Fatigue: suite et fin de la maladie?
Après une maladie grave ou au cours d’une maladie chronique, la fatigue est souvent présente. S’il n’existe pas de médicament pour la faire disparaître, le mode de vie et la perception que l’on en a permettent de l’atténuer et de mieux vivre avec.
Le coronavirus est là pour nous le rappeler: après une infection aiguë, la fatigue est souvent au rendez-vous, parfois pendant quelques jours, quelques semaines et même quelques mois. « Nous avons toujours vu des fatigues post- infectieuses: les fatigues post-mononucléose, post- cytomégalovirus (herpèsvirus), post-Lyme, post-malaria... », observe le Pr Michel Moutschen, spécialiste des maladies infectieuses et interniste au CHU de Liège. Différents facteurs permettent d’expliquer ces fatigues. Premièrement, les mécanismes inflammatoires qui se mettent en place lors d’une infection: les interférons, de petites protéines de la famille des citokynes, sont produites pour assurer un rôle de messager au sein du système immunitaire et organiser ainsi la défense de l’organisme. Or, ce processus stimule une voie chimique, la voie de la kynurénine, qui a pour effet de diminuer les stocks de sérotonine, un neurotransmetteur qui intervient dans la régulation de la fatigue et de l’humeur. « Ces effets peuvent se faire sentir pendant trois à quatre semaines après la maladie, mais ne peuvent pas expliquer une fatigue plus longue », précise le Pr Michel Moutschen.
Le caractère « neurotrope » de certains virus (comme le Covid-19) – c’est-à-dire leur capacité à infecter le système nerveux central – pourrait également expliquer certaines fatigues post-infectieuses. « Dans ce cas, il est possible que l’infection aiguë modifie la connexion entre certains neurones et qu’il subsiste des anomalies de fonctionnement de manière plus durable et plus prononcée », détaille le spécialiste. Dans certaines maladies comme le VIH, il arrive aussi que le virus continue à se répliquer: la mobilisation répétée des processus inflammatoires provoque alors une fatigue importante.
Fatigue et dépression
En dépit de ces différentes pistes d’explication, il demeure généralement difficile d’identifier une origine précise à la fatigue, surtout quand celle-ci s’installe durablement. « Le fait qu’on se sente fatigué ou non, heureux ou non, est lié à une chimie. On le sait puisque certains médicaments permettent de pallier ces états. Mais cette chimie des neuromédiateurs nous est inaccessible par les dosages sanguins: on en est réduit le plus souvent à des suppositions », analyse le Pr Michel Moutschen, qui témoigne de la frustration des patients mais aussi des médecins face à ces fatigues « qui ne passent pas ». Dans la plupart des fatigues persistantes – et en l’absence de causes comme une maladie grave, des apnées du sommeil ou d’autres troubles du sommeil -, la composante psychologique ou, pour mieux dire, existentielle semble également prépondérante. La fatigue n’est-elle pas devenue l’expression « en mode mineur » du mal-être contemporain, tel que le suggère la récente « Histoire de la fatigue » de l’historien Georges Vigarello (Seuil, 2020)?
La composante psychologique peut jouer un rôle dans les fatigues persistantes.
« La fatigue peut être un symptôme de dépression mais elle peut aussi la provoquer: on parle alors de dépression d’épuisement, commente Irène Salamun, psychologue au centre d’algologie du CHU de Liège. Cela se voit souvent chez des personnes qui ne parviennent pas, après une maladie ou un accident, à adapter leur activité à leurs nouvelles possibilités. Elles entrent alors dans une logique de montagnes russes, où les périodes d’hyperactivité et d’hypoactivité alternent, engendrant de la frustration et une image négative de soi. »
Des études ont par ailleurs montré qu’après une infection, certains profils psychologiques étaient plus à risque de développer un état de fatigue persistant. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il s’agit généralement de gens hyperactifs, très ambitieux, perfectionnistes, très sportifs et qui brusquement, parce qu’ils sont contraints à un arrêt, sont profondément modifiés dans leur façon de fonctionner », détaille le Pr Michel Moutschen. Comme la douleur physique, la fatigue apparaît aussi comme une manière « socialement acceptable » d’exprimer ses difficultés. Se plaindre de fatigue est toujours plus audible que de dire qu’on est déprimé, que notre vie ne nous convient plus ou que l’on traîne de vieilles casseroles... « Comme les maux de ventre ou les maux de dos, la fatigue peut être considérée comme un mode de somatisation qui reflète la pression considérable ressentie par bon nombre de personnes et leur sentiment d’impuissance face au flot des choses », estime le Pr Michel Moutschen.
Accepter ses limites
Verbaliser ses émotions (inquiétudes, colère face à la maladie...) – au besoin auprès d’un psychologue – et adapter son mode de vie – si nécessaire en s’adressant à un centre de la douleur ou un centre de revalidation (par exemple en cas de maladie cardiaque, de BPCO...) – sont déjà de grands pas pour mieux gérer la fatigue, que ce soit après un épisode infectieux ou dans le côtoiement d’une maladie chronique. « La maladie chronique n’a qu’une seule intention: devenir le centre de votre vie, précise Irène Salamun.
Vivre avec un symptôme désagréable demande de l’énergie, il faut pouvoir s’adapter.
Si vous avez une BPCO, du diabète, une fibromyalgie, vous ne pouvez pas l’enlever de votre vie mais vous pouvez décider de la place à lui donner. En reprenant les rênes, en décidant de ralentir, en se fixant de nouveaux objectifs réalistes, les plaintes de fatigue iront en diminuant. C’est tout un état d’esprit! » Il ne s’agit donc ni de « tout arrêter » – au risque d’aller vers un déconditionnement physique qui ne fera qu’accentuer le problème – ni de courir après sa vie d’avant, mais d’accepter ses limites. « Vivre avec un symptôme désagréable demande de l’énergie: il faut s’adapter. Or, s’adapter est un stress. On puise dans ses réserves en permanence et si on ne laisse jamais la batterie se recharger à fond, c’est comme les gsm: une demi-heure après le lever, on est déjà à plat... »
Même dans le cancer, une des maladies qui provoquent le plus de fatigue, on préconise aujourd’hui une reprise du travail dès que possible, moyennant les adaptations nécessaires, comme un temps partiel. « La maladie, par sa brutalité, renvoie le patient à sa propre finitude », commente encore Irène Salamun. Malgré les difficultés qu’elle engendre, elle peut donc aussi permettre de se recentrer sur l’essentiel. « Dans bien des parcours, on s’aperçoit que la maladie est une manière pour le corps de dire stop et de mettre la personne face à des changements qui étaient devenus nécessaires pour elle. »
Francine, 68 ans
« Depuis dix ans, j’étais très impliquée dans un club de marche. Après une opération à la hanche, j’ai dû arrêter mes randonnées hebdomadaires et cela m’a mis un grand coup au moral... Plus le temps passait, plus je me sentais sans énergie. Je me trouvais lente, apathique, je ne me reconnaissais plus! Je revenais tout le temps à ce constat: « Depuis mon opération, ce n’est plus pareil... »
Mais peu à peu, je me suis rendu compte que ma fatigue était surtout liée au fait que je ne pouvais plus faire ce que j’aimais et que cela me déprimait. Alors, au lieu de me morfondre, j’ai essayé de trouver une alternative. J’ai proposé à ma voisine de faire une promenade chaque dimanche près de chez nous. Au début, j’étais un peu frustrée: deux kilomètres et demi au lieu de quinze, cela me paraissait dérisoire! Mais peu à peu, nous avons découvert de très jolis endroits, je me suis rapprochée de cette voisine, nous avons entraîné une autre amie avec nous et j’ai retrouvé l’impatience de voir le week-end arriver. J’ai retrouvé l’énergie, et j’entretiens à nouveau ma forme... à mon niveau. »
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