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Comment faire hériter ses petits-enfants?

« Les petits-enfants ont plus besoin d’un héritage que leurs parents » entend-t-on souvent dire. Mais est-ce bien vrai ? Et comment contenter toutes les générations?

Avant, lorsqu’une personne renonçait à une succession, sa part allait à ses frères et soeurs. Depuis 2013, elle va à ses propres enfants. Cette modification de la loi successorale a donc rendu possible ce qu’on appelle le « saut de génération volontaire  » : lorsque la  » génération intermédiaire  » renonce à son héritage, celui-ci va aux petits-enfants. Ce mécanisme est automatique dès lors que l’héritier ou le légataire (désigné dans le testament) renonce à son héritage par dépôt d’une déclaration auprès d’un notaire ou au greffe du tribunal de première instance. En d’autres termes, la décision de sauter une génération appartient à l’héritier légal ou au légataire, c’est-à-dire à la génération intermédiaire. Les grands-parents peuvent en exprimer le souhait de leur vivant mais ne peuvent en aucun cas l’imposer.

En Flandre, le type de saut de génération n’a pas d’incidence sur la fiscalité. En Wallonie et à Bruxelles, le saut de génération volontaire est fiscalement moins avantageux que le saut de génération par voie testamentaire.

Tout ou rien

Bien que cette modification de la loi représente une énorme avancée, ce saut de génération  » passif  » présente encore quelques inconvénients par rapport à un saut  » actif  » dans lequel le grand-parent lui-même favorise ses petits-enfants dans son testament. Cette disposition impose en effet à l’héritier direct de renoncer à la totalité de l’héritage : c’est la règle du tout ou rien. Dans la pratique, on constate que si la génération intermédiaire accepte volontiers de céder une partie de son héritage à ses propres enfants, elle aimerait pouvoir en conserver un peu pour compléter sa pension.

La fiscalité

Imaginons que vous soyez dans la position de la génération intermédiaire et que vous renonciez à la succession de vos parents : vos enfants paieront-ils moins de droits de succession étant donné que l’héritage est partagé entre un plus grand nombre d’héritiers ? Jusqu’il y a peu, la réponse était négative dans les trois Régions. La loi stipule que  » la renonciation ne peut léser les intérêts du trésor  » et que  » les droits de succession après renonciation ne peuvent être inférieurs à ceux dont aurait été redevable l’héritier s’il avait accepté la succession.  » Le seul avantage fiscal est que les actifs sont immédiatement transmis  » une génération plus loin  » et qu’ils ne seront donc pas imposés au décès de la génération intermédiaire.

NOUVEAU Cette règle reste d’application à Bruxelles et en Wallonie mais en Flandre, depuis le 1er janvier 2018, le saut de génération donne droit à un avantage fiscal.

Exemple

Au moment de son décès, le grand-père est veuf et a un fils qui a lui-même trois enfants. Ses avoirs consistent en une maison d’une valeur approximative de 450.000€ dont le loyer lui permet de compléter sa pension et de payer la maison de repos. Si son fils hérite de la maison, il devra s’acquitter des droits de succession : 74.250€ en Wallonie, 73.300€ à Bruxelles et 73.500€ en Flandre. Si le fils renonce à la succession – de sorte que, par le jeu du saut de génération volontaire, l’héritage revienne à ses trois enfants – ceux-ci paieront en Wallonie et à Bruxelles des droits de succession identiques à ceux dont aurait dû s’acquitter leur père s’il avait accepté la succession. Il n’existe donc pas d’optimisation fiscale suite au décès du grand-père dans ces deux Régions : l’héritage est divisé en trois parties mais le taux reste le même, les trois enfants ne bénéficiant pas de la tranche d’imposition la plus basse comme c’est le cas en Flandre. Le seul avantage fiscal est que les actifs ont une génération d’avance et ne seront pas taxés au décès du père.

En Flandre, depuis le 1er janvier 2018, l’héritage des trois enfants est imposé au taux le plus bas. Ils ne paieront donc que 10.500€ chacun soit, 31.500€ ensemble, un avantage de 42.000€ par rapport aux 73.500€ dont ils auraient dû s’acquitter avant la modification de la loi successorale. Et, bien entendu, les actifs passent à la troisième génération.

Le testament

Léguer une partie de ses biens directement à ses petits-enfants par voie testamentaire correspond non seulement à ce que souhaitent enfants et petits-enfants mais est également intéressant sur le plan fiscal. Dans les trois Régions, les droits de succession sont calculés de manière distincte pour chaque héritier en ligne directe : plus il y a d’héritiers, moins les droits de succession sont élevés car chacun bénéficie d’une imposition au taux le plus bas. Puisque les petits-enfants sont imposés au même taux que les enfants, répartir son héritage sur ses enfants et ses petits-enfants permet de réaliser une belle économie fiscale.

Le grand avantage d’un saut de génération par voie testamentaire par rapport au saut de génération volontaire est qu’il n’est plus question de la règle du tout ou rien. Dans son testament, le testateur peut laisser une partie de ses biens à ses enfants et une autre à ses petits-enfants. En l’espèce, tout est planifié et les petits-enfants ne sont pas dépendants du fait que leurs parents acceptent ou non la succession. En Wallonie et à Bruxelles, c’est aussi un peu plus avantageux sur le plan fiscal.

Exemple

Reprenons notre exemple du grand-père et de sa maison de 450.000€. Imaginons que son fils lui demande de rédiger un testament par lequel il lègue sa maison directement à ses trois petits-enfants. En principe, le fils possède une part réservataire de la moitié (aussi bien dans l’ancienne loi successorale que dans la nouvelle qui entrera en vigueur au 1er septembre 2018 – voir ci-après) mais il n’est, bien entendu, pas tenu de l’exiger. Dans ce cas, les trois petits-enfants hériteront chacun d’un tiers de la maison par testament (et non par saut de génération volontaire), soit trois parts de 150.000€, chacun bénéficiant d’une imposition au taux le plus bas.

Dans notre exemple, en Flandre, les trois petits-enfants paient, ensemble, 31.500€ de droits de succession. Cette facture successorale est donc inchangée au 1er janvier 2018. Mais dans les autres Régions, le saut de génération par voie testamentaire offre un avantage fiscal très conséquent : 43.500€ en Wallonie (74.250€ -30.750€) et 44.650€ à Bruxelles (73.300€ – 28.650€).

Il existe d’autres combinaisons possibles – par exemple : 1/4 pour le père et 1/4 pour chacun des enfants ou l’usufruit pour le père et la nue-propriété pour les enfants – ce que le saut de génération volontaire n’autorise pas et pour lequel, rappelons-le, s’applique la règle du tout ou rien.

La donation

C’est une lapalissade mais, si on veut sauter une génération, mieux vaut prendre ses dispositions avant son décès. Par exemple, en effectuant, de son vivant, une donation d’une partie de ses biens directement à ses petits-enfants. Trois options s’offrent aux grands-parents : le don manuel, le don bancaire et le don devant notaire. Le don devant notaire est l’option la plus onéreuse mais si vous souhaitez faire don de biens immobiliers (par exemple un appartement) la loi impose que cela se fasse devant un notaire belge. Dans les trois Régions, les droits de donation pour les biens meubles entre parents et (petits-) enfants bénéficient d’un taux avantageux, 3 % en Flandre et à Bruxelles, 3,3 % en Wallonie.

Attention à la réserve !

Si vous choisissez d’avantager vos petits-enfants, vous devrez tenir compte de la  » réserve  » (la part réservataire) de vos enfants. On ne peut, en effet, déshériter ses propres enfants. Seule la quotité disponible peut aller aux petits-enfants. Cette réserve se monte à la moitié lorsqu’il y a 1 enfant, aux deux tiers s’il y en a 3 et aux trois quarts s’il y en a 3 ou plus. Dans la nouvelle loi qui entrera en vigueur le 1/9/18, la part réservataire sera limitée à la moitié, quel que soit le nombre d’enfants.

Sans entrer dans les détails, dans la nouvelle loi, la part réservataire des enfants ne constitue pas un obstacle quand ceux-ci approuvent la donation aux petits-enfants. Aujourd’hui, la loiinterdit toujours deconclure un accord à proposd’une succession qui n’estpas encore ouverte mais lanouvelle loil’autorisera.

Dans quelle Région paie-t-on les droits de succession ?

Les droits de succession et de donation sont différents selon les Régions. En outre, leur paiement dépend du lieu de résidence fiscale du défunt ou du donateur. Il ne s’agit pas nécessairement du lieu d’inscription au registre de la population. Le domicile légal ne vaut qu’à titre présomptif car c’est le lieu de résidence réel qui est déterminant. Imaginons une personne qui vit à la côte belge, possède un bien immobilier en Wallonie et un portefeuille dans une banque bruxelloise : ses héritiers devront payer l’intégralité des droits de succession en Flandre.

Si le défunt a vécu les cinq dernières de sa vie dans plusieurs Régions, les droits sont dus dans la région où il a eu sa résidence fiscale pendant la période la plus longue.

Un héritage, c’est plus que de l’argent !

Auteur : Rodolphe Masuy

 » Je n’ai plus de bonnes relations avec ma mère. Elle désire que mon héritage revienne directement à mes enfants, déclare Bérénice, 43 ans. Je ne suis pas dans le besoin. Je ne travaille plus pour moi, mais pour l’avenir de mes enfants. Néanmoins, le fait de ne pas hériter de ma mère reste très symbolique, très révélateur. Cela en dit long sur notre relation. « 

 » Mon fils unique a trois enfants, expose Michèle, 67 ans. Je ne l’ai plus vu durant plusieurs années, à cause d’un conflit avec ma belle-fille. J’avais alors pris contact avec mon notaire. Mon idée était que mes biens reviennent totalement à mes petits-enfants, que ma belle-fille n’en profite pas. Je ne pouvais pas totalement déshériter mon fils au profit de mes petits-enfants sans son accord. Mais 50 % de mon héritage serait allé directement à mes petits-enfants. J’ai changé d’avis depuis que nous avons retissé des liens. « 

L’héritage a une valeur symbolique: le patrimoine est aussi culturel.

Les motivations pour sauter une génération sont très diverses. Pour la Fédération royale du notariat belge, c’est clair, le saut de génération correspond à une évolution sociologique de la société :  » De nos jours, avec l’augmentation de l’espérance de vie, vos enfants héritent plus souvent à 50 ans qu’à 30 ans. Or, à 50 ans, leur parcours de vie est souvent déjà en grande partie tracé. Ils sont mariés, ont acheté une maison ou ont lancé leur société. Ils ont donc parfois moins besoin d’argent que vos petits-enfants. Vous souhaitez que votre succession revienne directement à vos petits-enfants à votre décès ? Le saut de génération fait partie des solutions... «  Cette démarche est donc positive. Du moins si elle est acceptée par tous, s’il n’y a pas d’arrière-pensées. Le saut de génération peut également être ressenti comme une injustice par les enfants.  » Je ne suis pas d’accord lorsqu’on dit que la génération intermédiaire n’a plus besoin de son héritage, s’insurge Sylvie L., 56 ans. Notre génération soutient, en effet, souvent durant de longues années, ses enfants qui peinent à trouver du boulot et à s’installer. Elle soutient en même temps ses parents âgés. Elle, qui n’a jamais connu le plein emploi, souffre également de la situation économique qui peut l’envoyer au chômage, avec très peu d’espoir de retrouver du travail au-delà de la cinquantaine. Et même quand ce n’est pas le cas, elle est bien consciente que les pensions belges comptent parmi les plus basses d’Europe, que l’épargne ne rapporte plus rien. Même si nous n’avons pas nécessairement besoin d’argent aujourd’hui, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de la majorité, nous aurons besoin d’argent pour financer notre vieillesse. Il faut déjà plus qu’une pension moyenne pour payer un lit et des soins en maison de repos ! « 

Il n’y a pas que l’argent !

Pour d’autres, par contre, comme le soulignent les témoignages recueillis plus haut, le saut de génération peut être envisagé comme un moyen de  » punir  » ses enfants. Et ce, sans briser totalement le lien avec sa descendance.  » L’héritage, comme l’enterrement, sera un repère très symbolique pour les survivants, écrit Patrice Cuynet, professeur de psychologie clinique. C’est un moment solennel de transmission pas uniquement matérielle, mais identitaire. Il y a réaffirmation du contrat narcissique (...) «  En psychologie, le contrat narcissique est un processus qui lie l’individu à sa famille dans la chaîne des générations. Il a pour objectif d’assurer la continuité de la lignée. Il est aussi porteur des valeurs des anciens. En clair ? Les grands-parents donnent du matériel, certes, mais aussi de l’immatériel sur le thème du  » tu te souviendras de moi « . Pour l’enfant privé d’héritage, le message reçu peut symboliquement être très bouleversant. Car outre le fait de ne pas recevoir des biens et de l’argent, on lui refuse aussi la transmission de valeurs. Tout n’est pas qu’argent dans un héritage.  » C’est parfois l’homme le plus pauvre qui laisse à ses enfants l’héritage le plus riche « , se plaisait à dire Ronald Ross, célèbre bactériologiste britannique.

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