A la poursuite du diamant noir
La truffe noire, Tuber Melanosporum, fait l’objet d’un véritable culte dans le Vaucluse. En route pour un cavage dans une truffière et des dégustations, bien sûr !
Consommée cuite en papillote par les Egyptiens, grignotée comme un bonbon au théâtre par les Romains, la truffe noire était jugée satanique en France au Moyen Age. En cause : sa couleur et sa provenance puisque, à l’époque, ce qui venait du sol venait du diable... Et puis sa réputation d’aphrodisiaque avait un arrière-goût de péché. Qu’importe, ce fabuleux champignon sera réhabilité sous François Ier et deviendra un produit noble.
Avec un chien truffier
Dans ce département du sud-est de la France, la reine des truffes, la Tuber Melanosporum, constitue la principale variété. Aussi nommée truffe noire du Périgord (une appellation botanique et non géographique vu qu’il n’y en a presque plus dans cette région), on la récolte de mi-novembre à début mars, essentiellement dans des truffières domestiques surtout composées de chênes. Il faut attendre au moins sept ans pour qu’apparaissent les premières truffes, fruits des échanges entre le mycélium, soit les filaments du champignon, et les radicelles des arbres hôtes.
En Vaucluse, le cavage, plus communément appelé la récolte, se fait principalement avec un chien, complice moins vorace que le cochon ! Plusieurs agriculteurs proposent cette activité aux touristes. Nous accompagnons Roland, trufficulteur depuis une quinzaine d’années, et Chipie, son Labrador noir de 4 ans, dans une truffière plantée de quelque 500 chênes. » A deux, nous sortons tous les jours, pendant 4 à 8h, pour débusquer des Tuber Melanosporum. J’en ai déjà trouvé une d’1,1 kg ! Restez un peu en retrait et observez Chipie « , conseille-t-il en longeant les allées d’arbres. Quelques mètres devant lui, la chienne renifle la terre, à droite, à gauche, en agitant la queue, toujours à l’affût de l’odeur dégagée par les truffes arrivées à maturité. Soudain, elle s’arrête le temps de donner deux coups de pattes nets à un endroit bien précis. » Tu as gratté là ? Viens voir papa ! « . Les genoux au sol, une fourche à la main, Roland creuse la terre à cet emplacement tandis que Chipie attend une croquette en guise de récompense. Impressionnant ! Il n’aura fallu qu’une poignée de secondes pour déterrer, à environ 10 cm de profondeur, le précieux champignon dont le parfum enivre directement nos narines. Museau au sol, l’animal continue gaiement sa chasse aux trésors tandis que le sac en bandoulière de Roland se remplit rapidement. En une heure, une bonne quarantaine de truffes ont été cavées. Une récolte fructueuse ! Reste à les vendre à des particuliers ou sur les marchés.
Au plus vieux marché
70 % des truffes noires commercialisées en France proviennent des marchés du Vaucluse, qui se tiennent de la mi-novembre à la mi-mars. C’est à Carpentras, village situé à une quinzaine de kilomètres du Mont Ventoux, que se trouve le plus ancien marché aux truffes de l’Hexagone. Lancé au XIIe siècle, il se tient le vendredi matin dans la cour d’honneur de l’hôtel Dieu du XVIIIe siècle (un petit marché pour particuliers se tient juste à côté). Une fois le coup de sifflet donné pour marquer l’ouverture du marché, nous observons les négociations, opérées dans une discrétion remarquable, entre producteurs, équipés de paniers d’osier ou de sacs en toile de jute, et acheteurs, qui sentent, qui palpent...
A l’écart, les champignons sont pesés et payés en espèces, en présence d’agents municipaux. Les prix pratiqués sur ce marché, 550 euros de moyenne au kilo ce jour-là, servent de référence aux autres marchés de la région. Le cours de la truffe dépend des conditions climatiques de l’été précédant la saison trufficole. Une météo qui, en l’occurrence, n’était pas terrible puisqu’il n’a pas assez plu...
Richerenches, capitale de la truffe
A une quarantaine de kilomètres de là, il y a un autre marché incontournable pour les professionnels : celui de Richerenches. Ce petit village provençal, ancienne commanderie des Templiers, est LA capitale de la truffe de qualité. Il rassemble trufficulteurs, courtiers, touristes et curieux. Ici, pas d’étalages. Alors que planent d’agréables effluves, les deux parties se retrouvent, sur fond de murmures, autour de coffres de voitures garées de chaque côté de la rue principale, bordée de platanes. Un petit coup de canif permet de vérifier les veinures et donc la maturité de la truffe avant la pesée. » Jusqu’à 2 tonnes de truffes sont échangées certains samedis « , nous confie un des courtiers venus acheter quelques Tuber Melanosporum pour les revendre à des restaurateurs. Les prix peuvent grimper à 1.200 euros le kilo !
Un petit marché pour particuliers est aussi organisé. Inutile de dépenser des fortunes : 10 grammes de truffe suffisent pour se faire plaisir et, par exemple, réveiller la saveur d’une omelette. On peut aussi y trouver des mandolines appropriées, des porte-clés en forme du diamant noir ou encore un surprenant apéritif de vin blanc à la truffe ! Poursuivez la flânerie dans les sublimes ruelles jusqu’à l’église où se tient chaque troisième dimanche de janvier la » Messe des Truffes » qui vénère le diamant noir. La particularité de cette messe, prononcée en provençal, c’est la quête : on peut donner une truffe au lieu d’une pièce de monnaie ! Les bénéfices de la vente aux enchères de ces champignons sont versés à l’église.
Musée et intronisation
A Richerenches se trouve aussi, juste a cote de l’église, le joli petit musée de la truffe et du vin. On y apprend que la France reste sans doute le premier producteur mondial de truffes, devant l’Espagne dont la production augmente de façon importante, et l’Italie, célèbre pour sa truffe blanche ; on y découvre notamment son cycle biologique particulier, des conseils de chefs... Alors que le voile se lève progressivement sur les mystères de la truffe au gré des panneaux et vidéos, notre guide nous signale qu’une cérémonie débute à l’étage du musée : l’intronisation, en habits d’apparat, d’un nouveau chevalier de la Confrérie du Diamant Noir, une association de défense et promotion de la Tuber Melanosporum en tous lieux et toutes occasions. Un véritable culte, disions-nous !
Nous avons préféré vénérer la truffe à table. Il est recommandé de consommer ces champignons au plus tôt après la récolte et de les cuire le moins possible pour conserver leur arôme intact. Une saveur que les corps gras piègent à la perfection. Ici, à Richerenches, l’omelette aux truffes est la spécialité du village. On peut la déguster, baveuse, après le marché au restaurant L’Escapade. Nous avons profité de tout un menu à la truffe noire : avec un savoureux velouté de châtaignes ou encore, en dessert, avec de la ganache et des ravioles au chocolat. Une association improbable sur papier mais ô combien goûteuse sur papilles !
La bistronomie de la truffe
Si vous visitez Carpentras, une halte s’impose Chez Serge. Toujours bondé, ce restaurant bistronomique a fait de la truffe le produit phare de sa carte. » J’adore le côté magique et mystérieux de la Tuber Melanosporum et son côté excitant et compliqué car ce sont des prix de malades, il y a des bonnes et moins bonnes années, comme pour le vin ! Je l’accompagne d’un produit simple qui sert de support, comme des oeufs ou des pâtes. «
Nous avons notamment dégusté des penne à la crème fraîche et aux truffes noires en brisures (25 euros). Un mariage parfait ! Plus original, le dessert : un vacherin à la truffe et à l’huile d’olive. Bon, mais sans plus.... En fait, ce que nous avons préféré lors de notre séjour en Vaucluse, c’est un mets tout simple : un toast au beurre truffé garni d’une lamelle du divin tubercule et d’une pointe de fleur de sel ! Mmmh...
TEXTE ET PHOTOS: OLIVIA VAN DE PUTTE
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