Rencontre avec François Pirette: « Mon spectacle réunit trois générations »
Depuis quarante ans, il se glisse dans la peau de nombreux personnages. Lever de rideau sur Thierry Van Cauberg, «petit drôliste» qui déteste son pseudonyme!
On connaît sans doute tous ses personnages fétiches comme Amédée, l’octogénaire en maison de retraite, ou encore la maman de Nathalie, coiffée de bigoudis. D’abord standardiste le week-end à la RTBF avant de se voir confier une émission de canulars téléphoniques, Thierry Van Cauberg, alias François Pirette, fête cette année ses 40 ans de carrière. Il nous reçoit en marge de la tournée de son nouveau spectacle «XYZ – 3 générations».
A quoi peut s’attendre le public qui vient vous voir?
Quand j’ai voulu faire le constat, le Polaroid, à l’instant T du jour où j’ai sonné mes quarante ans de cotisations sociales en ne faisant que ça de ma vie, je me suis rendu compte que j’avais la chance d’avoir, devant moi, des spectateurs sur trois générations.
Je suis conscient que ce n’est pas une démarche spontanée de leur part mais des enfants viennent me voir et rient. Pardon de l’avouer, mais j’écris pour moi, pour me faire rire, pour ma sensibilité du moment. Quand je me rends compte que sans calculs, sans rien, cette écriture touche la génération Z, j’en suis ému, flatté et fier. Donc, j’ai eu envie d’être plus attentif à ce côté transgénérationel du public. Au niveau des thèmes, j’ai toujours traité de préoccupations domestiques, de préoccupations immédiates, je ne pars pas dans de grandes réflexions philosophiques. Les gens qui me font confiance en venant me voir ont le droit de recevoir ce à quoi ils s’attendent et ce qu’ils espèrent, c’est-à-dire rire des choses immédiates pour ne pas dire simples.
Dans ce spectacle, on retrouve Amédée et la mère de Nathalie!
Oui, j’aime encore les jouer car ils sont ancrés dans notre décor culturel de belges francophones. On connaît tous une maman de condition modeste et une personne âgée en fin de vie qui n’a plus peur de ce que pensent les autres. Il a ce franc-parler dont j’ai besoin. Mais ces personnages sont aussi mon piège. Une certaine presse considère cela obsolète à une époque où il est considéré que le stand up est «in». Mais je crois qu’il est plus difficile de jouer la comédie, de rendre un personnage crédible pour raconter des choses que de le faire une main dans la poche et un micro dans l’autre main. C’est comme ça, je ne changerai plus...
Qui a inspiré ces personnages?
La voix d’Amédée m’a été soufflée par mon oncle Marcel, décédé l’an dernier. Il était le comique de la famille, mon idole! Aux réunions de famille, il imitait les vieux de notre environnement immédiat au Borinage. A 17-18 ans, on rigolait ensemble, on faisait les deux vieux, comme au Muppet Show, mais dans une autre authenticité, une autre connivence, tendresse… La maman de Nathalie est la synthèse des femmes de ma famille: mes tantes et ma maman. Ma sœur s’appelle Nathalie.
La voix d’Amédée m’a été soufflée par mon oncle Marcel, le comique de la famille. C’était mon idole.» François Pirette
Quel regard portez-vous sur vos quarante ans de carrière?
Le mot carrière est un peu gonflé... Je ne me suis pas rendu compte que ce serait mon métier. Je n’ai jamais arrêté. Faire rire aura surtout entretenu mes angoisses, tout le temps et dès le début. La panique de ne plus avoir d’inspiration, d’idées, n’ayant jamais eu d’auteurs, ayant toujours tout créé moi-même. Je ne me suis jamais senti légitime dans ce métier. Quand je vois ceux et celles qui me font rire, je n’ai rien à faire là… Je n’ai pas le tiers de la moitié du quart du talent qu’il faudrait pour me sentir à l’aise dans un métier que je considère avec beaucoup de respect et de fascination. Je suis un très grand admirateur des grands burlesques: l’une de mes idoles aujourd’hui est Sacha Baron Cohen, ce Britannique qui a créé le personnage de Borat. Moi, je suis un petit drôliste à côté de gars comme lui ou comme Jim Carrey, Jerry Lewis… Mais je suis très fier de faire ce que je fais, de n’avoir jamais dû exercer un autre job pour gagner ma vie, nourrir ma famille. Je suis d’une reconnaissance éternelle envers les gens qui viennent me voir. J’essaye de pratiquer un type de spectacle où ils sont fatigués en ressortant de la salle. J’aime le rire ventral.
De quelle manière les nouveaux médias ont-ils impacté votre travail?
Avant, lorsqu’on avait envie de pratiquer ce métier, une radio ou une télévision devait vous ouvrir la porte… L’avènement des réseaux sociaux et l’explosion du nombre de celles et ceux qui font rire ou tentent de le faire a tout chamboulé. Le plus dur, c’est que quand je voulais parler d’un fait d’actualité j’y allais franco parce que je savais que personne ne l’avait traité. On connaissait en effet le casting de ceux qui avaient accès au public, à la télévision et à la radio. Aujourd’hui, il faut trouver l’angle ! Ce n’est pas évident quand un seul sujet préoccupe le monde, à savoir le covid, pendant deux ans, et que je ne passe que trois à quatre fois par an sur RTL-TVI lors de soirées dites spéciales alors que tout le monde ne parle que de ça depuis un bon moment.
Vous avez été surnommé roi de l’audience. Comment l’expliquer?
J’en suis très heureux, c’est très flatteur! Je ne vais pas cracher dans la soupe mais ces records sont la réalité d’une époque maintenant révolue. Il faut s’adapter, faire autrement. Pourquoi je suis encore là? S’il y a une réponse, j’espère que c’est parce que régulièrement je fous tout à la poubelle et que je recommence de zéro tant dans la forme que dans le fond en restant fidèle à moi-même. J’ai l’impression que depuis quarante ans mon métier est un éternel Lego dont je n’ai jamais reçu qu’une boîte de quelques pièces classiques au départ mais qu’avec l’expérience et les opportunités, j’ai pu acheter des pièces complémentaires. Mais à chaque fois, je démonte et remonte le jouet! Sinon je m’ennuierais.
Votre humour a-t-il évolué?
Je crois que j’écris avec plus d’exigence qu’avant. Il y a une trentaine d’années, je pouvais écrire un sketch en dix minutes. Maintenant, il me faut cinq heures! C’est sans doute dû au fait que, même si mes personnages ne vieillissent pas, je ne peux plus rire à 60 ans de choses aussi futiles et légères qu’à 25 ans. Ce qui ne m’amuse plus aujourd’hui, par exemple, ce sont les accents, bien que je n’ai jamais trop donné dans ces facilités-là.
D’où vient votre pseudonyme François Pirette?
Quand nous sommes sortis de rhéto, mes copains et moi avons fait une fête à la maison. Comme on s’ennuyait, on s’est lancé dans des blagues au téléphone. Enfin… juste moi, finalement! A un moment donné, mon interlocuteur m’a demandé qui j’étais. Surpris de la question, ce nom «François Pirette» est sorti, je ne sais pas pourquoi! ça sonnait authentique, belge...
J’écris pour me faire rire moi, pour ma sensibilité du moment.» François Pirette
Quelques mois plus tard, je me retrouvais à la RTBF le dimanche et j’ai voulu faire un clin d’œil à mes copains en reprenant ce nom avec la voix du personnage. J’ai donc créé cette voix et d’autres pour mes canulars téléphoniques à la radio. Il y a eu un article dans la presse et c’était parti. Quarante ans plus tard, je n’assume toujours pas ce pseudonyme! Si j’avais su, j’aurais porté mon vrai nom Thierry Van Cau(berg) ou juste Van Cau. Je ne me présente jamais comme François Pirette. Puis, ce n’est pas joli sur une affiche, ça prend trop de place…
Qu’est-ce qui différencie Thierry de François?
Je ne ramène pas de travail à la maison : vous ne me verrez jamais, dans la vie privée, sortir une seconde un de mes personnages de sa valise, un morceau de voix, de texte. Jamais! C’est étanche au point que parfois il arrive qu’une personne vienne me trouver, dans un restaurant ou dans la rue, et que je ne comprenne pas le bout d’un de mes sketchs qu’elle me récite par gentillesse.
Votre vie en dehors de la scène?
Je suis un manuel contrarié donc je travaille beaucoup de mes mains dans la maison où j’habite, en Loire et Cher. Il fallait tout refaire dans cette vieille maison achetée il y a une vingtaine d’années. Je m’occupe aussi de mes animaux et des quatre enfants, sur les six (âgés de 8 à 34 ans, ndlr), que j’ai encore à charge. Puis, j’ai plein de passions, je joue de la musique, j’en fabrique…
Un de vos enfants suit-il votre voie?
Non. Mon fils, 11 ans, est celui qui a le regard le plus décalé sur les choses. Il a des fulgurances comiques à table. Il me fait vraiment rire! On verra ce qu’il en fera… Tout le monde me dit que c’est un mini moi. On se ressemble beaucoup, physiquement et dans le tempérament.
Vous êtes un tout frais sexagénaire… Ca fait quoi?
Frais, je ne sais pas. Récent, oui. Mick Jagger, lui, il est frais, à 80 ans! Avoir 60 ans ne m’a pas fait un coup mais ça veut dire que le chemin qui reste à parcourir se raccourcit. ça m’embête car je voudrais continuer à profiter des miens.
Où vous voyez-vous dans vingt ans? Dans un home, comme Amédée?
J’espère que non! J’aurai 80 ans. C’est rien du tout aujourd’hui quand on a la santé. Je serai sans doute sur scène. En tout cas, je mets de moins en moins d’énergie à incarner Amédée car je me rapproche de son âge! (rires)
Thierry Van Cauberg
– 1963: Naissance à Mons
– 1982: Trois mois d’études de publicité
– Fin 1982: Standardiste en tant qu’étudiant à la RTBF
– Début 1983: Emission de canulars téléphoniques à la RTBF
– 1992: Premier spectacle: «58 ans en 2021»
– 1993-1994: Rejoint Laurent Ruquier dans l’émission «Rien à cirer»
– 1995: Rencontre son épouse Julie
– 2004: Quitte la RTBF pour RTL
– 2021: Spectacle «SRAS et paillettes»
– Depuis 2021: Emission «Mad in Belgium»
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