Arnaques sur internet: la honte des victimes

Les escroqueries sur internet font de plus en plus de victimes. Au-delà des dommages financiers comme un compte bancaire vidé, les dégâts psychologiques sont très importants.

Vendre une vieille armoire sur internet m’a semblé un jeu d’enfant. Dix minutes après la publication de mon annonce, une dame s’est manifestée au téléphone, se souvient Herman. Elle n’a pas discuté le prix et proposé de s’arranger via WhatsApp. Je n’ai pas eu la puce à l’oreille lorsqu’elle m’a demandé mon numéro de compte pour y virer l’argent et de vérifier sur mon ordinateur qu’il était bien arrivé. C’est probablement à ce moment qu’ils l’ont piraté. Sous mon nez, j’ai vu mes économies disparaître par tranches de 250€. À l’autre bout du fil, ils se moquaient de moi! J’en suis resté avec une énorme gueule de bois, financière et psychologique. Il m’a fallu plusieurs semaines pour avouer à ma femme et à mes enfants que je m’étais fait arnaquer. Depuis, je n’ose quasi plus rien faire sur internet.»

Un lien affectif

De nombreuses études montrent que les victimes de cybercriminalité subissent un impact psychologique similaire à celui de victimes de la criminalité classique mais éprouvent beaucoup de difficultés à s’adresser à un professionnel qui pourrait les aider à affronter les conséquences psychologiques de leur mésaventure.
« Par culpabilité ou par honte, parce qu’elles ont elles-mêmes donné des codes ou remis de l’argent, ces personnes ne se considèrent pas nécessairement comme des victimes, analyse Ines Deprez, coordinatrice dans un centre d’aide aux victimes. Il arrive qu’elles minimisent l’événement, voire qu’elles restent dans le déni. En outre, les dégâts sont moins visibles que lorsque quelqu’un s’est introduit chez vous. Dans ce cas, vous n’hésitez pas à appeler la police qui, si nécessaire, vous oriente vers l’aide aux victimes pour un suivi psychologique. Les dommages financiers d’un vol via internet sont souvent beaucoup plus importants et les circonstances floues. Il peut par exemple y avoir un lien affectif avec l’escroc, comme dans le cas d’une fraude à l’amitié, ce qui rend la réalité encore plus difficile à affronter.»

Dans la vraie vie, en matière de crimes, on est soit auteur, soit victime. «Sur internet, la dynamique est différente: les gens sont manipulés pour communiquer leurs mots de passe, ce qui provoque parfois une réaction d’incrédulité ou de désapprobation du monde extérieur, amenant certaines victimes à se taire et à croire que tout est de leur faute, souligne Céline Bisschop directrice d’un centre d’aide aux victimes. Les victimes sont doublement pénalisées: par la fraude elle-même et par le manque d’empathie de leur entourage.»

Tout le monde peut se faire piéger

Elisa, qui occupe un poste de haut niveau dans une multinationale, a été tentée par un investissement prometteur en bitcoins, prétendument promu par le propriétaire de la chaîne de magasins de vêtements Zara. «Nous sommes tous un peu cupides lorsque nous pensons pouvoir gagner facilement de l’argent. C’est ce sur quoi ces pirates ont joué avec finesse. Pire que l’argent perdu, c’est la peur qui s’est emparée de moi. Pendant des mois, j’ai consulté mes comptes à tout bout de champ. J’ignore si je pourrai un jour me défaire de cette peur.»

N’importe qui, quel que soit son niveau d’éducation ou son âge, peut se faire piéger.

Mais comment peut-on croire à ces promesses de gain facile? «Comme nous recevons tous des quantités de mails frauduleux, il peut arriver qu’on manque de vigilance et qu’on ne vérifie pas la validité du profil de l’expéditeur, souligne Barbara Briers, psychologue de la consommation. Sans compter que nous prenons 95% de nos décisions dans l’urgence, lorsque nous sommes occupés ou fatigués. N’importe qui, quel que soit son niveau d’éducation ou son âge, peut être piégé de la sorte.»

Toutes les victimes font état de sentiments de culpabilité et de honte. Ces émotions sont d’autant plus intenses quand elles ont entraîné des personnes de leur entourage dans l’aventure, empruntant de l’argent à des membres de leur famille ou en utilisant les économies de leurs enfants. «Il leur est alors très difficile de faire face à la réalité de l’escroquerie, mais les conséquences sociales sont nettement plus importantes puisque leur entourage est également touché», remarque Ines Deprez. Angoisses, sentiments d’insécurité, impuissance, tristesse, colère, stress et perte de confiance en soi et en la société sont des mots qui reviennent dans les propos de nombreuses victimes.

Amoureuse d’un arnaqueur

En surfant sur Facebook, Marie, 65 ans, a commencé à discuter avec un séduisant Américain d’un certain âge qui lui avait envoyé une «demande d’ami». Pendant des semaines, une conversation passionnante s’est engagée. «Nous avions plus que sympathisé et lorsqu’il m’a demandé de lui envoyer une petite somme d’argent parce que son compte était bloqué, je n’ai pas hésité. J’ai fini par lui envoyer près de 20.000 € pour, soi-disant, lui permettre de me rejoindre en Europe. J’étais tombée amoureuse d’un arnaqueur… Je me suis sentie en colère, frustrée, mais aussi naïve et stupide. Comment, à mon âge, avais-je pu me faire avoir comme une gamine!»

«Nous sommes des êtres sociaux, analyse Barbara Briers, nous avons besoin de relations, nous voulons appartenir à un groupe. Il est donc tout à fait normal que nous soyons ouverts à une proposition d’amitié mais cela nous rend vulnérables dès lors que nous sommes face à un escroc qui en profite. Un message «innocent» provenant d’un étranger qui nous donne l’impression d’être «spécial» peut toucher une corde sensible. Et la peur de passer à côté de quelque chose d’important nous incite à accepter la conversation. Cela n’a rien de stupide.» Piégées dans une situation qui peut durer des mois, les victimes de fraude à l’amitié se coupent de leur propre réseau auquel elles ont, pour la plupart, caché leur cyber-relation. «Ces ponts doivent également être réparés», ajoute Ines Deprez.

Retrouver la confiance

Pourtant, après une expérience aussi traumatisante, beaucoup de victimes restent psychologiquement livrées à elles-mêmes car toutes n’ont pas le réflexe de contacter la police ou les services d’aide aux victimes. «La démarche est pourtant essentielle, souligne Céline Bisschop. Pour que la police soit plus vigilante face à certaines escroqueries mais aussi et surtout pour soi-même, pour faire reconnaître ce qui nous est arrivé.»

Le service d’Aide aux Victimes (Fédération Wallonie Bruxelles) offrent un soutien administratif, juridique et psychologique gratuit aux victimes de ce nouveau genre d’escroquerie. «Nous voyons avec elles s’il est possible de limiter les dégâts financiers, mais surtout nous écoutons leur histoire sans les juger! Parler est important, que ce soit avec des professionnels ou avec son propre réseau, s’accordent à dire Céline Bisschop et Ines Deprez. Il arrive que nous proposions au partenaire de participer à l’entretien quand la honte a empêché la victime de lui avouer ses déboires. Nous faisons aussi de la psycho-éducation pour les armer contre la cybercriminalité.»

De nombreuses victimes ont peur d’ouvrir un mail ou d’effectuer un virement bancaire.

Se tourner vers l’avenir

«Après une expérience aussi pénible, de nombreuses victimes ont peur de choses aussi banales qu’ouvrir un mail, effectuer un virement bancaire ou chatter avec un ami. Il y a un vrai risque d’isolement. Grâce au soutien psychologique, nous les aidons à surmonter leurs sentiments de culpabilité et à retrouver la confiance en soi. Elles doivent composer avec le fait que la digitalisation de notre environnement est irréversible.» Comme il n’est pas rare que les escrocs s’emparent de sommes très importantes, des projets d’avenir peuvent être remis en question. «Le fait que vous deviez, par exemple, continuer à travailler alors que vous êtes pensionné vous oblige à apprendre à affronter une toute nouvelle réalité. Là aussi nous pouvons aider les victimes.»

Infos : serviceaideauxvictimes.be

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