France Brel: « Etre la fille de Jacques, une responsabilité ! »
Le 9 octobre 1978 disparaissait le célèbre auteur, chanteur et acteur bruxellois, Jacques Brel. Depuis, France consacre sa vie à la transmission de l’oeuvre et de l’image de son père...
Place de la Vieille Halle aux Blés, au coeur de la capitale. En cette après-midi ensoleillée de printemps, des badauds et/ou admirateurs se relayent pour poser aux côtés de la statue de l’interprète du Plat Pays. A un jet de micro de l’homme de bronze, la Fondation Jacques Brel, en rénovation. Sa fondatrice, France, l’une des trois filles de l’artiste, nous y accueille tout sourire.
On commémore cette année les quarante ans, déjà, de la disparition de votre père, alors âgé de 49 ans. On pourrait pourtant dire » Avec le temps, va, tout s’en va » sauf Jacques Brel...
C’est une bonne introduction ! Eh bien oui, quarante ans, c’est un bail, pourtant il est toujours là ! Et encore, il a n’a chanté que quinze ans puisqu’il a arrêté en 1967. Quarante ans, un chiffre un peu symbolique, comme si Jacques mettait son premier pied dans l’Histoire. En tout cas, ce qui me frappe surtout, actuellement, c’est que des tas de gens ont envie de rendre un hommage à mon père : plusieurs spectacles sont prévus, le théâtre flamand va reprendre la comédie musicale L’Homme de la Mancha...
Pourquoi Brel touche-t-il toujours autant ?
Parce que quand mon père interprète une chanson, il a envie que l’autre se sente concerné, il y a donc une intention de partage et le public le ressent. Et donc, même si on ne l’a jamais vu sur scène, même si on a un autre âge, l’écoute de ses chansons touche les gens dans leur vie, dans ce qu’ils ont vécu... Jacques ne chante pas des chroniques historiques mais des émotions en dehors du temps et de l’espace.
Il continue aussi à vivre grâce à vous...
Etre l’une des filles de Brel a suscité en moi un sentiment de responsabilité. A son décès, j’ai eu tellement de sollicitations que j’ai choisi, pour métier, de répondre aux questions des gens. Ayant un fond d’historienne en moi, j’aime que les choses soient précises alors j’ai commencé à m’intéresser aux archives, à sa vie, et je me suis rendue disponible à l’autre. J’ai donc créé la Fondation, en 1981, parce que j’ai simplement voulu organiser, de façon professionnelle, la manière dont j’allais répondre à tout le monde, curieux, chercheurs, étudiants... Il aurait été impensable pour moi de me tourner les pouces alors que mon père s’appelait Brel et travaillait énormément ! Son oeuvre me passionne...
Me tourner les pouces aurait été impensable.
Vous venez de sortir deux livres.
Oui, il y a Jacques Brel, chanteur qui reprend toutes les chansons que mon père a enregistrées, classées dans l’ordre chronologique, et le livre, très illustré, Jacques Brel, auteur. Ce dernier comporte en supplément des chansons, et toujours dans l’ordre chronologique, des ajouts comme des textes inédits de Jacques, de son enfance, de son adolescence, ainsi que des commentaires, des citations de Jacques, des témoignages...
Il s’agit d’une transmission et d’une mise au point de ce qu’on a pu garder de sa vie. Ses rapports avec ses parents, par exemple, n’étaient pas conflictuels comme les gens le pensaient. En fait, ce quarantième anniversaire représente un peu un début pour moi parce que je me suis décidée à écrire. Et, en voyant le bouquin terminé, j’ai l’impression de n’avoir raconté que 10 % de ce que j’avais envie de dire ! Cela me motive à aller plus loin, à davantage faire découvrir les différentes facettes de mon père...
Découvrez-vous, vous-même, encore des choses sur votre père ?
Le jour de la parution du livre on a reçu un nouveau texte donc ça continue ! En écrivant Jacques Brel, auteur, je me suis notamment rendu compte que mon père avait utilisé des mots un peu plus tardivement dans son oeuvre comme le mot tendresse.
Que penserait-il de tout ce que vous faites ?
Ben, il se dirait : » Tiens, elle est sympa, elle ouvre la porte ! » Je ne sais pas ! (rires). J’ai été élevée dans une atmosphère où on accueillait l’autre.
Et le reste de votre famille ?
Ils sont très respectueux du travail que je fais, vraiment. Ma soeur Isabelle vit en Belgique, ses enfants et ceux de mon autre soeur, Chantal (décédée en 1999, ndlr), habitent en France. Nous nous voyons régulièrement mais, dans la famille, nous parlons très peu de notre père.
Justement, quel genre de père était-il ?
Un père exceptionnel mais qui ne s’intéressait pas du tout à ses enfants. Ce n’est pas grave, il y en a plein comme ça... Il n’avait pas le temps. Mon plus beau souvenir de lui c’est lorsqu’un jour, sur la digue à Knokke, quand j’avais 18 ou 19 ans, il m’a dit : » Tu es une fille bien « . Nos parents ne faisaient jamais de compliments. Mon père m’a beaucoup apporté, il m’a donné une énergie extraordinaire, il m’a appris à persévérer...
Connaissez-vous ses chansons par coeur ?
Non, pas par coeur, ses textes sont compliqués ! Mais si vous me dites une phrase, je peux vous dire la chanson. Très souvent, j’écoute ses chansons dans la voiture et je chante avec lui ! Je ne sais pas si je chante bien mais je le fais pour me faire plaisir, parce que je suis portée par un texte. Il y a des chansons merveilleuses comme Je suis un soir d’été, Mon enfant, Grand-mère, puis des chansons qui portent l’exaltation comme Mathilde ou Jef. Je n’ai pas de chanson préférée.
N’avez-vous jamais eu envie de suivre la trace de votre père ?
Non, non, et il nous l’aurait interdit ! Il nous avait dit de ne pas faire de métier artistique parce que c’était trop dur, que les gens étaient méchants, se battaient entre eux.
D’autres chanteurs dans la famille ?
Bruno, mon cousin, un des fils de Pierre Brel, le frère aîné de Jacques. Il chante son propre répertoire et parfois des chansons de Jacques. C’est son métier.
Et vos enfants ?
Ils ont été élevés avec Brel, c’est sûr, mais ils ne chantent pas. Mon fils, qui vit au Canada où se trouve mon ex-mari, ne travaille pas encore et ma fille est architecte scénographe.
Et vous, vous avez fait des études d’assistante sociale...
Oui, c’est pour ça que je m’intéresse à l’autre. C’est pareil, le même boulot, en fait ! Les assistantes sociales écoutent et répondent aux questions.
Quels sont vos projets pour cette année ?
Nos locaux de la Fondation sont en travaux afin d’accueillir les visiteurs autrement à partir de cet été. Il y aura un espace découverte pour ceux qui ne connaissent pas bien Brel ; un espace cinéma où on projettera les films de et avec Jacques et puis un salon des archives où ces dernières seront consultables. On possède environ 8.000 articles de presse qu’on va mettre en page, on présentera des manuscrits, des montages audiovisuels sur des tablettes...
Bruxelles va » brusseler » pour les 40 ans ?
J’adore ma ville et ses habitants, je m’y sens bien, mais » brusseler » ne veut rien dire pour moi. Je n’ai aucune connotation à mettre à ce terme... C’est un truc pour la chanson !
1953: Naissance à Bruxelles
1971-1974: Etudes d’assistante sociale
Juillet 1974 – janvier 1975: Navigation en voilier avec son père
1981 : Création de la Fondation Jacques Brel, à Bruxelles
1988 : Epouse Jean-Paul Gilson
1989 : Naissance de sa fille Joana
1991 : Naissance de son fils Pablo
2002 : Epouse Francis De Laveleye
2003 : Grande expo pour les 25 ans du décès de Jacques Brel
2018 : Sortie des livres Jacques Brel, chanteur et Jacques Brel, auteur (éditions Jacques Brel)
40 ans après la mort de Jacques Brel, Filip Jordens rendait un impressionnant hommage musical au plus grand chansonnier belge.
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