Lutter contre la fibromyalgie, ou comment recâbler son cerveau contre la douleur
Caractérisée par des douleurs chroniques et diffuses, la fibromyalgie concerne quelque 300.000 personnes en Belgique, dont 70% de femmes. Il s’agirait de personnes qui n’ont pas été sécurisées dans leur enfance.
Reconnue en 1992 par l’Organisation mondiale de la Santé, la fibromyalgie reste un syndrome mal compris. Il touche pourtant entre 2 et 6% de la population dans les pays industrialisés, avec de nombreuses souffrances et incapacités de travail associées. Les personnes atteintes de fibromyalgie subissent en effet des douleurs chroniques, souvent musculaires, qui peuvent s’étendre à tout le corps ou être localisées dans des zones précises. Un état dépressif ou anxieux est généralement présent, de même qu’une fatigue chronique.
« Liée à un dysfonctionnement du système nerveux central et à une déficience dans le système de perception de la douleur, la maladie semble toucher des personnes qui n’ont pas été suffisamment sécurisées dans leur enfance, analyse Marilyn Merlo, psychologue liégeoise fondatrice du réseau Les Fibr’Optimistes, une communauté de soutien et un réseau professionnel de soins pour les personnes souffrant de fibromyalgie et leurs proches.
Je dis souvent que la fibro est venue à moi et non l’inverse. Dans ma patientèle, je rencontrais de plus en plus de femmes qui consultaient pour une dépression ou à la suite d’un traumatisme mais qui souffraient également de douleurs diffuses. Progressivement, je me suis formée à la psychosomatique relationnelle et à la thérapie sensori-motrice, des approches qui prennent en compte le corps en thérapie. Puis, j’ai commencé à développer des outils pour aider les personnes à gérer leurs douleurs, les apprivoiser, voire les éliminer. »
Et les hommes?
Si la fibromyalgie touche majoritairement les femmes, l’insécurité dans l’enfance engendre aussi une importante somatisation chez les hommes. « Ils développent des addictions, des lombalgies, des tendinites, des maux d’estomac..., analyse Marilyn Merlo. « D’autant plus qu’on élève les garçons – à tort – comme s’ils n’avaient pas besoin de cet enveloppement. Petits, ils compensent, parfois par une hyperactivité. Les hommes fibromyalgiques, sont souvent de petits garçons battus qui n’ont pas pu riposter et dont le corps a gardé la tension de la riposte. » Ces constats encouragent aussi à accroître la prévention, notamment à travers une plus grande bienveillance dans l’éducation, une meilleure information sur les abus et négligences, mais aussi une socialisation moins genrée des plus petits. Pour que les filles aient le droit de ne pas être d’accord et les garçons celui d’être câlinés. Une question de santé publique.
Des émotions incorporées
« Les patients « fibro » ont en commun un parcours de vie marqué par un manque de sécurité dans l’enfance, observe la psychologue. Ce sont d’anciens enfants dont les émotions n’ont pas été prises en compte: on ne les a pas rassurés, ils ont manqué d’un enveloppement sécure et n’ont pas été régulés émotionnellement par des parents suffisamment sécurisants. Cela peut aller de manquements légers à des traumatismes violents importants. » Une fois adultes, ces personnes continuent à éprouver de grandes difficultés à identifier leurs sentiments, à en prendre conscience comme à les nommer. Ce sont aussi des adultes qui ont du mal à identifier leurs limites.
La tension émotionnelle et mentale vécue pendant une longue période crée une tension musculaire. Vous vous retrouvez avec un corps qui, mis sous tension depuis très longtemps, finit par créer des lésions. C’est comme si la surcharge émotionnelle passait directement par le corps. »
En Belgique, la fibromyalgie touche environ 300.000 personnes, dont 70% de femmes.
Les patients consultent souvent autour de 40-50 ans, quand la fibromyalgie commence à avoir des conséquences de plus en plus sévères dans leur vie. Mais les origines du mal remontent souvent très loin.
Or, les connaissances autour de la plasticité neuronale permettent aujourd’hui d’éclairer ces liens entre parcours de vie et hypersensibilité à la douleur. « Les connexions cérébrales ne sont pas figées: elles sont plastiques, précise Marilyn Merlo. Quand vous vivez des négligences dans l’enfance ou des traumatismes, la gaine de myéline qui est autour de la zone des nerfs devient beaucoup plus fine, ce qui veut dire que vous avez aussi des neurones plus sensibles, plus fragiles et que vous créez des circuits neuronaux de type traumatique, de type « peur », de type « souffrance ». C’est comme si vous deveniez câblé pour ça. Quand ces personnes viennent en thérapie, tout est à reconstruire. Mais il faut savoir que dans la relation thérapeutique – une relation qui va fournir de la sécurité -, il est possible de recâbler les neurones et de réparer la myéline qui entoure les axones des neurones. Vous créez une structure électrique davantage capable de tolérer la douleur. »
Sécurité et compassion
Une telle approche permet de comprendre le véritable sens du terme « psycho-somatique » qui ne désigne pas une maladie qui serait « dans la tête » ou « inventée » mais une maladie qui traduit directement dans le corps des émotions qui n’ont pas pu être exprimées autrement.
« Les personnes avec une fibro- myalgie sont très en demande d’une relation sécurisante et enveloppante. Cela agace certains soignants, ce qui explique le rejet d’une partie du corps médical et paramédical« , observe Marilyn Merlo. Pourtant, la psychologue en est persuadée: la bienveillance, la chaleur et la compassion d’un thérapeute lui-même conscient de ses limites sont capables de briser ce cercle vicieux.
« Quand la personne se détend, alors on peut travailler. On peut aller chercher la croyance qui fait souffrir – par exemple « Je ne vaux rien » – et la remplacer par une autre. Quand on établit ces corrections émotionnelles et mentales, automatiquement le corps se soulage. »
C’est pourquoi les approches psycho-corporelles sont aujourd’hui privilégiées dans ce type de syndrome, associant en général différentes techniques, de la pleine conscience aux thérapies cognitives, en passant par l’hypnose et le travail psychanalytique.
« La mémoire traumatique est une mémoire qui touche le corps. Si on est seulement dans le mental, la personne va comprendre ce qui lui est arrivé mais elle va quand même continuer à le sentir tout le temps. Ces techniques vont permettre d’aller vraiment reprogrammer la mémoire corporelle. » Alors que certains patients parviennent à se débarrasser en grande partie et même totalement de leurs douleurs, c’est aussi souvent leur vie qui change.
« Le fait de vivre une seule fois et dans toute sa structure psycho- corporelle et émotionnelle cette relation enveloppante et cette compassion va induire que la personne va pouvoir la vivre enfin à l’extérieur, ne pas lui tourner le dos, ne pas en avoir peur. Une fois qu’elle est devenue pour elle-même le bon parent sécure qu’elle n’a pas eu, elle est autonome, rencontre d’autres personnes et s’ouvre à ce monde de bienveillance. »
Infos:
https://www.lesfibroptimistes.com, https://www.merlo-psy-liege.com
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