Furnes, la ville couleur de sable
À deux pas du littoral et de la France, les façades jaunes de Furnes dominent les plaines humides du Westhoek. Un joli patrimoine, qui faillit bien disparaître...
C’est ingrat, d’être une ville pittoresque située à quelques encablures des plages. Beaucoup n’ont d’images de Furnes que sous la pluie: pour eux, lors d’un séjour à la mer, c’est l’excursion à réserver lorsqu’il fait trop mauvais que pour lézarder sur le sable ou flâner sur la digue. L’espace d’une journée, les tongs sont remisées au profit des baskets, les vestes froissées ressortent des valises. Quelques minutes de voiture, quelques tours de pédale, et voici que l’atmosphère change du tout au tout. Plus de cabines au pied des dunes, plus de loueurs de cuistax, mais de la pierre de taille mêlée de briques d’un jaune sablé, des façades ouvragées et mille petits détails curieux qui fleurent bon l’anecdote ou le mystère.
Là, au détour d’un parc, c’est la base d’un énorme clocher qui surgit, tellement énorme que jamais terminé, et successivement transformé en poudrière, en citerne et en abri anti-aérien. Un peu plus loin, ce sont des figures rappelant les pénitents qui, chaque dernier dimanche de juillet, parcourent la ville cagoulés, pieds nus sous leur robe de bure et portant une lourde croix. Sans oublier ces curieuses sculptures de bronze, autrefois scellées dans le mur des maisons et représentant des mains agressives ou des visages bâillonnés par un anneau... « Au XVIe siècle, elles indiquaient à tout le monde que le propriétaire avait été condamné pour coups et blessures, mensonge ou blasphème, explique Carmen Bisschop, guide à la ville. C’était une pratique très courante dans nos régions, mais il n’en existe pratiquement plus aucun exemplaire, sauf ici... »
L’OEIL DU PEINTRE
Furnes conserve un caractère bien trempé, c’est certain. L’artiste Paul Delvaux semblait d’ailleurs assez sensible à ses charmes: si le peintre surréaliste est aujourd’hui généralement associé à Saint-Idesbald, où se trouve le musée qui lui est consacré, sa résidence principale se situait ici, à deux pas de la Grand-Place. Des bâtiments furnois se retrouvent d’ailleurs dans certaines de ses oeuvres ; ils se fondent parfaitement dans l’univers onirique des tableaux...
Rapidement, il vient à l’esprit que la ville vaut mieux qu’un « plan B » en cas de météo capricieuse. Et pour cause! Âgée de plus de mille ans, elle découle d’un château installé sur un petit promontoire dominant une région particulièrement marécageuse et humide, les Moëres. Aujourd’hui encore, il s’agit de la partie la plus basse du pays, plusieurs de ses polders se trouvant carrément sous le niveau de la mer.
Principal centre urbain dans une contrée jadis peu hospitalière, qui plus est sur la frontière entre Flandre et France, la ville devient rapidement centre économique, religieux, militaire, politique... Autant de rôles expliquant la présence de constructions cossues, symboles de pouvoir et de prospérité, et d’une église impressionnante de par ses dimensions élancées (Sainte-Walburge). Le centre historique, parfaitement conservé, semble n’avoir guère changé depuis les XVIIe et XVIIIe siècle, âges d’or de la cité. De quoi afficher une belle unité de couleurs et de styles... et faire mouche aux yeux du visiteur de passage.
UN SAUVEUR PROVIDENTIEL
Tout ceci aurait pourtant bien pu disparaître sous les bombes et les obus. C’est qu’à l’automne 1914, Furnes est l’une des seules villes belges à ne pas être occupée par les Allemands. Située juste derrière la zone inondée – c’est d’ailleurs là qu’a été prise la décision d’ouvrir les écluses de l’Yser – elle est tout un temps occupée par le grand quartier général d’Albert Ier. Le roi monte régulièrement les centaines de marche de la tour Saint-Nicolas, dominant la campagne alentour, pour inspecter l’évolution du front. Pendant quelques mois, Furnes voit aussi passer pas mal de beau monde: les Français Foch et Poincaré, le Roi d’Angleterre George V...
Reste que la cité est proche du front et devient rapidement une cible potentielle pour les canons allemands. « Heureusement, un officier belge, le général Michel du Faing d’Aigremont, se rend compte de l’importance patrimoniale des lieux, souligne Carmen Bisschop. Il va tout faire pour que la ville soit épargnée: aucun matériel militaire n’y est stocké et la ligne de tram, utilisée pour transporter les troupes, est déviée pour la contourner. » Furnes, débarrassée de tout intérêt stratégique, subit bien quelques dégâts, mais ne se transforme pas en champ de ruines, au contraire de Dixmude ou d’Ypres.
Depuis lors, la petite ville du Westhoek a réussi à éviter l’urbanisation galopante, conservant son ambiance intime et préservée, bien loin du brouhaha de la Côte. Allez, c’est promis, nous n’attendrons pas la prochaine pluie pour y revenir: elle doit être (encore) plus belle sous le soleil!
La bonne, la veuve et le truand
Pendant la Première Guerre mondiale, Furnes voit passer de bien curieux appareils... Marie Curie y fait ainsi la démonstration de l’un des premiers appareils à rayon X, dont l’utilisation modifie fortement la prise en charge des blessés. Il devient enfin possible de localiser précisément les balles ou les éclats d’obus dans leur corps.
Plus lugubre: en 1918, Furnes accueille une « veuve », une guillotine en provenance de France, pour exécuter le sergent Emile Ferfaille, dernier guillotiné de Belgique. Reconnu coupable du meurtre de sa petite amie, il ne bénéficie pas de la grâce royale généralement accordée aux condamnés à mort. Albert Ier trouve difficilement justifiable qu’un meurtrier dorme à perpétuité en prison, tandis que ses frères d’armes risquent la mort à tout instant!
Ces deux épisodes sont détaillés dans une exposition installée dans l’ancien Palais de justice et l’ancien hôtel de ville, sur la Grand-Place. N’hésitez pas à y faire un tour et à profiter d’une visite guidée: les bâtiments en eux-mêmes méritent vraiment le coup d’oeil, avec leurs murs tapissés de cuirs de Malines (XVIIe s.).
Infos : veurne.be/fr/visiter-veurne
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