vertiges
© Getty Images

Hallucinations, vertiges... Comment notre
cerveau nous berne

Si les illusions d’optique sont amusantes, lorsque notre cerveau interprète mal des signaux qui peuvent provoquer ou entretenir des douleurs ou autres symptômes, cela devient moins drôle.

​« Lorsque les structures cérébrales ne reçoivent pas les informations qu’elles devraient, elles vont en créer », explique le Dr Dick Swaab, chercheur néerlandais spécialiste du cerveau. Ce principe s’applique, entre autres, à une quantité insuffisante d’impulsions provenant de l’oreille, de l’œil, de la mémoire ou des membres. Cela peut entraîner toutes sortes de phénomènes, allant des hallucinations à des douleurs. En comprenant mieux ces mécanismes, vous pourrez mieux appréhender ce type de symptômes pour les combattre.

Les acouphènes

Les bourdonnements d’oreilles ou acouphènes sont un exemple bien connu de ce phénomène : le cerveau crée lui-même des stimuli sonores. Le Professeur Bart Vinck, audiologiste (UZ Gent) : « L’oreille interne est équipée de milliers de cellules ciliées sensibles qui captent les ondes sonores à différentes fréquences et les transmettent à notre cerveau via le nerf auditif. Lorsqu’un certain nombre de cellules ciliées est endommagé, moins de sons parviennent à l’oreille. Lorsque le cerveau constate qu’il reçoit moins de sons, il réagit en compensant. Le nerf auditif résout ce manque de stimuli en envoyant des impulsions nerveuses supplémentaires au cerveau. Le système auditif devient alors hyperactif. Le cerveau reconnaît ces stimuli nerveux comme des sons, même s’ils ne proviennent pas de l’extérieur. C’est ainsi que naît le signal de l’acouphène. »

Certaines personnes souffrent d’acouphènes à fréquence élevée, ce qui est généralement le cas des personnes âgées. Pour d’autres, les signaux sonores ou parasites se situent plutôt à une fréquence plus basse. « La tonalité correspond à la fréquence où se situe la lésion auditive. Comme les cellules ciliées ne transmettent pas le son à cette fréquence, une sorte de « tonalité fantôme » prend sa place. Si vous ne traitez pas cette lésion auditive et ne fournissez donc pas de véritables stimuli sonores, le corps continuera à émettre ce signal sonore pour vous avertir que quelque chose ne va pas », explique le professeur Bart Vinck. Dans le cas des acouphènes, il n’existe pas d’approche unique, mais on recommande un traitement sur mesure s’attaquant à la fois à la perte auditive et à l’influence des peurs ou des pensées négatives par le biais d’une thérapie cognitivo-comportementale.

Berner son cerveau volontairement

Pas encore convaincu(e) du pouvoir de votre cerveau sur votre corps ? Faites ce petit test qui permet de berner votre cerveau. Asseyez-vous à une table et mettez une main en caoutchouc (ou en plastique) à la place de la vôtre. Placez votre main sous le bureau de façon à ce que vous ne puissiez pas la voir. Demandez ensuite à quelqu’un de caresser simultanément la fausse main et votre main avec un coton-tige ou une plume. Votre cerveau associera le fait de voir la caresse de la fausse main à la sensation de la caresse sur la vraie main. Au bout d’une dizaine de secondes, votre cerveau considérera la fausse main visible comme appartenant à votre corps. Si on donne une tape sur la main en caoutchouc, vous aurez l’impression qu’on a touché votre main.

Les hallucinations

Le syndrome de Bonnet, qui touche de nombreux malvoyants à un âge avancé, illustre également comment notre cerveau nous induit en erreur. Il survient principalement en cas d’affections oculaires telles que la dégénérescence maculaire ou le glaucome. Comme le cortex cérébral ne reçoit pas suffisamment d’informations visuelles réelles par l’intermédiaire de l’œil, le cerveau commence à créer ses propres images. Résultat, ces personnes peuvent soudainement voir des images étranges ou colorées, en particulier dans des environnements mal éclairés. Elles se rendent bel et bien compte qu’il ne s’agit pas d’images réelles, mais d’une sorte d’hallucinations, et lorsqu’elles ferment les yeux, ces images disparaissent généralement aussi. Il ne s’agit donc pas d’un trouble mental, mais d’une perception anormale qui peut parfois être effrayante.

Les sensations fantômes, comme la douleur ressentie par les personnes amputées d’un bras ou d’une jambe, reposent également sur ce principe. Le cerveau recrée la présence du membre manquant en l’absence d’informations provenant de ce bras ou de cette jambe.

Les vertiges dus au déplacement de cristaux d’oreille

Le déplacement de cristaux d’oreille est la cause la plus fréquente de vertiges désagréables. Dans le langage médical, on parle de vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB) et, là encore, notre cerveau qui veille normalement à ce que nous restions en équilibre nous joue des tours.

Trois acteurs principaux assurent l’équilibre permanent de notre corps et la stabilité de notre regard : les organes d’équilibre de l’oreille interne, les yeux et les récepteurs des muscles, des tendons et des articulations qui fournissent des informations sur la position du corps. Toutes ces observations sont transmises par des voies nerveuses au cerveau qui, à l’instar d’un metteur en scène, donne des instructions pour ajuster la posture afin d’assurer l’équilibre. Si l’un des trois systèmes est perturbé, comme dans le cas du VPPB, les autres composants tentent de compenser.

En cas de VPPB, les cristaux d’oreille – des petites particules situées dans la couche gélatineuse de l’organe de l’équilibre – commencent à se détacher et se retrouvent quelque part dans les canaux semi-circulaires de l’oreille interne. Là, ils peuvent s’agglutiner et affecter la circulation des fluides. « Cela transmet au cerveau un mouvement qui, en réalité, s’est déjà arrêté, ce qui donne ces symptômes typiques de vertige lorsqu’on bouge la tête. Les vertiges s’arrêtent généralement après une minute d’immobilité, mais reprennent dès qu’on bouge à nouveau la tête. L’organe de l’équilibre est constitué de trois canaux, mais dans 95 % des cas, les cristaux d’oreille se retrouvent dans la partie postérieure. Ils perturbent principalement les mouvements d’avant en arrière, comme s’allonger ou se redresser. S’ils se retrouvent dans les premiers canaux, vous avez surtout des vertiges lorsque vous vous tournez sur le côté », analyse le docteur Marc Lammers, ORL (UZ Antwerpen).

Lorsque 
les structures cérébrales ne reçoivent pas les informations qu’elles devraient, elles vont en créer.

Il est important de traiter ce problème au plus vite, sinon il peut causer des vertiges chroniques, surtout si vous êtes déjà plus instable en raison de troubles de l’audition et de l’équilibre. Dans ce cas aussi, le cerveau n’est pas innocent. En effet, avec le temps, le système assurant l’équilibre peut se dérégler parce que le cerveau reçoit depuis longtemps des signaux erronés de la part de l’oreille interne. Même lorsque les cristaux d’oreille ont retrouvé leur place depuis longtemps, ils peuvent encore provoquer des vertiges.

Le traitement des cristaux d’oreille se fait grâce à une manœuvre spécifique de repositionnement. La manœuvre d’Epley est une combinaison de mouvements de rotation successifs de la tête et du corps, entrecoupés de pauses. De cette manière, les cristaux d’oreille égarés sont lentement ramenés à leur place d’origine. Comme il s’agit de mouvements très spécifiques, il est préférable de les faire exécuter par un médecin ou un kinésithérapeute.

Les douleurs chroniques

Les douleurs chroniques sont un phénomène complexe qui est toujours lié au cerveau : certains signaux ne sont pas traités correctement. Tout un réseau de régions cérébrales et de cellules nerveuses est impliqué dans l’expérience de la douleur. Outre la dimension purement physique, la dimension psychosociale est également présente. En effet, la douleur est aussi une expérience émotionnelle où vos émotions et votre état d’esprit influencent votre sensibilité à la douleur.

Si vos seuils de douleur deviennent trop bas, le système de la douleur réagira également à des stimuli banals tels qu’un simple contact. Cela peut entraîner un cercle vicieux pesant de plus en plus sur votre humeur. Une douleur persistante vous sape le moral, ce qui fait que votre cerveau dispose de moins de sérotonine (l’hormone du bonheur) et de noradrénaline, laissant les stimuli banals provoquer encore plus de douleurs.

« Le système de la douleur peut être comparé à une alarme incendie », analyse le Pr Bart Morlion (UZ Leuven), spécialiste de la douleur, pour décrire ce phénomène complexe. « Il fonctionne très bien pour les douleurs aiguës, mais il arrive que le système devienne hypersensible et envoie continuellement des signaux d’alarme au cerveau alors qu’il n’y a pas d’incendie. Les signaux de douleur continuent alors à circuler même s’il n’y a plus de lien avec une blessure guérie depuis longtemps. À ce stade, les traitements locaux sont inutiles. Il n’y a pas d’incendie à éteindre, le problème se situe au niveau du système d’alarme ou du système de la douleur proprement dit ». La porte de la douleur dans la moelle épinière, qui filtre les signaux vers le cerveau, est alors souvent grande ouverte. Par conséquent, le moindre contact déclenche une réaction chez de nombreux patients souffrant de douleurs chroniques.

Avec l’âge, les mécanismes cérébraux de réduction de la douleur fonctionnent également moins bien, ce qui peut vous rendre plus sensible à toutes sortes de stimuli douloureux.

La fibromyalgie

Le fonctionnement du cerveau est également un maillon essentiel dans les douleurs chroniques causées par la fibromyalgie. Dans ce cas, les patients présentent des symptômes tels que des douleurs musculaires généralisées associées à des maux de tête, des problèmes de sommeil, de la fatigue et toutes sortes de troubles cognitifs et de l’humeur (anxiété, concentration...). Il n’y a pas si longtemps, l’OMS a classé la fibromyalgie dans la catégorie des troubles douloureux chroniques primaires, les symptômes douloureux s’accompagnant de besoins psychosociaux et de détresse. Le rhumatologue français Serge Perrot a alors suggéré qu’il s’agirait d’une mauvaise connexion entre le cerveau et le corps. Des recherches par IRM ont permis de mettre en évidence un lien entre la fibromyalgie et l’intensification de l’activité dans les régions du cerveau responsables de l’expérience de la douleur. Chez les patients atteints de fibromyalgie, le même stimulus douloureux produit une activité beaucoup plus importante dans ces régions que chez les personnes saines. Cela suggère que le traitement de la douleur par le système nerveux central est gravement altéré chez les sujets atteints de fibromyalgie.

Alzheimer

Dans le cas de pathologies comme la maladie d’Alzheimer, où les parties du cerveau responsables de la mémoire et de la cognition sont particulièrement touchées, une distorsion de la conscience de soi peut également apparaître, ce qui induit le cerveau en erreur. « Au fur et à mesure que la maladie progresse, de nombreux patients atteints de la maladie d’Alzheimer ne se rendent plus compte que quelque chose ne va pas. C’est dû à une activité réduite dans la partie du cortex cérébral où sont traitées les informations sensorielles provenant de l’environnement. Cette partie est essentielle à la conscience de soi », explique le neurobiologiste Dick Swaab dans son ouvrage de référence We are our Brains.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire