Malade, quand faut-il arrêter de conduire?
Entorse, infection à l’œil, AVC, crise d’épilepsie, médicaments... Parfois, il vaut mieux laisser sa voiture au garage pour éviter les gros soucis. La justice est de plus en plus intransigeante avec ceux qui ne sont plus aptes à prendre le volant.
«J’ai récemment eu une uvéite, une inflammation à l’intérieur de l’œil, raconte Daisy, une lectrice. Cela a commencé par une douleur oculaire aiguë et une sensibilité à la lumière, me forçant à plisser les yeux. J’ai néanmoins conduit, notamment pour me rendre chez mon médecin malgré une vision floue. Celui-ci était stupéfait que personne ne m’ait accompagnée. J’aurais pu avoir un accident, me mettre en danger ainsi que d’autres personnes. Je me demande qu’elle aurait été ma responsabilité dans ce cas-là?»
Le risque d’amende
«Le Code de la route est très clair à ce sujet, répond un avocat spécialisé en droit de roulage, l’article 8.3 prévoit que tout conducteur doit être en état de conduire, présenter les qualités physiques requises et posséder les connaissances et l’habileté nécessaires. Il doit être constamment en mesure d’effectuer toutes les manœuvres qui lui incombent et doit avoir constamment le contrôle du véhicule ou des animaux qu’il conduit.»
Lorsqu’il reçoit son permis de conduire à l’administration communale, chaque conducteur signe une déclaration d’aptitude. Dans le cas qui nous préoccupe, Daisy avec son uvéite commet une infraction et risque en théorie une perception immédiate de 116 €. Ce serait également le cas d’un conducteur qui conduit avec des sandales ne tenant pas bien aux pieds ou un chien en liberté dans sa voiture.
La police décide, en fonction des faits, de dresser ou non un procès-verbal, et, en cas de contestation, c’est le juge de police qui statue souverainement. Dans les cas les plus graves, la police pourrait même procéder au retrait immédiat du permis de conduire, non sans avoir consulté au préalable le magistrat compétent. Ce dernier pourrait éventuellement désigner un médecin expert et le charger de déterminer l’aptitude à la conduite de la personne visée.
Des problèmes avec son assureur
«Un policier peut effectivement constater que vous avez un problème à l’œil, un bandage autour du poignet, ou une jambe dans le plâtre, commente Benoît Godart de l’Institut Vias. Et en cas d’accident, il va remplir un formulaire d’enregistrement. Il y aura alors un retour vers l’assurance qui enquêtera pour savoir si c’est votre problème de santé qui a provoqué l’accident. Dans ce cas, la compagnie pourra se retourner contre vous après avoir indemnisé les tiers si vous n’étiez pas apte à conduire.» L’assureur dispose effectivement d’un droit de recours lorsqu’il prouve qu’au moment du sinistre, le véhicule assuré était conduit par une personne qui a enfreint les restrictions.
«Les hypothèses de recours sont fixées par les conditions des contrats d’assurance, ajoute l’avocat en droit de la circulation. En réalité, ne pas déclarer une pathologie entravant la conduite, cela revient à faire fausse déclaration. Cela peut entraîner des conséquences pénales, car la situation du conducteur est assimilable à celle d’une conduite sans permis.»
Il avait fait trois crises cardiaques
Quid de la notion de force majeure? Selon le juriste que nous avons consulté, «un individu qui a une syncope, des vertiges, une crise cardiaque ou un autre malaise grave tout en étant au volant ne devrait pas être tenu pour responsable d’une violation de l’article 8.3 du Code de la route, ni être tenu pour responsable des éventuelles conséquences d’un accident résultant de telles circonstances. Car l’événement relève d’une situation imprévue ou d’une force majeure.»
Force majeure, oui mais…
Mais la jurisprudence regorge d’exceptions. Par exemple, un conducteur n’a pas pu invoquer la force majeure, car «il avait été victime d’une crise d’hypoglycémie quelques jours avant l’accident sans avoir consulté de médecin, que son rythme de sommeil était perturbé, de même que ses habitudes alimentaires et qu’il connaissait les inconvénients de son état de santé.» Un autre exemple? «Dans le cas où un automobiliste éprouve un malaise imminant avant de subir un infarctus en conduisant, et qu’il a déjà eu trois crises cardiaques par le passé, cet automobiliste, même s’il suivait un traitement adapté, aurait dû reconnaître que conduire dans de telles conditions n’était pas recommandé. Sous cet éclairage, l’infarctus ne peut être vu comme un événement imprévisible ou une force majeure.»
Sous l’influence de médicaments...
«J’avais été piquée par un insecte et comme je faisais une réaction assez forte, j’ai pris un antihistaminique pour contrer l’allergie, explique Anne. Je n’aurais jamais dû conduire ensuite, je n’étais plus en état.»
«D’autres problèmes de santé apparemment mineurs, comme le rhume des foins, peuvent avoir un impact significatif, ajoute Lorenzo Stefani, porte-parole pour l’organisation Touring. Les antihistaminiques affectent la vision ou les réflexes, par exemple. C’est comparable à la perception erronée de certains conducteurs qui pensent pouvoir conduire sans danger après avoir consommé deux verres de bière, alors que leurs réflexes sont diminués.
Par ailleurs, l’utilisation de certains médicaments tels que le Pantomed (qui diminue la quantité d’acide que produit votre estomac) peuvent influencer un contrôle d’alcoolémie. Il serait alors crucial de toujours se munir de la prescription médicale. Elle devrait spécifier clairement la capacité de conduite du patient sous médication, afin de démontrer la prévention et la bonne foi du conducteur en cas de contrôle routier. Car pour en revenir au Pantomed, nous avons eu un cas où une conductrice s’est vu retirer son permis et a dû faire face à un procès, car elle a été testée positive aux… stupéfiants! Alors qu’elle ignorait tout de ces substances et de la manière de se les procurer.»
Quels sont les risques?
Plus de 6% des Belges avouent conduire au moins une fois par mois sous l’influence de calmants ou de somnifères, ce qui peut entraîner de la somnolence et diminuer sérieusement les réflexes. Lorsque les médicaments modifient votre comportement, vous pouvez vous retrouver dans ce que la loi définit comme «un état analogue à celui d’ivresse résultant notamment de l’emploi de médicaments.» Ce qui est punissable d’une amende pouvant aller de 1.600 € à 16.000 € ainsi que d’une déchéance du droit de conduire d’un mois à cinq ans, voire définitive. En cas de contrôle, par exemple après un accident, la police pourrait vous imposer un test salivaire pour la détection de drogue et de médicament, comme l’absorption récente de benzodiazépines (des molécules prescrites pour soulager l’anxiété, le stress ou l’insomnie).
Il n’y a pas 36 solutions en cas de prise de médicaments. Il est conseillé de consulter la notice d’utilisation sur laquelle figurent les contre-indications relatives à la conduite et d’en parler à son médecin ou pharmacien. Et de de ne pas prendre le volant si besoin.
Quel est le rôle de votre médecin?
Un médecin doit aussi informer son patient des obligations concernant le permis de conduire. D’autant qu’il est déjà arrivé que la famille d’un conducteur décédé dans un accident poursuive en justice le médecin traitant qui aurait dû se rendre compte l’inaptitude de son patient et l’en informer. Mais dans les faits, il est très difficile de prouver une telle faute. Selon la jurisprudence, sauf circonstances exceptionnelles, ce sera généralement au patient ou à sa famille de rapporter la preuve de la faute commise par le médecin, d’où l’importance d’un dossier médical complet et tenu à jour.
Il ne peut pas vous dénoncer, sauf si…
Dans «L’aptitude médicale à la conduite» écrite par deux médecins légistes et un avocat, on rappelle le rôle du médecin, la loi et les obligations déontologiques des praticiens. Et en cas d’inaptitude à la conduite, il appartient au médecin de remplir un formulaire spécifique et d’insister pour que son patient le transmette à son administration communale afin de restituer son permis de conduire. Le médecin ne peut le faire lui-même sous peine de violer le secret médical auquel il est tenu. Ce n’est que face à un danger grave pour le patient ou pour des tiers qu’un docteur pourrait dénoncer les faits au procureur du Roi. Le secret médical s’efface alors face à une situation constitutive d’état de nécessité.
Notons cependant que pour certaines affections médicales, une période temporaire d’inaptitude à la conduite est imposée par la loi. Ce qui facilite la tâche des acteurs de la santé. Cela concerne les affections nerveuses, psychiques, l’épilepsie, la somnolence pathologique, les troubles locomoteurs, l’affection du système cardiovasculaire, de l’audition, du système vestibulaire et du diabète sucré. Impossible de tout détailler ici. Mais après un AVC, par exemple, vous ne pourrez plus conduire durant six mois. Le médecin évaluera ensuite votre aptitude à la conduite et vous autorisera à conduire ou non.
Apnée du sommeil, diabète…
D’autres exemples? Concernant le syndrome d’apnée du sommeil (somnolence pathologique), le candidat pourra être déclaré apte un mois après l’introduction d’un traitement efficace. Mais un suivi médical sera toujours nécessaire. Quant à l’aptitude à la conduite d’une personne recevant des injections d’insuline, elle devra être déterminée par un endocrinologue-diabétologue. La durée de validité ne pourra pas excéder cinq ans.
Quand le remède est pire que le mal?
Selon l’OMS, l’isolement social et la solitude sont d’importants facteurs de risque de développer des problèmes de santé mentale à un âge plus avancé. L’arrêt de la conduite peut avoir des effets profonds sur le bien-être d’une personne. Plusieurs études bien documentées suggèrent que les personnes qui cessent de conduire sont presque deux fois plus susceptibles de ressentir des symptômes dépressifs par rapport à celles qui continuent de conduire. Cette augmentation du risque de dépression est attribuée à l’isolement social, mais aussi à la perte d’indépendance qui peut survenir lorsque des personnes ne peuvent plus se déplacer par leurs propres moyens.
Perte d’autonomie, non!
Bien entendu, quand la conduite est interdite ou déconseillée, on peut s’appuyer sur sa famille, des amis pour se faire conduire à gauche et à droite. Il y a les chèques taxis, le transport social, etc. Mais toutes ces solutions sont ressenties comme une perte d’autonomie pour les personnes privées de volant. Heureusement, le médecin peut vous aiguiller vers un centre d’aptitude à la conduite, le Cara en Flandre et à Bruxelles, le Dac en Wallonie. Ce service est gratuit si les conducteurs présentent une diminution de leurs capacités: handicap, affection médicale, effets de l’âge.
Comment se déroule la procédure?
Dans un premier temps, le candidat à l’évaluation reçoit un questionnaire médical à remplir. Ces données vont permettre à une équipe composée de médecins, de neuropsychologues et d’experts en adaptation du véhicule, de décider quels types de tests doivent être effectués.
Ensuite, un test pratique se déroule sur la route. Il ne s’agit pas de repasser l’examen du permis de conduire, mais plutôt de placer la personne en situation afin de déterminer les problèmes rencontrés et de proposer des solutions adaptées.
Il existe plusieurs solutions techniques qui permettent d’adapter le poste de conduite: boîte automatique, boule au volant, accélérateur et frein au volant, pédale d’accélérateur à gauche... Elles peuvent êtres couplées avec certaines restrictions comme ne pas conduire de nuit, conduire dans un rayon limité de 10 km par rapport au domicile, pas de conduite sur autoroute, etc. «Les décisions d’inaptitude complète à la conduite sont très minoritaires. Dans plus de 90% des cas, on trouve une solution qui est satisfaisante, précise Benoît Godart de l’Institut Vias. Et cela ne pose aucun problème aux personnes concernées, car elles ne comptent plus traverser toute la Belgique pour aller en discothèque la nuit, mais plus simplement se rendre chez un ami ou chez le médecin grâce à leur véhicule.»
Attention à l’action récursoire
«Ces conditions ou restrictions sont reprises sous forme de codes, précise Belinda Demattia de l’Agence wallonne pour la sécurité routière. Elles comprennent les mesures touchant le conducteur lui-même telles que le port obligatoire de lunettes ou de prothèses, les limitations de conduite à certaines heures de la journée ou à certains trajets ou encore à certaines vitesses, et également les mesures d’adaptation du véhicule en fonction du handicap du conducteur. Mais attention, si le permis de conduire a été adapté avec ces codes et que l’usager ne les respecte pas, il pourrait très bien y avoir action récursoire, le fait qu’une compagnie d’assurance se retourne contre son assuré.»
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