Christophe Hardiquest © PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

Christophe Hardiquest: « On doit revenir à l’artisanat, réinvestir du temps dans la cuisine »

Christophe Hardiquest, le chef du restaurant doublement étoilé Bon Bon, à Woluwe-Saint-Pierre, nous distille les ingrédients de son parcours.

Au début, il accueillait ses clients dans un showroom de meubles. Aujourd’hui, c’est dans une villa cossue qu’il met les petits plats dans les grands pour remettre au goût du jour les produits du terroir belge. Christophe Hardiquest, 42 ans, nous reçoit à une de ses tables, en lisière de la Forêt de Soignes. Nous l’avons cuisiné sur sa démarche, ses envies, sa famille...

Quel a été votre premier contact avec la cuisine ?

Ma grand-mère, qui habitait dans la région liégeoise. Elle faisait tout maison ! Il y avait un verger, des cochons, des poules, des moutons... Je me souviens du vol-au-vent du dimanche midi, de la tête pressée, du boudin noir, de la tarte à la rhubarbe ou encore du goût du fond de la casserole de riz au lait qu’elle me laissait toujours manger. Ma madeleine de Proust... Mon palais s’est développé grâce à l’artisanat familial. En rentrant à l’école hôtelière, je me suis intéressé au monde de la haute gastronomie : j’avais, dans ma chambre, des posters de grands chefs tels Paul Bocuse ou Marc Haeberlin à côté de ceux d’AC/DC et des Red Hot Chili Peppers !

Comment a commencé l’aventure Bon Bon ?

Un jour, j’ai demandé à mon épouse combien on avait sur notre compte en banque. Elle m’a dit 2.500 ?. J’ai répondu :  » Parfait, j’ouvre un restaurant ! « . Je l’ai fait au culot ! Je suis allé voir d’anciens clients du restaurant où je travaillais pour qu’ils me prêtent une partie de leur showroom de meubles d’importation d’Indonésie, avenue Louise. J’ai ramené les casseroles de la maison, les clients prenaient l’apéro dans les canapés d’exposition puis mangeaient sur des chaises et tables en teck. C’était génial ! J’ai démarré seul pendant neuf mois, avec l’aide de ma femme et de ma belle-mère à la plonge. Après un an et demi, j’avais 6 personnes engagées et 60 couverts tous les soirs. Quand on n’a pas d’argent, il faut des idées et tout est possible !

On doit revenir à l’artisanat, réinvestir du temps dans la cuisine.

Aujourd’hui, vous travaillez avec une vingtaine de personnes dans une maison de caractère avec cuisine ouverte...

Oui, derrière deux portes battantes, je meurs ! J’adore le voyeurisme. Pour moi, la manière dont les clients mangent un plat témoigne de leur plaisir gustatif. J’ai besoin de sentir l’ambiance de ma salle.

Pourquoi ce nom Bon Bon ?

Quand nous goûtions en cuisine, les collègues et moi nous disions :  » Mmmh, c’est bon bon !!!  » Je suis resté sur ce nom très simple, spontané, efficace et qui correspond un peu à ce que je suis.

Votre épouse Stéphanie est la directrice générale de la maison. Pas trop compliqué d’être en permanence ensemble ?

Non, nous nous entendons très bien. Je suis en cuisine et nous nous croisons uniquement pour les décisions importantes. Chacun ses responsabilités et c’est chouette ! A la maison, nous essayons de ne pas parler boulot.

Vous appelle-t-elle  » chef  » ?

Non, jamais ! Elle m’appelle  » Chouchou « . (rires) Même devant les clients. On est proches l’un de l’autre et on ne doit pas changer ce qu’on est.

Quel genre de chef êtes-vous ?

Je me définirais comme étant ni un patron ni un chef mais un leader d’opinion, c’est-à-dire que je veux, à ma petite échelle, essayer de faire évoluer le monde en montrant, par mon travail, le chemin pour préserver notre planète. Il faut voir la planète qu’on va laisser à nos enfants et les enfants qu’on va lui laisser. Par exemple, nous ne travaillons plus le thon depuis longtemps, nos produits ne sont que bio et organiques, il y a une traçabilité... Il faut absolument tenter de passer des messages aux consommateurs, de leur ouvrir les yeux, d’un peu les éduquer. On doit revenir à l’artisanat, réinvestir du temps dans la cuisine...

Comment décririez-vous votre cuisine ?

Contemporaine, évolutive et de produits de qualité. Mes bases sont classiques, je travaille la technologie moderne afin de créer une autre vision de cette cuisine. Ce qui m’importe, c’est une belle cuisson, un bel assaisonnement et la simplicité, que le client ait une cuisine lisible.

En quoi se distingue-t-elle de celle de vos confrères étoilés ?

Je cuisine les produits que les autres ne travaillent peut-être pas systématiquement. Quand vous aimez la haute gastronomie et que vous sautez d’un restaurant à l’autre, vous tombez toujours sur les mêmes produits : foie gras, Saint-Jacques,... Ce n’est pas gai pour le consommateur ! Moi je sers du hareng frais, des crevettes grises crues, des bulots, des bigorneaux, etc. Le projet  » Bon Bon Origins  » est axé là-dessus, sur l’anti-globalisation de la cuisine et la reprise de l’identité du pays dans lequel on se trouve. Il est temps de redécouvrir notre terroir, notre culture ! Je revisite donc des recettes traditionnelles belges. J’ai notamment recréé un waterzooi de soles aux chicons.

Que répondriez-vous à ceux qui disent que votre restaurant coûte... bonbon ?

Certes, c’est beaucoup d’argent mais ce n’est pas encore assez cher pour qu’on puisse s’en sortir décemment. Ce n’est pas le chef qui se met l’argent dans la poche. Un restaurant, c’est des charges sociales. J’ai un chiffre d’affaires énorme et un bénéfice riquiqui...

Votre objectif en servant vos clients?

Voir de l’émotion dans leur comportement, un waw, même les faire pleurer de plaisir. C’est le compliment le plus extraordinaire que je puisse recevoir. J’en déjà eu plein de larmes ! Mon plat  » bijou d’huître  » notamment procure cette réaction. En cuisine, je veux toujours arriver à cette bouchée parfaite que je n’atteindrai jamais mais c’est le moteur qui me fait avancer. Dans mon boulot, je suis un éternel insatisfait car je suis un perfectionniste obsessionnel.

Vos sources d’inspiration pour votre cuisine ?

Lors de mes nombreux voyages, je m’arrange toujours pour avoir un cours de cuisine avec les locaux. Tous les pays m’inspirent ! Les vieux livres de cuisine aussi, de même que les rencontres humaines pour faire parler le passé, les vieux chefs...

Votre plat préféré ?

Les boulettes sauce tomate ! Je les prépare à la maison car j’ai toujours adoré ça surtout quand elles sont cuites au four. Je gratte alors la croûte de la lèchefrite, que je mets sur un morceau de pain. Extraordinaire !

Quels sont vos hobbys ?

La moto, la plongée sous-marine et manger dans des grandes maisons ! (rires) J’ai fait 47 trois étoiles dans le monde. En Belgique, je vais manger notamment au Hertog Jan à Bruges ou au Brinz’l à Uccle. J’apprécie aussi la Friture René à Anderlecht. Je vais une fois par an au fast-food avec les enfants, histoire de ne pas en faire des handicapés de la société.

A la maison, qu’y a-t-il dans votre frigo ?

Parfois des bons restes du restaurant, toujours une soupe, du fromage, des herbes fraîches, des oeufs ou encore des cornichons car j’en suis fan ! Il y a toujours quoi cuisiner au moins une ou deux préparations.

Comment éduquez-vous vos trois enfants au goût ?

Ils ne mangent que des bons produits mais ce n’est pas facile pour autant de les éduquer au goût : j’ai une fille qui n’aime pas le poisson et l’autre qui est végétarienne. Je ne les force pas à tout goûter. C’est au contact des autres qu’on évolue.

Comptent-ils suivre votre voie ?

Mon fils vient de s’inscrire à l’école hôtelière de Namur mais, lui, a l’intention de se tourner vers la gestion hôtelière. Une de mes filles aime la pâtisserie, on ne sait jamais, on verra...

Rêvez-vous de décrocher une 3e étoile ?

C’est vrai que quand on en a deux on pense à la 3e et si on l’obtient il faut alors travailler comme s’il en existait une 4e. J’utiliserais cette 3e étoile comme une espèce d’augmentation de la crédibilité à faire passer des messages autour de la nourriture, du respect de la planète.

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Bio express

Christophe Hardiquest:
© PHOTOS FRÉDÉRIC RAEVENS

1975 : Naissance à Waremme

1994 : Diplômé de l’école hôtelière de Namur

Depuis 1995 : En couple avec Stéphanie

2001 : Ouverture de Bon Bon

2001 : Naissance de sa fille Lisa

2003 : Naissance de son fils Demis

2004 : Décroche 1 étoile Michelin

2006 : Naissance de sa fille Apolline

2010 : Chef de l’année Gault&Millau

2013 : Décroche une 2e étoile

2015 : Cote de 19,5/20 au Gault&Millau

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