Le château de Beersel, mémoire d’un passé médiéval
Avec sa forme atypique et sa belle teinte rouge brique, le château médiéval de Beersel a marqué des générations d’écoliers en Belgique. Quitte à cristalliser une image biaisée du Moyen-Âge?
Ah, il y en a, du beau monde, en cette chaude soirée du 28 mai 1949! Dans la cour du château de Beersel, l’excitation est palpable. La foule est venue en nombre pour assister à la première de « Yolande de Beersel », une nouvelle pièce de théâtre créée tout spécialement pour les lieux. En attendant le lever de rideau, les regards oscillent sans cesse entre la scène de bois et les murailles du château. Difficile d’y rester insensible! C’est que, depuis quelques années, le château médiéval a retrouvé toute sa superbe, grâce à une longue campagne de restauration.
Et quelle restauration! Là où, au début du XXe siècle, il ne restait que des tronçons ébréchés de donjons, se dressent aujourd’hui d’énormes tours, affichant d’orgueilleuses façades à pignons typiquement flamandes. Les arbrisseaux qui poussaient autrefois entre les briques ont été arrachés, le chemin de ronde a retrouvé sa couverture de tuiles. Grâce aux pièces de théâtre organisées dans le cadre des « spectacles de Beersel », les lieux retentissent à nouveau d’exclamations de chevaliers en armure et de lamentations de gentes dames éplorées. Le succès est au rendez-vous, les spectacles s’enchaînent pendant quelques années: après Yolande de Beersel, suivent « Le prisonnier de Beersel », « Hamlet »... et même un improbable « Thyl Uylenspiegel à Beersel ».
Cuisiner les détenus
Pour beaucoup de Belges, Beersel devient alors l’un des grands symboles du Moyen-Âge en Belgique. Preuve de cette célébrité nationale: Bob et Bobette y font une incursion remarquée dans l’une de leurs aventures, « Le trésor de Beersel », qui paraît dans le magazine Tintin. Et peu importe si le château y est représenté dans son état du XVIIe siècle... Il correspond tellement bien à l’image d’Epinal qu’on se fait du Moyen-Âge! Une période alors vue comme un âge sombre et lumineux ; celui des belles princesse et de l’amour courtois, mais aussi d’une violence omniprésente et d’horribles supplices.
Pendant des décennies, pour répondre aux attentes du public, les curieux qui visitent le château ont donc droit à leur quota de frissons: on leur présente des oubliettes, ainsi qu’une salle de torture avec sa cage em- murée et son chevalet de bois. Nombreux sont les petits écoliers qui, devenus adultes, en gardent un souvenir impérissable! Et pourtant... Dans une forteresse médiévale, oubliettes et salles de torture font davantage partie du fantasme moderne que de la réalité historique (voir encadré). « En ce qui concerne la soi-disant salle de torture de Beersel, il suffit d’être observateur pour se rendre compte que cela ne colle pas, sourit André Laeremans, guide au château. Il devait plutôt s’agir des cuisines: la pièce est en communication directe avec la salle d’apparat et est chauffée par une large cheminée. S’il y avait des crochets ici, ils devaient servir à pendre de la viande.
En ce qui concerne la soi-disant salle de torture de Beersel, il suffit d’être observateur pour se rendre compte que cela ne colle pas
Le minuscule cachot dans le mur doit,lui, être vu comme une armoire destinée à mettre les épices – extrêmement chères et précieuses à l’époque – à l’abri. » Quant au chevalet de torture encore visible aujourd’hui, aucun historien ne penserait affirmer qu’il se trouvait déjà sur place il y a six cents ans... Bien sûr, cela ne signifie pas que la torture n’était pas employée au Moyen-Âge. Mais elle était très encadrée, codifiée, et surtout mise en pratique dans les lieux de justice urbains, pas dans un château de garnison en rase campagne!
Les oubliettes aux oubliettes
Les historiens réfutent aujourd’hui l’existence des oubliettes dans la plupart des châteaux, Beersel y compris. Les caves profondes étaient avant tout destinées à stocker des vivres en prévision d’un long siège. Et puis, de toute façon, le Moyen-Âge ne s’encombrait pas de prisonniers: les soldats vaincus au combat étaient tout simplement achevés! Seuls les personnages importants étaient capturés, dans l’optique d’être échangés contre une rançon sonnante et trébuchante. Ils étaient dès lors relativement bien traités, et certainement pas enfermés dans un cul-de-basse-fosse!
Des millions de briques
Car c’est bien de cela dont il s’agit: Beersel, dont l’origine remonte au XIVe siècle, est avant tout un parfait exemple de château médiéval à vocation défensive. Avec d’autres (dont Gaasbeek, Meise...), il fait partie d’un ensemble de fortifications ceinturant Bruxelles. L’objectif? Protéger la ville, les frontières du duché de Brabant... mais aussi contenir les éventuelles insurrections bruxelloises. Au Moyen-Âge, la population de la ville est loin d’être une masse docile et passive: elle possède sa propre armée – sa milice bourgeoise – et n’hésite pas à se révolter ou à s’impliquer dans les querelles politiques.
Ce sont d’ailleurs les Bruxellois qui sont à l’origine de la destruction du château en 1489. À l’époque, Maximillien de Habsbourg tente de mettre la main sur les Pays-Bas bourguignons, au grand dam de nombreuses villes flamandes. S’ensuit une véritable guerre civile. Si le propriétaire de Beersel, Henri III de Witthem, prend le parti de Maximillien, il n’en va pas de même de la population bruxelloise. Accompagnés d’un fort détachement d’artillerie française, les Bruxellois décident d’établir un siège devant le château.
Particularité unique en Belgique, et très rare en Europe: Beersel est dès son origine presque entièrement constitué de briques. « Seuls les emplacements les plus fragiles (bordures de fenêtres, meurtrières...) sont en pierre, détaille André Laeremans. Pour le reste, ce ne sont que des briques, qui remplissent toute l’épaisseur des murs. Il y en a énormément! Car ces murailles sont très épaisses, efficaces dans le cadre d’un siège traditionnel, mais pas contre des armes à feu. » Les canons français ont vite raison du château... et les assiégés survivants iront se balancer sur des gibets, dressés pour l’occasion sur la Grand-Place de Bruxelles.
Place à la lumière
Ce revers n’empêche pas Maximillien de s’imposer dans les Pays-Bas bourguignons. Une fois son pouvoir consolidé, il n’oublie pas la fidélité d’Henri de Witthem et le fait chevalier de la Toison d’or. Devenue riche et encore plus puissante, la famille de Witthem fait reconstruire Beersel aux frais de Bruxelles, avant de le transmettre par mariage à la famille d’Arenberg au XVIIe siècle. Celle-ci fera réaménager le château, lui ôtant un peu de son air martial en y ajoutant les emblématiques façades à pignons, les toits en pointe ainsi que de nombreuses fenêtres.
« Oubliez donc l’image d’une dame du Moyen-Âge brodant dans sa tour, sur une banquette de pierre inondée de lumière naturelle, sourit encore le guide. Les fenêtres donnant sur l’extérieur aujourd’hui visibles remplacent probablement des meurtrières bien plus sombres! »
On s’en voudrait presque de mettre à mal tant de croyances sur le Moyen-Âge. Mais que les plus désappointés se rassurent: Beersel reste un lieu à découvrir pour ce qu’il est. Un de ces lieux chargé d’Histoire, avec un petit supplément d’âme et d’authenticité qui semble avoir traversé les siècles. Mieux: cette année marque le début d’une campagne de restauration de l’intérieur du château, pendant laquelle le bâtiment restera visitable. Celle-ci permettra de mieux comprendre les lieux... et mettra peut-être au jour d’intéressantes découvertes!
Pratique:
Château de Beersel, Lotsestraat, 1650 Beersel. www.visitbeersel.be 02 359 16 36
Pensez à vérifier les conditions d’accès avant de vous mettre en route!
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici