Anouk Buelens - Terryn
De la nécessité d’une consultation
A peine entré dans mon cabinet, mon patient se met à grommeler et à se plaindre. Sa femme me lance un regard désolé. Je pense être la source de sa mauvaise humeur. La secrétaire m’avait avertie ce matin. Alors qu’il réclamait une série de prescriptions par téléphone, elle lui avait fait remarquer que sa dernière consultation remontait à six mois... En pratique, toute personne sous traitement au long cours est supposée consulter au moins deux fois par an. Mais ce patient ne l’entend pas de cette oreille. « On peut tout faire par ordinateur de nos jours, non? « , me demande-t-il.
C’est une réaction fréquente. Depuis la pandémie de Covid, les patients s’attendent à ce que nous assurions une grande partie de notre travail à distance. Pourtant, je continue à penser qu’une consultation physique garde tout son intérêt. Cela nous permet de revoir ensemble le dossier médical. Faut-il adapter les prescriptions? Le patient prend-il des médicaments dont je n’ai pas connaissance? Et que peut-on améliorer en matière de prévention?
L’homme me tend la liste de ses médicaments. Il roule des yeux quand je lui demande, pour chacun d’entre eux, à quelle fréquence et comment il les prend, mais accepte bon gré mal gré de répondre. Il semble les prendre correctement, comme prescrit. Excellent. Je remarque un anticoagulant et décide de vérifier les antécédents médicaux. Apparemment, aucun diagnostic n’en mentionne l’utilité. Je m’assure que je ne n’ai pas oublié de noter quelque chose... Non, le dossier est correct.
Je lui explique qu’avant, ce médicament était utilisé en prévention, mais que les nouvelles recommandations ne le préconisent plus. Il peut donc arrêter de le prendre. Il hausse les épaules et m’explique que ça ne le gêne pas de continuer à avaler ces cachets... Je lui demande alors pourquoi il a besoin de prendre un pansement gastrique. En effet, le pansement sert à apaiser les maux d’estomac provoqués par l’anticoagulant.
Enthousiaste, je lui annonce qu’on va pouvoir raccourcir sa liste de médicaments: en éliminant l’anticoagulant, le pansement gastrique devient lui aussi superflu. Un médecin ne se contente pas de prescrire des traitements, il est aussi là pour éliminer ce qui ne sert à rien. Plus un patient prend de médicaments, plus il augmente le risque d’interactions. Et donc d’inefficacité. L’homme acquiesce, sans doute surtout parce que sa femme abonde dans mon sens.
Avec l’impression du devoir accompli, je prends congé du couple. Quelques mois plus tard, sa femme vient réclamer ses anticoagulants deux fois plus souvent qu’auparavant... Je suppose que son mari prend les siens maintenant que je ne lui en prescris plus. N’ai-je pas été assez claire dans mes explications? N’a-t-il pas osé exprimer des réserves face à ma décision? La prochaine consultation sera, elle aussi, plus que nécessaire.
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