Stéphane Cauchies, spécialiste des objets anciens chez Sérénité © P.G.

Héritage: la valeur émotionnelle des objets

Lorsqu’une personne quitte son foyer pour un logement plus adapté ou une maison de repos, son habitation est la plupart du temps mise en vente. Elle se sépare alors d’un tas d’objets, sans pour autant connaître leur véritable valeur.

Il est possible de se faire aider pour valoriser ses biens, son héritage en objets, lors d’un déménagement. C’est notamment le job de Stéphane Cauchies, spécialiste des objets anciens chez Sérénité, un cabinet de deux experts spécialisés dans l’immobilier et le mobilier. Son associée, Charlotte André, se charge quant à elle du volet immobilier.

Stéphane Cauchies pratique l’inventaire « émotionnel » des biens, un moyen de dénicher les trésors cachés des maisons, de raconter l’histoire familiale et même de prévenir les conflits familiaux. « Un album photo jauni par le temps, dit-il, peut devenir un précieux témoignage historique. On pense que ça ne vaut pas grand-chose. Et pourtant. Des clichés d’Afrique des années 1930, montrant des scènes de vie ou des personnages locaux, peuvent avoir une valeur ethnologique et financière insoupçonnée. Certaines photos peuvent atteindre 1.000 ou 2.000 € l’unité sur le marché des collectionneurs. De même, les objets du quotidien, comme les jouets anciens, peuvent susciter un vif intérêt. Les accessoires de mode, comme un sac ou un chapeau de marque, trouvent aujourd’hui preneur bien plus facilement qu’un tableau flamand du XVIIe siècle. Le patrimoine familial ne se limite pas aux pièces imposantes. Tout est susceptible d’avoir de la valeur, à condition d’être mis en lumière. »

« La démarche du petit-fils était vénale »

« Une expérience récente m’a particulièrement marqué, relate Stéphane Cauchies. Un monsieur de plus de 80 ans, en pleine possession de ses moyens, avait décidé de répartir équitablement son patrimoine entre ses enfants. Il avait également choisi de vendre certains objets de valeur.

Un jour, un de ses petits-enfants, que je ne connaissais pas, s’est présenté dans mon bureau. Il était en colère, estimant que certains objets lui revenaient de droit. Il évoquait un attachement sentimental, mais sa démarche semblait surtout motivée par la valeur financière des biens. Il exigeait évidemment les pièces les plus chères. Ce moment a été difficile. J’ai dû lui expliquer que les décisions de son grand-père, validées par ses parents et oncles, ne concernaient pas directement sa génération. Il a insisté, utilisant des arguments émotionnels et il a réussi à influencer son grand-père. Ce type de situation souligne un enjeu crucial : celui de protéger les (grands-) parents non seulement de tiers malintentionnés, mais parfois même de membres de leur propre famille. »

L’intérêt se trouve aussi dans un détail

Si les objets ont une valeur vénale, ce qu’ils racontent sur la vie de la personne et l’histoire familiale en ont tout autant, si pas plus. Particulièrement parce que le marché de l’art et des objets anciens a beaucoup évolué ces dernières années. La valeur ne se trouve plus nécessairement dans les pièces imposantes ou les biens typiques : tableaux, meubles et objet d’art, bijoux, argenterie, livres anciens, collections, etc. Elle peut être ailleurs : dans un détail, une histoire, ou un usage détourné. Bien souvent, on entend des récits de personnes ayant fait appel à un vide-maison pour désencombrer leur habitation, sans se rendre compte qu’elles ont laissé filer des trésors. Le patrimoine ne se limite clairement plus à des objets prétendument coûteux : chaque maison regorge de trésors fortuits, porteurs d’histoires et parfois d’une aura insoupçonnée.

Un exemple ? Les boîtes en fer dans les greniers contiennent des pépites. Des années 1880 à environ 1915, avant l’avènement du téléphone, on pouvait s’écrire plusieurs fois par jour dans certains milieux. Les cartes postales illustrées de cette époque, particulièrement celles de type Art nouveau, peuvent certes valoir jusqu’à 1.000 € pièce, mais elles relatent surtout des tranches de vie, c’est ce qui fait leur charme. Le spécialiste a notamment eu accès à une correspondance amoureuse entre une infirmière sur le front à l’arrière des tranchées et une dame de la haute bourgeoisie, un amour lesbien pour le moins inédit à l’époque. 

Aujourd’hui, selon les acteurs du secteur, les clients qui demandent à ce qu’on désencombre leur maison sont en réalité des clientes, des veuves. Plus exactement, ce sont très souvent leurs enfants qui font les démarches. Car leur maman se trouve fragilisée. Un décès et un déménagement, cela provoque inévitablement une situation psychologique tendue. Ces personnes doivent prendre des décisions dans des moments difficiles, contacter des professionnels qu’ils ne connaissent pas. Il est nécessaire de mettre en valeur l’habitation, ranger, désencombrer. Il faut aussi faire le deuil des objets si la personne en ressent le besoin (quand d’autres voudront faire table rase du passé). C’est alors qu’on va raconter leur histoire une dernière fois, raviver les souvenirs pour les préserver, recréer un dialogue et redonner du sens aux objets anciens à l’heure où les liens entre générations s’effacent. 

Des personnes ont fait appel à un brocanteur pour désencombrer leur habitation, sans se rendre compte qu’elles ont laissé filer des trésors.

Un inventaire détaillé contre les abus

L’idée est alors de dresser un inventaire détaillé et transparent de ces objets. Un petit catalogue qui aura une double fonction. Il s’agit d’abord d’une opportunité, celle de raconter le roman de chaque objet. En évoquant son origine – un cadeau de mariage, une naissance, un anniversaire –, on lui redonne son importance. Ce partage d’histoire contribue à renforcer les liens familiaux et à préserver la mémoire collective. Certains objets portent une charge émotionnelle, mais avec le temps, ils risquent de perdre de leur signification pour les nouvelles générations, notamment les petits-enfants qui n’ont pas toujours connu leurs grands-parents. 

L’inventaire permet aussi de prévenir les abus. Il arrive que des désaccords ou des malentendus surgissent au moment de la transmission des biens. Un enfant de la fratrie peut agir de manière déloyale, profitant de la fragilité des parents. L’inventaire est alors un outil qui, partagé avec tous les héritiers, sécurise la transmission et garantit une gestion équitable. Quand l’établit alors que la personne est encore lucide et en pleine possession de ses moyens, on protège à la fois les parents et les enfants. On fait œuvre de mémoire aussi.

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