© Ellen Van Den Bouwhuysen

L’euthanasie, le choix conscient de Jan Ceuleers

En marge des débats actuels autour du concept de « vie accomplie », nous avons rencontré Barbara Ceuleers qui raconte pourquoi son père, atteint de la maladie d’Alzheimer, a opté pour l’euthanasie.

Barbara Ceuleers est la fille de Jan Ceuleers, directeur des programmes de la BRTN (devenue VRT). Lorsqu’on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer, Jan Ceuleers a n’a pas hésité en choisissant de recourir à l’euthanasie pour une fin digne. Il avait vu ce que sa propre mère avait subi. Bien qu’elle n’ait jamais été diagnostiquée comme atteinte de démence, il était évident que sa situation était devenue inhumaine. À un moment donné, il ne voulait plus que sa famille l’accompagne lorsqu’il rendait visite à sa mère. Pour lui, le choix de l’euthanasie était aussi un choix pour sa femme et sa fille.

En écrivant son livre (*) , Barbara Ceuleers avait deux objectifs en tête. D’une part, l’écriture l’a aidée dans son processus de deuil, car ce n’est pas rien de dire adieu à un père dévoué et aimant. D’autre part, elle voulait aussi informer. L’ensemble de la procédure d’euthanasie de son père, qu’elle a vécu avec sa famille, lui a fait comprendre qu’il y avait encore beaucoup d’idées reçues à ce sujet. Dans son livre, elle raconte son histoire personnelle, mais rapporte également les conversations qu’elle a eues avec des spécialistes, des experts du vécu, des médecins et des politiques.

L’une des principales idées reçues est que la déclaration anticipée relative à l’euthanasie aurait pour effet que vous pouvez être euthanasié si vous n’êtes plus conscient.

Si une personne est victime d’un accident et tombe dans un coma irréversible, une euthanasie sera pratiquée si elle a complété la déclaration anticipée ad hoc. C’est le seul cas où il peut y avoir une euthanasie sur la base de ce qu’une personne a déclaré au préalable. Aujourd’hui, une personne atteinte de démence ne peut toujours pas dire : si je ne reconnais plus mon conjoint et mes enfants, je veux être euthanasiée. Dans tous les autres cas, le patient doit en effet faire la demande d’euthanasie au moment où il est encore capable d’exprimer sa volonté.

À cet égard, il est souvent fait mention de la demande d’euthanasie de l’écrivain Hugo Claus, intervenue trop tôt.

Mon père a également évoqué l’euthanasie d’Hugo Claus. Il était juriste de formation et suivait ce sujet de près. Il voulait aussi qu’un communiqué de presse sur sa mort mentionne explicitement qu’il avait choisi l’euthanasie. Nous avons la chance de vivre dans un pays où l’euthanasie est possible. Mais le fait qu’elle ait dû être pratiquée si tôt dans le processus de la maladie, car elle devait être demandée quand il est encore capable d’exprimer sa volonté, reste un point très difficile pour moi. J’aurais tellement aimé que mon père reste avec nous plus longtemps. Même s’il avait été désorienté, même s’il avait été un peu moins mon père, cela ne m’aurait pas dérangée. Nous aurions pu passer encore de bons moments...

En 2022, la commission a enregistré 2.966 documents de demande d’euthanasie

La loi assortit la demande d’euthanasie d’une série de conditions. Le patient doit, entre autres, être atteint d’une maladie incurable et souffrir de manière insupportable. Un médecin peut déterminer la première condition, mais pas la deuxième.

En effet, la tolérance à la souffrance est différente pour chacun. Seul le patient peut affirmer que la souffrance est insupportable pour lui. Un médecin peut juger si la maladie est incurable – ce qui ne signifie pas nécessairement que le patient est en phase terminale. Légalement, il est question d’une « situation médicale sans issue ». Une distinction est aussi faite entre les maladies dont il est attendu qu’elles entraînent « le décès à brève échéance » et les autres.

Dans le cas de mon père, la maladie d’Alzheimer est incurable, mais il n’était pas en phase terminale. Le pronostic vital n’était pas engagé à brève échéance. Dans de telles situations, une condition supplémentaire est ajoutée : il doit s’écouler au moins un mois entre la demande et l’exécution de l’euthanasie.

La démence implique une souffrance psychologique insupportable, conséquence d’un trouble physique. Comment cette souffrance psychologique s’est-elle exprimée dans le cas de votre père ?

Mon père était un intellectuel qui aimait lire et écrire. Il sentait qu’il déclinait intellectuellement et cela l’horripilait. De plus, le fait qu’il devienne une charge pour nous lui causait une souffrance insupportable. Au début, il allait chez le neurologue tous les six mois, puis tous les trois mois. À chaque fois, celui-ci lui demandait comment il se sentait mentalement, comment il voyait l’avenir. Le médecin a remarqué que papa supportait de moins en moins l’évolution de son état. Comme il souffrait d’un trouble non terminal, il a dû consulter deux autres médecins ainsi qu’un psychiatre. Deux étaient des médecins LEIF (NDLR : aussi connu sous le nom EOL pour End-of-Life, fin de vie), ce qui n’est pas une obligation. Les médecins LEIF ont toutefois une grande expertise dans ce domaine.

Une souffrance psychique insupportable est un concept difficile à cerner. Vous l’avez d’ailleurs constaté par vous-même en visitant un hôpital psychiatrique.

Actuellement, peu de psychiatres sont ouverts à l’euthanasie. Je peux le comprendre. Les troubles psychiques demeurent moins connus. Et si une solution se présente demain ? Quand une situation médicale est-elle sans issue ? Ce n’est pas facile.

Une personne sollicitant l’euthanasie n’est pas tenue d’en informer sa famille. C’est pourtant une demande de nombreux médecins.

Il n’est en effet pas obligatoire d’en informer sa famille. Cela m’a également choqué. La décision appartient au patient seul. Mais certains médecins affirment : « Pour moi, c’est un point de rupture. Vous accompagnez un patient, il ou elle a un entourage. Vous ne voulez pas que les proches soient laissés avec des questions, voire avec un traumatisme. » Une démarche que je trouve honorable de la part de ces médecins.

2,5% des décès survenus dans notre pays en 2022 découlent d’une euthanasie.

Votre père a également établi un mandat de protection extrajudiciaire pour vous et votre mère.

Oui, il voulait être prêt à tout. Il ne faut pas oublier non plus que c’était l’époque de la pandémie. Mon père craignait que l’euthanasie ne puisse avoir lieu au moment prévu et qu’il soit ensuite trop tard. Même dans le cas d’un mandat extrajudiciaire, la personne qui donne le mandat doit être juridiquement capable au moment où elle le fait. Contrairement à une procuration ordinaire, le mandat extrajudiciaire est applicable en cas d’incapacité de la personne. Il a choisi de faire en sorte que le mandat prenne effet immédiatement, ce qui n’était pas nécessaire. J’en ai ri en pensant qu’il avait fait cela parce qu’il était un peu paresseux. Mais en fin de compte, nous n’avons pas eu besoin de recourir à ce mandat.

Avez-vous découvert d’autres idées reçues par rapport à l’euthanasie ?

Je pense qu’il est important de dire que la déclaration anticipée relative à l’euthanasie n’implique pas de frais de notaire. Il y a parfois une certaine confusion à ce sujet. Seul un mandat de protection extrajudiciaire doit être remis au notaire, ce qui entraîne effectivement des frais, mais ce n’est pas le cas pour une déclaration anticipée. Une autre idée reçue est que les médecins seraient obligés de consulter le registre dans lequel vous avez fait inscrire votre déclaration anticipée relative à l’euthanasie via l’enregistrement auprès de votre commune. Ce n’est pas le cas ! Il est donc toujours très important d’informer certaines personnes de votre volonté. Et de le faire inscrire dans votre dossier médical.

J’aurais tellement aimé que mon père reste avec nous plus longtemps.

Il existe également d’autres types de déclarations anticipées comme vous le soulignez dans votre livre.

En effet ! J’ai également voulu aborder les autres options dans mon livre, car l’euthanasie est un choix individuel. Tout un chacun peut aussi opter pour d’autres solutions. La déclaration anticipée négative est très importante, car elle permet d’indiquer les traitements que vous ne souhaitez plus recevoir dans certaines situations. Je trouve toutefois cela très étrange : quelqu’un peut choisir de ne plus recevoir de nourriture, ce qui est en fait un choix de « mort à petit feu », mais on n’a pas le droit de choisir d’être « aidé » pour partir en douceur en cas de démence. En tant que fille, je peux dire que j’ai été très heureuse que mon père ait choisi l’euthanasie.

Certains hôpitaux refusent d’appliquer l’euthanasie.

Les médecins peuvent refuser, mais pas les hôpitaux. L’institution ne peut pas interférer dans la décision. J’ai entendu des histoires de médecins qui se sont vu refuser l’accès à maisons de repos et de soins ou d’infirmières qui n’ont pas été autorisées à apporter leur aide. Vous pouvez intenter un procès dans de tels cas.

Quelles conditions légales ?

• Vous devez être capable d’exprimer votre volonté. Vous devez donc être conscient de ce que vous décidez.

• Vous devez subir des souffrances physiques ou psychiques insupportables (dans le cas des mineurs, il doit s’agir de souffrances physiques insupportables).

• Votre demande d’euthanasie doit être faite de manière volontaire, réfléchie et répétée. Personne ne peut le faire à votre place. La demande doit être écrite, mais la forme en elle-même n’est pas déterminante.

• Votre situation médicale est sans issue (maladie incurable). Il peut s’agir d’une affection à un stade terminal ou non. Ce dernier cas n’est envisageable que pour les adultes. Dans le cas d’une maladie à un stade terminal, le médecin est tenu de consulter un deuxième praticien (et l’avis d’un psychiatre ou d’un psychologue pour enfants et adolescents s’il s’agit d’un mineur). Pour les affections à un stade non terminal, deux médecins supplémentaires doivent être consultés. En outre, un délai d’attente d’un mois est prévu entre l’introduction de la demande et l’euthanasie.

(*) Barbara Ceuleers, Doodgewoon – Euthanasie, van Alzheimer tot Zelfbeschikking. Ed. Ertsberg. 22,50 €.

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