Anxiolytiques : à très petites doses
Près de deux Belges sur dix consommeraient régulièrement des benzodiazépines. Qu’on les utilise pour combattre l’anxiété ou pour favoriser le sommeil, ces « calmants » n’ont pourtant rien d’anodin.
Un petit calmant avant d’aller dormir ou en cas de grosse contrariété : les benzodiazépines (Valium, Xanax, Temesta, Lexomil, etc....) font partie des médicaments les plus consommés dans notre pays. Deux personnes sur dix en prendraient régulièrement, même si aujourd’hui médecins et patients ont tendance à se méfier davantage de ces substances, accusées de provoquer une dépendance, de nuire à la mémoire, voire de rendre apathique. Mais qu’en est-il vraiment ? Le Pr Paul Verbanck, psychiatre au CHU Brugmann, tient à rappeler le contexte dans lequel sont apparus ces médicaments » Pour comprendre le rôle que jouent aujourd’hui les benzodiazépines, il faut se rappeler qu’avant, les somnifères dont on disposait étaient des produits dangereux, et potentiellement mortels, comme les barbituriques. C’est pourquoi l’apparition des benzodiazépines au début des années 60 a été porteuse d’un très grand espoir, car ces composés apparaissaient efficaces à la fois comme hypnotiques – pour favoriser le sommeil – et comme anxiolytiques – pour lutter contre l’anxiété, tout en étant très sûrs « , explique le spécialiste.
Éviter l’arrêt brutal
Dans les années 1980 cependant, des études ont mis en avant l’usage abusif de ces substances, parfois dans un but » récréatif « , mais aussi d’une manière plus insidieuse. Les benzodiazépines sont en effet susceptibles d’induire une certaine tolérance : l’organisme devient moins réceptif à leur effet et pour obtenir le même résultat, il faut donc augmenter les doses. Un phénomène qui concernerait surtout les personnes qui utilisent les benzodiazépines pour dormir, beaucoup moins celles qui en prennent dans le cadre de troubles anxieux. » Les études montrent que ces patients n’augmentent pas les doses et qu’ils auraient même tendance à les diminuer spontanément « , explique le Pr Paul Verbanck.
Ces médicaments induisent une dépendance physique, qui ne serait pas si problématique si elle n’était pas méconnue. » Le cas typique est celui d’une personne âgée en bonne santé qui est hospitalisée pour une raison quelconque. Elle ne signale pas qu’elle prend des benzodiazépines et se retrouve donc sevrée du jour au lendemain et développe alors un syndrome de manque, avec de la confusion mentale, voire des symptômes délirants. Il est possible de diminuer progressivement les doses, mais arrêter complètement est souvent un problème, car les personnes ont tendance à redevenir anxieuses et/ou à dormir plus mal, avec parfois la nécessité de prendre d’autres produits plus forts. « Dans tous les cas, en cas de consommation régulière et/ou de longue date, l’arrêt doit être suivi par un médecin.
Par ailleurs, les benzodiazépines ne sont pas sans effets secondaires. Elles ont ainsi été soupçonnées de favoriser l’apparition de la maladie d’Alzheimer chez les plus de 65 ans. » Je n’irai pas jusque là, mais on sait que les benzodiazépines ont tendance à aggraver des troubles de la mémoire déjà existants ! « Les médecins ont donc moins tendance à prescrire ce type de médicaments chez les 60+, d’autant que les benzodiazépines augmentent le risque de chutes, notamment lors des réveils nocturnes pour se rendre aux toilettes.
Une prise en charge adaptée
Les recommandations actuelles indiquent que pour éviter tout risque de tolérance et de dépendance, ces médicaments ne doivent pas être pris plus d’une à deux semaines d’affilée. » Ils sont indiqués lorsqu’on est exposé à un événement de vie stressant, comme le décès du conjoint, une agression, etc. et sur une courte période. Le problème est que ces médicaments sont parfois prescrits pour répondre à des plaintes qui concernent des événements de vie ordinaires. La personne, surtout si elle est relativement jeune, intègre un schéma dans lequel une pilule devient la réponse à ses ennuis, ce qui instaure une attitude passive vis-à-vis des facteurs de stress. C’est là le plus insidieux et le plus préoccupant avec les benzodiazépines « , explique le psychiatre. Comme avec d’autres substances addictives telles que l’alcool, en nous facilitant temporairement la vie, ces médicaments ont donc tendance à enrayer nos modes d’adaptation naturels. » On devient de plus en plus intolérant à l’anxiété et on augmente sa consommation de médicaments. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut se demander pourquoi on consomme un médicament. Et en parler avec son médecin « , ajoute Lauriane Fabry, psychologue au CHU Brugmann.
» Pour autant, certaines personnes souffrent de réels troubles anxieux, explique le Pr Paul Verbanck. La souffrance qui en résulte ne doit pas être minimisée, mais mérite souvent la consultation d’un psychiatre qui pourra instaurer une prise en charge sur le long terme, associant généralement traitement médicamenteux et suivi psychothérapeutique. » Rappelons d’ailleurs que sur le chapitre des médicaments, les antidépresseurs sont aujourd’hui considérés comme le traitement de première intention dans les troubles anxieux. Ils mettent certes plus de temps à agir (trois semaines environ) que les benzodiazépines, mais agissent sur le long terme et sans risque d’accoutumance. En cas d’anxiété sévère ou de troubles du sommeil persistants – les deux étant parfois liés -, le choix du traitement le plus adéquat mérite donc l’avis d’un spécialiste. Les benzodiazépines, c’est pas systématique...
Sevrage et benzodiazépines
On peut diminuer les doses mais l’arrêt total est souvent difficile.
Les benzodiazépines sont utilisées par les médecins comme aide au sevrage alcoolique afin de pouvoir diminuer progressivement les doses tout en prévenant les effets graves d’un arrêt brutal de l’alcool (crise d’épilepsie, delirium tremens, etc.). Néanmoins, après le sevrage, certaines personnes continuent à prendre des benzodiazépines et à augmenter progressivement les doses. » Ceux qui ont un passé de dépendance vont plus facilement devenir dépendantes à une autre substance. Le risque est alors de ne pas régler le problème de fond et de remplacer un produit par un autre « , analyse Lauriane Fabry, psychologue aux urgences et coordinatrice du programme » L’alcool et vous » du CHU Brugmann. Certaines personnes vont aussi boire tout en prenant ces médicaments, un cocktail potentiellement dangereux. » Nous voyons aujourd’hui des personnes arriver pour un sevrage uniquement aux benzodiazépines, ajoute Lauriane Fabry. Cela peut se faire en ambulatoire, mais nécessite parfois une hospitalisation de trois semaines environ afin de diminuer progressivement les doses et de faire une mise au point, car il y a souvent de vrais troubles anxieux ou une dépression derrière. «
Les benzos pansement
Les benzodiazépines sont souvent considérées comme un classique de la pharmacie familiale et parfois consommés sans l’avis d’un médecin, après avoir été prescrits à un autre membre de la famille. » Ma mère avait toujours des benzodiazépines à la maison, raconte Sophie, 38 ans. J’ai commencé à en prendre quand j’avais 18 ans, car j’avais pas mal d’angoisses, liées à mes difficultés à choisir des études. Ma mère était au courant et c’est même elle qui m’a conseillé d’en prendre pour me calmer, un peu comme lorsque j’étais petite et qu’elle me mettait un sparadrap pour une petite éraflure de rien du tout... De fil en aiguille, je me suis vraiment mise à compter sur les médicaments : je n’en prenais pas souvent, mais il fallait que je sache où ils étaient et aussi que j’en aie sur moi quand je partais en voyage ou chez des amis au cas où. Plus tard, quand j’ai commencé à vivre en couple, je me suis rendu compte que lorsque j’étais malade, je prenais très mal le fait que mon compagnon ne me propose pas directement de m’apporter un médicament. Pour moi, c’était vraiment la seule marque d’attention valable ! Mais avec le temps, j’ai compris que pouvoir être écoutée, c’est aussi très bien. Et parfois plus efficace. «
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