En 2022, selon Bancontact, 6,7 millions de Belges ont utilisé au moins une fois, via les app Bancontact ou Payconiq, leur « téléphone intelligent » pour régler 275 millions de paiements mobiles.

Encore marginal, le paiement sans contact via smartphone pourrait pour sa part devenir la norme d’ici quelques années. Dans les magasins, via des applications telles que Google Pay ou Apple Pay, l’appareil (ou sa montre connectée) se transforme déjà en carte de paiement, qu’il suffit d’appliquer sur un terminal. Ou sur un autre gsm? Worldline, le leader européen des services de paiement, propose depuis peu aux commerçants des smartphones « Tap on Mobile », capables de lire les cartes de banque. En ligne aussi, le smartphone est devenu un moyen de paiement privilégié: une étude internationale réalisée par YouGov Global Profiles estime que, toujours en 2022, 29% des utilisateurs belges employaient quotidiennement leur téléphone mobile pour faire des achats sur le net.

Le paiement sans contact via smartphone pourrait devenir habituel d’ici quelques années.

L’indigestion vous guette, n’en jetez plus? Attendez, nous n’avons pas encore abordé le registre de la mobilité! Les voitures électriques, appelées à se généraliser dans le futur, ne révèlent leur plein potentiel que couplées à un smartphone. Via une application dédiée, c’est ce dernier qui indique lorsque la voiture est chargée, où se situent les bornes de recharges, si elles sont occupées ou non. Arrivé à destination, le parcmètre peut – le plus souvent – encore se payer par carte ou par monnaie, mais de grands autocollants suggèrent d’opter pour la facilité et de payer par sms ou de télécharger une application dédiée. La dématérialisation frappe également les transports en commun: les usagers sont encouragés à acheter en ligne leur billet de train ou d’avion et à le présenter sur écran.

Pire que le portefeuille

Au-delà de tous ses aspects usuels, pour beaucoup, le smartphone est aussi devenu un objet très intime, un indispensable des relations sociales. En devenant l’appareil photo standard de la plupart des foyers, il a remplacé les albums, les clichés devenant accessibles en quelques touches. Il conserve aussi les messages tendres, les déclarations d’amour, les échanges familiaux. « Alors que je téléphonais tous les soirs à ma mère, la relation au quotidien avec mes enfants et petits-enfants se fait principalement via Whats’app, témoigne Martine, 69 ans. C’est là que j’apprends ce qu’ils ont fait de leur journée, que je reçois des photos, de petits messages vocaux, plusieurs fois par jour. Même si nous nous voyons régulièrement, sans cette messagerie, j’aurais l’impression de manquer tout un pan de leur existence. » Les messageries groupées sur mobile sont d’ailleurs devenues le moyen de contact privilégié pour de nombreuses collectivités: parents d’élèves, copropriétés, collègues, clubs sportifs... Pour celui qui n’y a pas accès, c’est presque à coup sûr louper des informations importantes, des rendez-vous, des problèmes urgents.

« Je devrai passer au smartphone »

Adrien, 40 ans, est l’un des rares de son entourage à ne pas avoir de smartphone, par choix. « La principale raison pour laquelle je n’ai pas de smartphone, c’est que j’ai peur de ne plus savoir décrocher. Je consomme déjà beaucoup d’écrans et voir ces dizaines de gens en rue, le nez sur le téléphone, c’est une vision de l’humanité qui m’effraie un peu. J’estime de toute façon être déjà assez accessible via mon pc et mon gsm basique. Mes amis savent bien qu’ils doivent me contacter par ces biais pour m’atteindre et me communiquer les infos importantes, ce n’est donc pas trop handicapant. Pour le reste, j’utilise les services bancaires avec un lecteur de carte, je rembourse les amis avec qui j’ai bu un verre en liquide ou par virement le lendemain... Je me débrouille sans trop de difficultés. Mais d’année en année, j’ai de plus en plus l’impression qu’un jour, je serai forcé de passer au smartphone, simplement parce que je n’aurai plus le choix. Sur les interfaces bancaires, la connexion via lecteur de carte est déjà de moins en moins visible. Elle va certainement disparaître un jour. »

Inutile de dire que le smartphone est devenu un objet dont il est compliqué de se passer: ne pas en avoir équivaut, peu ou prou, à être mis sur le banc de touche de la société. Avec autant d’applications, pour beaucoup d’utilisateurs, se retrouver sans smartphone reviendrait à avoir la sensation d’être nu, dépouillé d’une partie de son existence: des sondages soulignent que la plupart préféreraient mille fois perdre ou se faire voler leur portefeuille plutôt que leur téléphone. Même les personnes ayant volontairement décidé de le bannir de leur quotidien se rendent comptent que ce choix de vie risque, à terme, de devenir très compliqué.

Une solide fracture

Pas étonnant, dès lors, que le smartphone soit un des équipements les plus présents dans la population. Selon le rapport digital annuel de We Are social et Meltwater, en 2023, 93,7% des Belges de 16 à 64 ans possèdent un de ces téléphones mobiles. La société serait-elle d’ores et déjà totalement « smartphonisée »? On pourrait le croire, mais c’est loin d’être le cas. « Le taux d’équipement ne veut pas dire grand-chose: ça ne nous dit rien de ce que les gens font de leur appareil, tempère Patricia Vendramin, docteure en sociologie et professeure à l’UCLouvain. Le smartphone est relativement abordable, mais ce serait une erreur de le considérer comme un sparadrap capable de résoudre la fracture numérique. Quand bien même vous offririez un smartphone à toute la population, ce n’est pas pour cela qu’elle saura l’utiliser convenablement. La période covid a eu un effet d’accélération sur le numérique, elle a un peu laissé croire, à tort, que tout le monde pouvait tout faire en ligne. »

Dans la réalité, on est loin d’une population totalement hyperconnectée et capable de jongler avec l’entièreté des outils mis à disposition. L’évolution actuelle ne profiterait finalement qu’à une petite majorité, laissant quantité de citoyens sur le carreau. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, il ne s’agit pas que d’une question de génération.

« Même si la fracture numérique se renforce en vieillissant, ce qui va principalement influencer votre rapport au numérique, quel que soit votre âge, c’est votre appartenance sociale . Les ressources économiques, le niveau de diplôme, le fait de vivre dans un milieu favorisé ou défavorisé, la densité du réseau social... » À en croire les statistiques d’Eurostat de 2021, les Belges ne possédant pas de smartphone ou ayant une compétence numérique faible, et donc une utilisation fort limitée de ce type d’appareil, représentent 1/3 des 16-55 ans et 2/3 des 55-74 ans. Par ailleurs, 1/4 des 55-74 ans n’ont purement et simplement pas de smartphone. Et au-delà? Très certainement davantage, mais il n’existe aucun chiffre.

Pour toutes ces personnes, la numérisation au galop de la société et le recours accru au smartphone, loin d’être un avantage, est surtout un facteur de stress, d’isolement ou de non-recours à des aides auxquelles elles ont pourtant droit... « Elles devraient pouvoir avoir accès à des services équivalents, de même qualité, mais ce n’est pas le cas. Je prends l’exemple du chèque mazout, qui a été versé plus lentement lorsque la demande était faite par courrier plutôt qu’en ligne », s’insurge Patricia Vendramin. Et s’il est souvent possible de demander de l’aide autour de soi, pour faire les démarches à sa place, cette solution n’est bien qu’un pis-aller. « Quand on ne parvient plus à gérer des choses de la vie quotidienne sans faire appel à des tiers, c’est une fameuse perte d’autonomie, une sérieuse source de mésestime de soi. Il est en tout cas bien de rappeler aux personnes qui vivent ça qu’elles sont nombreuses et qu’il ne s’agit pas d’une petite minorité à la marge. »

Que faire en cas de vol ou de perte?

EN AMONT

  • Conservez précieusement le numéro de série de votre smartphone et son code IMEI, qui figurent sur la boîte, ainsi que votre numéro de carte sim: ceux-ci seront nécessaires pour signaler un incident à la police et bloquer l’appareil. Sécurisez l’accès à vos données (verrouillage automatique) via un code PIN, une empreinte ou un dessin.
  • Activez les sauvegardes automatiques de votre profil, par ex. via Google Drive ou iCloud: cela permettra de récupérer facilement toutes vos données sur un éventuel nouvel appareil.
  • Activez la géolocalisation, qui permet de savoir où se situe votre appareil, via votre profil Google ou Apple.
  • Vous pouvez aussi renseigner une adresse mail, spécialement créée pour l’occasion, sur votre écran de veille: une personne bien intentionnée tombant sur votre gsm pourra alors facilement vous contacter.

APRÈS LA PERTE OU LE VOL

  • Utilisez la géolocalisation.
  • Si vos recherches sont infructueuses, essayez d’appeler à plusieurs reprises le GSM que vous avez égaré.
  • Si personne ne répond, notez les moments auxquels vous avez passé ces appels, ce qui pourrait être utile aux services de police.
  • Bloquez ensuite carte SIM et appareil en contactant votre opérateur (faites-le rapidement en cas de vol).
  • Déclarez, si nécessaire, la perte ou le vol à la police.

Pourquoi les compétences numériques diminuent-elles avec l’âge? On vous dit tout sur plusmagazine.levif.be/smartphone.

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