Divorce: comment bien protéger le conjoint qui a moins travaillé
Que se passe-t-il lors du divorce d’un couple dont l’un des conjoints travaille à temps plein tandis que l’autre, qui a choisi de s’occuper des enfants, ne travaille qu’à temps partiel, voire pas du tout ? Des compensations sont-elles prévues ? Comment le protéger ?
» J’ai 58 ans. Je n’ai été salariée que durant 4 ans afin de pouvoir élever nos enfants. Mon mari indépendant possédait son entreprise. Il prendra sa pension l’an prochain. Nous sommes mariés sous le régime de la séparation des biens. Il affirme donc qu’il n’a rien à me payer en cas de divorce. Est-ce exact ? «
Eric De Corte, médiateur et consultant en divorce, est confronté tous les jours à ce genre de question. Il témoigne d’une inquiétude bien compréhensible. Personne ne souhaite rester sans ressources. C’est pourtant ce qui arrive au sein de couples qui divorcent tardivement. Après le divorce d’un couple marié sous le régime de la séparation des biens, le conjoint qui n’a pas de revenus propres et n’a pas cotisé pour sa pension, se retrouve dans une impasse financière. Jusqu’ici, même en cas de régime de communauté des biens, le conjoint sans revenus ne peut prétendre à un partage de la pension de son exconjoint. Il existe bien une pension pour conjoints divorcés mais elle est peu élevée et les ex-conjoints d’un fonctionnaire n’y ont pas droit.
Un accord obtenu via une médiation est mieux accepté et respecté que la décision d’un juge.
Ce que dit la loi
Contrat de mariage ou non ? Les couples mariés sans contrat relèvent du régime légal. Les revenus sont donc versés dans la communauté. Celui qui travaille partage avec son conjoint, qui ne travaille qu’à temps partiel ou pas du tout, ce qu’il a accumulé via ses salaires et une éventuelle assurance de groupe. Même chose pour les biens immobiliers : ce qui a été acheté pendant la période du mariage est commun. Ce n’est évidemment pas le cas dans un régime de séparation des biens. Si le conjoint qui travaillait a fait verser ses revenus sur un compte en nom propre, a épargné sur un compte dont il est l’unique titulaire ou a investi seul dans un bien immobilier, l’autre conjoint risque fort de rester les mains vides. Les choses peuvent être moins radicales. Exemple : même mariés sous le régime de la séparation des biens, vous pouvez convenir dans votre contrat de mariage que celui qui travaille fera des versements réguliers au profit de celui qui ne travaille pas. Si vous êtes déjà mariés et que cette clause ne figure pas au contrat, vous pouvez l’y introduire. Il faut également noter qu’un nouveau type de contrat est en préparation qui, en cas de divorce, protégera le conjoint qui reste à la maison (voir encadré).
Et la pension alimentaire ? La pension alimentaire que le conjoint qui a sacrifié sa carrière professionnelle peut demander est une manière d’obtenir une (petite) compensation. Néanmoins, son obtention n’est pas garantie. Le conjoint qui serait condamné à la payer pourrait invoquer une » faute grave » de son ex comme l’adultère et échapper à son obligation de paiement. Le montant sera limité à maximum 1/3 du revenu du débiteur sur une durée équivalente à la durée du mariage.
Se mettre d’accord
En cas de divorce, le conjoint resté à la maison peut aussi se mettre d’accord avec son ex pour que, économiquement plus fort, il se montre généreux et offre plus. Mais il vaut mieux ne pas trop y compter. » Il existe néanmoins des éléments fondamentaux souvent oubliés, fait remarquer Eric De Corte. Parmi les obligations matrimoniales, il en est deux qui nous intéressent ici : aide et assistance. Et ce, même après le mariage ! L’aide fait référence au soutien matériel dû à l’ex-conjoint. Il n’est donc pas vrai qu’une personne mariée sous le régime de la séparation des biens ne devrait rien payer à son ex. Le paiement d’une pension alimentaire peut lui être imposé. «
La qualité de vie Qu’entend-t-on par » pension alimentaire » ? Il suffit de s’en remettre à la loi et plus précisément à l’article 301 §3 du code civil : » Le tribunal fixe le montant de la pension alimentaire qui doit couvrir au moins l’état de besoin du bénéficiaire. » Ce qui n’a rien à voir avec » maintenir le niveau de vie « . » C’est vrai, admet Eric De Corte. Il convient de faire la distinction entre séparation de fait et séparation définitive. Dans le premier cas on parle du » niveau de vie « , dans le second de » l’état de besoin « . En ce qui me concerne, quand je constate un déséquilibre financier important entre les deux conjoints parce que l’un n’a pas ou peu travaillé pour se consacrer totalement à la famille, je demande au mieux nanti ce que signifie, pour lui, » qualité de vie » et » revenu acceptable « . J’essaie qu’il se mette à la place de l’autre. C’est l’intérêt d’une médiation. Ce n’est possible que si les deux parties souhaitent parvenir à un accord. Et si elles y arrivent, il sera mieux accepté et respecté que la décision d’un juge. En tant que médiateur, vous devez considérer les intérêts de chacun. Cela ne signifie pas que le conjoint qui a des revenus plus faibles ou qui a moins travaillé doive gagner un Win for life mais il faut que la » qualité » soit là. Attention, mon intention n’est pas de mettre le conjoint le plus riche sur la paille ! Nous examinons sereinement les ressources propres du conjoint dont la situation nécessite le paiement d’une pension alimentaire. «
Un montant variable La médiation possède un autre avantage : le montant convenu peut être dégressif. Il est tenu compte de la baisse de revenus du débiteur au moment de sa pension alors que le tribunal fixe généralement un montant linéaire. » La loi ne donnant aucun mode de calcul, on constate de grandes différences d’un juge à l’autre sur le montant accordé à la pension alimentaire. «
Faut-il tenir compte des revenus que pourrait percevoir le conjoint moins bien nanti ? » Absolument. Cela dépend évidemment du moment de la séparation. Les années où un conjoint a moins ou pas du tout travaillé pour prendre soin de la famille doivent entrer en ligne de compte pour la pension. Il faut trouver un mode de compensation. » Selon la loi, la pension alimentaire n’est due que pour une période équivalente à celle du mariage. » Je constate cependant que les couples s’accordent souvent sur une période plus courte, car ils souhaitent prendre en compte d’autres facteurs. Il arrive que cette période soit allongée parce que le conjoint le plus nanti ne veut pas que son ex soit dans le besoin. «
Un accord équitable ne signifie pas que le conjoint qui a moins travaillé gagne un billet Win for life !
1/3 de quoi ? Pour Eric De Corte, la loi n’est pas claire sur un autre point. » Elle parle d’une pension alimentaire jusqu’à 1/3 du revenu mais ne précise pas ce qu’il faut entendre par » revenu « . S’agit-il uniquement du revenu professionnel net ou faut-il inclure les revenus de biens meubles et/ou immeubles ? L’intention du législateur est que l’ensemble des ressources soit pris en compte et ce, tant dans le chef du débiteur que de celui du bénéficiaire. Il serait effectivement injuste que le bénéficiaire ait droit à une pension alimentaire s’il dispose déjà de revenus locatifs (suffisants), de revenus mobiliers ou d’un revenu professionnel propre. L’inverse vaut également pour le débiteur qui pourrait avoir un revenu professionnel peu élevé mais disposer de revenus complémentaires sous forme de loyers, d’intérêts de placements ou de dividendes. «
Une vue d’ensemble » Avant tout, j’explique les dispositions du Divorce par consentement mutuel (DCM), procédure qui suppose que les conjoints soient d’accord. Je passe tout en revue : les biens immeubles, les biens meubles (argent, dettes, titres, biens ménagers, voiture, assurance...), mais aussi l’héritage, la pension alimentaire, les conventions qui concernent les enfants et, last but not least, la fiscalité. Les gens oublient parfois certains éléments, comme leur assurance vie, par exemple. Si votre ex conjoint Charles Dupont figure comme bénéficiaire du contrat et que vous ne modifiez pas cette clause, Charles Dupont restera le bénéficiaire. Par contre, si vous indiquez comme bénéficiaires vos héritiers légaux, vos enfants seront les bénéficiaires. Il est donc extrêmement important de vérifier son contrat. Attention aux assurances de groupe oubliées, consciemment ou inconsciemment. Il faut aussi anticiper le décès de l’ex-conjoint qui paie la pension alimentaire. Vous pourriez faire préciser que vos enfants paieront un montant donné sur la succession. Il est essentiel d’avoir une vue d’ensemble de la situation avant de prendre les dispositions qui mettront les futurs ex sur un pied d’égalité. «
Vers un nouveau régime?
Le régime de séparation des biens des couples dont l’un des conjoints gagne moins, travaille à temps partiel ou pas du tout, verra bientôt l’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition. Il est prévu que, dans le contrat de mariage, le couple puisse préciser le pourcentage que le conjoint moins nanti percevra en cas de divorce. Le conjoint économiquement plus fort versera une somme donnée au conjoint économiquement plus faible. On concilie de la sorte les intérêts des personnes qui possèdent une entreprise – et tiennent à se protéger avec un contrat de séparation de biens – et ceux des conjoints ayant fait le choix de ne pas travailler pour s’occuper des enfants.
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