Les parties les plus anciennes de la cathédrale actuelle remontent au XIIe siècle, mais recouvrent des lieux de culte paléochrétiens. © iStock

City-trip à Tournai, à l’ombre de la Dame de pierre

Seule cathédrale belge classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, Notre-Dame de Tournai règne en reine sur la ville depuis huit cent-cinquante ans.

Impossible de les manquer: depuis les boulevards qui mènent au centre-ville de Tournai, les clochers crèvent le ciel, débordant des toits alentours. Pour peu que le temps soit dégagé, comme en cette fin d’hiver, leur teinte habituellement grisâtre devient lumineuse, accrochant le soleil froid et soulignant mille détails de pierre. La cathédrale Notre-Dame en impose, c’est certain. Écrasante de par son gigantisme et ses cinq clochers, elle affiche des dimensions qui donneraient presque le tournis. Longue de 134 mètres, haute de 50 (en faisant abstraction des clochers, culminant à plus de 80 mètres), elle rivalise avec ses homonymes de Paris et d’Amiens. Si sa restauration, initiée en 2000, n’est pas encore terminée, sa façade a aujourd’hui pratiquement retrouvé toute sa superbe, affichant le meilleur des arts roman et gothique.

On en viendrait presque à se demander le pourquoi de la présence d’un tel mastodonte dans une ville qui, aujourd’hui, se fait relativement discrète. Sic transit gloria mundi : les villes-phares d’autrefois se transforment parfois en paisibles cités de province, lovées dans leur histoire. C’est le cas de Tournai, l’une des trois plus anciennes villes de Belgique, avec Tongres et Arlon: d’origine gallo-romaine, elle fut capitale royale sous les premiers Mérovingiens (Childéric y a été enterré), avant de devenir prospère cité marchande au Moyen-Âge, grâce à l’Escaut traversant ses murailles et coupant la ville en deux.

« C’est aussi la seule ville de Belgique à avoir été sous domination anglaise pendant quelques années, sous Henri VIII », souligne Marie-Line Masquellier, guide à Tournai. Signe de son importance: pendant ce cour laps de temps, Tournai est considérée comme ville britannique à part entière. Les Tournaisiens peuvent même envoyer deux députés à la Chambre des communes, à Londres!

La statue des aveugles, de Guillaume Charlier.
La statue des aveugles, de Guillaume Charlier.© FRÉDÉRIC RAEVENS

DES CHANOINES MÉGALOS

Mais cette bonne fortune n’explique pas à elle seule la magnificence de la cathédrale. La raison est plutôt à chercher dans les nombreux clochers qui surplombaient autrefois la ville. « Tournai est une ville essentiellement religieuse », confirme Marie-Line Masquellier. Elle abritait plusieurs abbayes et reste encore aujourd’hui le siège d’un des plus anciens diocèses du pays. « Les chanoines étaient très puissants et la cathédrale est en quelque sorte le reflet de leur mégalomanie. » Il faut dire que sous l’Ancien Régime, l’évêché tirait de substantiels revenus de l’activité économique de la cité: le moindre péage prélevé dans la ville lui revenait de plein droit! Un droit exclusif, disaient les ecclésiastiques, qui leur avait été accordé par le roi Chilpéric lui-même, petit-fils de Clovis (NDLR : à ne pas confondre avec Childéric, père de Clovis). Pour preuve, ils n’hésitaient pas à brandir un très ancien diplôme royal... en réalité dû à la plume d’un faussaire médiéval particulièrement doué! On a déjà vu comportement plus chrétien...

Mais cela n’empêchera pas Tournai de continuer à se développer au pied de Notre-Dame, la ville devenant même internationalement célèbre pour ses tapisseries, sa pierre de taille ou sa porcelaine. La richesse passée de Tournai s’affiche encore sur sa Grand-Place, avec ses maisons marchandes, son imposante halle aux draps et son beffroi ouvragé, le plus ancien de Belgique. « Le panorama n’est pas sans rappeler celui de certaines villes du nord de la France, estime la guide. Malheureusement, beaucoup de touristes se limitent à ces deux pôles: la cathédrale et la Grand-Place. »

Le cloître de l'ancienne abbaye Saint-Martin.
Le cloître de l’ancienne abbaye Saint-Martin.© FRÉDÉRIC RAEVENS

LE NEZ EN L’AIR

Dommage, car Tournai fait partie de ces villes dans lesquelles il fait bon flâner et se perdre. La surprise n’est jamais loin pour le promeneur qui accepte de se laisser guider par ses pas. Ici, au détour d’une venelle pavée, il découvrira une ancienne tour de garde, un pont couvert permettant à l’évêque de rejoindre son palais sans crotter ses vêtements (tandis que, par dérision, le petit peuple se soulageait sous l’arche). Là, ce sera une rare maison romane du XIIe siècle, le cloître d’une ancienne abbaye transformé en petit jardin dans lequel règne une étonnante atmosphère zen, ou encore le seul musée d’art dessiné par Victor Horta.

D’ailleurs, un conseil: n’hésitez jamais à pousser la porte de l’une des nombreuses institutions de la ville, aussi riches que discrètes... Il faudra parfois franchir l’entrée d’un ancien Mont-de-Piété ou d’un hôtel de maître caché derrière un porche pour dénicher des collections de tapisseries de la Renaissance, des marionnettes issues des cinq continents, les seuls Manet conservés en Belgique ou encore des trésors antiques uniques au monde. De quoi s’en mettre plein les mirettes, avant de ressortir, de se laisser porter par la pente douce vers les quais de l’Escaut et une terrasse accueillante (on croise les doigts! ), tout en se repérant grâce à la cathédrale en point de mire. Hé oui, encore elle!

Le Mont-de-Piété.
Le Mont-de-Piété.© FRÉDÉRIC RAEVENS

Un travail de bénédictin

En 1999, une tornade endommage gravement la cathédrale Notre-Dame. Elle met surtout en évidence de gros problèmes de stabilité: l’un des clochers se met à pencher et menace de s’effondrer! L’an 2000 marque donc le début d’une opération de restauration titanesque, toujours en cours, visant à consolider les murs et à rendre sa splendeur à la cathédrale. Un travail réalisé par des artisans maîtrisant des techniques séculaires, bien nécessaires pour préserver ce bâtiment unique au monde à plus d’un titre. Pour ne citer qu’un exemple, depuis l’incendie de Notre-Dame de Paris, une partie de sa charpente, datée des années 1150, est la plus ancienne d’Europe occidentale.

À terme, la partie gothique de la cathédrale devrait retrouver sa toiture d’origine, composée de tuiles vernissées, comme aux hospices de Beaune. Envie d’en avoir un aperçu? La petite chapelle Saint-Louis, cachée sur l’un des côtés de l’église, a déjà reçu son toit coloré!

PRATIQUE: Office du tourisme de Tournai, place Paul-Emile Janson 1, 7500 Tournai. www.visittournai.be ou 069 22 20 45

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