Rencontre avec l’astronaute belge Raphaël Liégeois: « Mon rêve devient réalité! »
Les yeux plein d’étoiles, le Namurois qui a grandi avec Tintin, évoque sa nouvelle vie, sa formation pour devenir le troisième Belge à s’envoler vers l’espace.
Multi-diplômé, l’ingénieur et chercheur en neurosciences a été sélectionné, en novembre, par l’Agence spatiale européenne (ESA) parmi plus de 22.000 aspirants astronautes. Avec les quatre autres candidats de cette nouvelle promotion, Raphaël Liégeois suit, depuis avril, un entraînement au Centre européen des astronautes, à Cologne. Confidences entre deux cours...
Après les astronautes Dirk Frimout (mission spatiale en 1992) et Frank De Winne (2002 et 2009), vous serez le premier Wallon et troisième Belge de l’histoire à partir dans l’espace. Que ressentez-vous?
Du bonheur que ce rêve se concrétise de plus en plus! Une grande fierté, que je sois le 3e, 4e ou 5e Belge... Il y a aussi le sentiment bizarre que procure cette transition entre d’une part, un monde où mes modèles d’inspiration Dirk Frimout et Frank De Winne étaient comme des héros de bande dessinée qui ont construit mon imaginaire d’aventure et, d’autre part, ce monde réel où Frank De Winne a son bureau au bout du couloir... Je suis impressionné par la qualité de l’encadrement ici au Centre: nous sommes soignés aux petits oignons et ce n’est pas désagréable. (rires) Je me sens très privilégié... C’est une fierté et une responsabilité envers la Belgique, envers une génération aux yeux tournés vers nous car l’espace fait rêver beaucoup de monde et envers les autres candidats astronautes qui étaient autant qualifiés que nous.
Depuis quand rêviez-vous de devenir astronaute?
Depuis toujours mais je n’ai jamais pensé que j’aurais raté ma vie si je ne devenais pas astronaute. J’étais conscient de la mince probabilité. Ce rêve s’est construit petit à petit à travers les lectures, à travers les vols de Dirk Frimout et Frank De Winne. J’ai développé une envie d’exploration à différents niveaux. Pour l’exploration spatiale, Tintin y a contribué, de même que des films comme Apollo 13 que j’ai vu dix fois. Je me suis évadé avec eux...
Vous avez quitté votre poste académique de chercheur et d’enseignant en Suisse pour une formation d’astronaute, sous la direction de Frank De Winne. Vous voilà étudiant!
C’est génial! En fait, je suis toujours plus ou moins resté étudiant car, dans la recherche, on passe notre temps à apprendre, à lire des articles scientifiques... Ici, pendant treize mois, nous apprenons les outils qui permettront d’être efficaces une fois assignés à une mission. J’adore les cours de plongée pour nous préparer aux sorties extravéhiculaires (sorties dans l’espace, ndlr)! Il y a aussi des cours de structure de la station spatiale internationale (ISS), de gestion des relations d’équipe, de gestion du stress, de gestion des médias ou encore deux mois d’apprentissage du russe. Un des cours les plus difficiles, paraît-il, mais c’est une chance de pouvoir apprendre une nouvelle langue dans le cadre de notre travail.
Ma famille et moi serons tendus lors du décollage. Raphaël Liégeois
La formation est comme vous l’imaginiez?
Peut-être plus dure dans le sens où je ne m’attendais pas à des journées 8h30-17h30 si fatigantes. Il faut être attentif à 100%, en permanence, car ce sont toujours des nouvelles matières. Sans compter l’entraînement physique de 4 à 6 h par semaine. C’est intensif!
Quelle relation avez-vous avec les quatre autres nouveaux candidats astronautes?
Très bonne! Nous savons que chacun volera donc il n’y a pas d’esprit de compétition. Nous construisons vraiment une équipe, nous partageons quelque chose d’assez unique... Comme collègue de bureau, j’ai notamment l’astronaute français Thomas Pesquet avec qui j’aime discuter, comme avec les autres de la promotion de 2008, car ils ont une expérience extraordinaire. Ils prennent le temps de nous accompagner et de répondre à nos questions.
Après l’entraînement de base, quel est le programme?
En mai, l’un(e) d’entre nous cinq sera assigné(e) à une mission de six mois sur l’ISS, précédée d’un enseignement spécifique de deux ans (dédié à la fusée, aux expériences à faire à bord, etc.). Les autres devront attendre mais d’ici 2030, nous devrions tous avoir volé.
A bord de l’ISS, vous mènerez des expériences...
Oui, les astronautes sont des techniciens qui font des expériences scientifiques préparées sur Terre par différents partenaires. Des expériences sur le vieillissement cellulaire, par exemple. La micropesanteur permet de l’étudier par un autre biais que l’imagerie médicale que j’utilisais en tant que chercheur en neurosciences. L’absence de gravité permet d’observer comment les cellules se développent en trois dimensions, c’est-à-dire comme dans les tissus humains, et de voir éventuellement ce qui déclenche une pathologie.
Comment sera la vie dans la station?
Je serai très occupé! On nous a dit de ne pas nous attendre à pouvoir régulièrement juste regarder par la cupola, soit la fenêtre panoramique de l’ISS. Le timing est réglé à la minute près: des expériences scientifiques donc, deux ou trois heures de sport par jour, nettoyage de la station le samedi et un peu de temps libre le dimanche. Je prendrai quand même le temps de réaliser où je suis et d’en profiter. (rires)
Raphaël Liégeois
- 8/1/1988: Naissance à Bruxelles
- 2005: Diplômé de l’Athénée royal de Namur
- 2005-2011: Etudes d’ingénierie biomédicale à l’Université de Liège
- 2011-2015: Doctorat en neurosciences à l’Université de Liège
- 2017: Retour de Singapour à vélo, avec son épouse, en rencontrant des poètes
- 2018-2023: Chercheur et enseignant en Suisse
Vous êtes pilote de montgolfière, pianiste, guitariste, organiste, formé aux arts du cirque... Ces aptitudes servent-elles?
Certains éléments ont sûrement été importants pendant la sélection. On m’a, par exemple, demandé si j’avais connu des expériences de vol un peu plus difficiles en montgolfière. Mais je crois ma curiosité et mon ouverture à différentes disciplines parfois peu classiques comme l’orgue, ont été une force dans ma candidature.
Et le fait d’avoir lu « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune »?
Je pense que tous les candidats avaient lu Tintin! (rires) L’affiche la plus présente dans les bureaux au Centre des astronautes est celle de l’atterrissage de la fusée de Tintin sur la Lune. Cela a contribué à l’imaginaire de tous ici et c’est enthousiasmant de se dire que les Européens vont s’engager vers la Lune, peut-être d’ici 2030. Sans doute la précédente promotion, celle de Thomas Pesquet. Mais quand je regarde vers la Lune, je me dis qu’il est possible que j’y aille... Mars aussi me fait rêver car c’est un nouveau monde à découvrir.
L’exploration spatiale coûte très cher. Que diriez-vous aux réfractaires?
Oui mais en comparaison à d’autres budgets, militaires par exemple, c’est vraiment rien. En Europe, l’exploration spatiale coûte 1,50€ par an, par Européen, soit dix fois moins qu’en Amérique! Il y a une quinzaine d’années, on était dans le tournant du numérique. Aujourd’hui, on est à un tournant du spatial. On parle de triplement du volume de l’économie mondiale qui sera associée à des programmes spatiaux, soit 1.000 milliards d’euros d’ici 2040. Si nous ne développons pas notre indépendance dans ce domaine, nous serons simplement des clients qui payeront cher et vilain des services fournis par les Etats-Unis ou d’autres puissances. L’Europe doit donc investir dans les technologies spatiales pour ne pas se faire dépasser.
Avez-vous du temps pour la famille?
On m’a beaucoup dit qu’il est difficile pour un astronaute de préserver une vie de famille saine à cause des déplacements. Pour l’instant, cela se passe plutôt bien! Nous avons déménagé en Allemagne en famille parce que j’ai envie de voir grandir mes deux filles et de partager cette aventure avec elles. Elles sont encore trop jeunes pour comprendre ce qui arrive. Mes parents sont très contents de mon prochain départ vers l’espace et mon épouse ne m’a jamais vu aussi motivé pour un projet. C’est une chance pour toute la famille. Evidemment, je pense qu’on sera tous un peu tendus le jour du décollage!
Etes-vous angoissé?
Non, les normes de sécurité ont été perfectionnées ces dernières années. Comme dans toute activité, il y a des risques mais pour un vol spatial, cela vaut la peine d’en prendre! Je me réjouis du décollage, du vol, de l’arrivée sur l’ISS, de voir de mes propres yeux ce qui me fait rêver depuis longtemps...
L’exploration spatiale coûte 1,50€ par an, par Européen. Raphaël Liégeois
Craignez-vous de tomber malade dans l’ISS?
C’est une possibilité mais des entraînements sont prévus pour gérer ces situations. Nous avons notamment reçu une formation pour réaliser des opérations de base comme des perfusions intraveineuses. Puis, des médecins nous suivent à distance. Je ne m’inquiète pas.
D’ici l’espace, avez-vous une hygiène de vie à respecter?
On nous a demandé de rester en bonne condition physique. J’essaye de garder une hygiène de vie normale mais il n’y a pas d’interdiction spécifique. Je fais un peu plus de sport qu’avant afin d’augmenter ma densité osseuse et ma masse musculaire car on en perd énormément en apesanteur.
En tant qu’astronaute, souhaitez-vous passer un message?
L’exploration spatiale, c’est le développement de la recherche scientifique au bénéfice de l’humanité. Les sciences sont un grand espace de créativité et de beauté, elles sont chargées de sens car elles permettent de contribuer à un monde meilleur. C’est bateau de dire ça, mais vrai! On a tous besoin de donner du sens à ce que l’on fait...
Vous êtes devenu célèbre du jour au lendemain. Le ressentez-vous?
Oui, il y a eu un changement mais assez agréable pour le moment car les gens sont respectueux. On m’adresse des mots sympathiques ou on me photographie. On m’a prévenu que l’attention médiatique s’amplifiera après le vol.
Que dirait l’enfant que vous étiez à l’homme que vous êtes devenu?
C’est marrant car je regarde parfois une photo de moi petit que je conserve dans mon portefeuille. Ce garçon me dit: « Ne te lasse jamais de ce qui se passe autour de toi, garde ta dynamique, ta curiosité et ce regard espiègle. »
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