Perturbateurs endocriniens: sauvez vos hormones !
Invisibles, les perturbateurs endocriniens sont présents dans nos maisons, nos armoires et nos assiettes. Si leur dangerosité est difficile à mesurer, mieux vaut cependant les éviter.
Du shampoing matinal au lunch réchauffé au micro-ondes en passant par la canette de soda, la séance de manucure et l’apéro dans le jardin désherbé : ils sont partout. Qui ? Les perturbateurs endocriniens ! Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), un perturbateur endocrinien est une » substance exogène ou un mélange qui altère la/les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations « . Ces composants se sont répandus à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moment de l’essor de l’industrie chimique : on les retrouve ainsi dans les plastiques, les pesticides, certains agents pharmaceutiques et cosmétiques, mais aussi dans les solvants et lubrifiants. Les hormones naturelles ou de synthèse (oestrogènes, testostérone, progestérone) constituent une autre source, plus minoritaire, de perturbateurs endocriniens : utilisés en thérapeutique (contraception, substitution hormonale, hormonothérapie), elles pourraient avoir un effet indirect en rejoignant les milieux naturels, après avoir été excrétées dans les rejets humains ou animaux.
Cancer, diabète et QI
Premier chef d’accusation ? Les perturbateurs endocriniens sont soupçonnés d’avoir des effets sur le système reproducteur : endométriose, fibromes utérins, cancer du sein chez la femme ; malformation urogénitale, diminution de la qualité du sperme et infertilité, cancer des testicules chez l’homme. » L’infertilité masculine est pour moi l’effet le plus frappant, même si d’autres facteurs entrent en ligne de compte, explique le Pr Alfred Bernard, toxicologue (UCL), qui a notamment réalisé des travaux sur l’impact du chlore utilisé dans les piscines sur la fertilité future des petits garçons. Je dis parfois en conférence que l’homme n’a plus qu’un testicule en ce sens que la fertilité a diminué de près de 50 %, ce qui est tout même inquiétant pour l’avenir de l’humanité. «
Depuis quelques années, les perturbateurs endocriniens sont par ailleurs accusés d’avoir des effets délétères sur le développement du cerveau. Ils seraient ainsi impliqués dans le TDAH (Trouble de l’attention et hyperactivité), l’autisme et même... la baisse du QI. » Cela pourrait en effet être associé à une exposition précoce – lors de la grossesse – aux perturbateurs endocriniens, notamment aux plastiques. Avec une différence selon le sexe : pour des raisons d’interactions hormonales, les garçons sont plus sensibles que les filles aux conséquences cognitives « , explique le Pr Alfred Bernard.
Enfin, les perturbateurs endocriniens auraient un effet sur l’obésité et le diabète, et ce par le biais de différents mécanismes. » Une alimentation très grasse et très riche vous expose davantage au diabète de type 2. Mais en même temps, elle vous expose aussi davantage aux polluants qui se trouvent dans les aliments, les produits industriels, les emballages plastiques des petits gâteaux ou le revêtement intérieur des conserves « , détaille le spécialiste.
Un procès délicat
Même si les perturbateurs endocriniens sont loin d’êtres les seuls coupables, ils feraient donc partie des facteurs qui président à l’augmentation de certaines pathologies. La défiance qu’ils suscitent est d’ailleurs née du parallèle observé entre l’augmentation de maladies pouvant impliquer le système hormonal et l’augmentation de la production de substances chimiques de synthèse dans l’industrie. Selon les Nations unies, le volume des substances produites par l’industrie chimique a en effet augmenté près de 300 fois depuis 1970 ! Étudier la toxicité des perturbateurs endocriniens reste d’ailleurs un véritable défi pour les scientifiques : actuellement, » seules » 1.300 substances ont été étudiées... soit 1 % de tous les perturbateurs endocriniens
Ces substances sont d’autant plus difficiles à étudier que leur nocivité ne semble pas correspondre aux critères utilisés habituellement par les toxicologues pour qui » la dose fait le poison « . Dans le cas des perturbateurs endocriniens, les doses les plus faibles pourraient en effet être celles qui créent les effets les plus importants ou des effets contraires aux doses les plus fortes : c’est ce que les scientifiques appellent les effets » non monotones « . Par exemple, au CHU de Liège, l’équipe du Dr Jean-Pierre Bourguignon, a montré que si une dose forte de bisphénol A avançait la puberté, une dose très faible pouvait la retarder... Problème : aujourd’hui, la réglementation continue de se baser sur des études » doses/réponses » classiques. Sans compter que les perturbateurs endocriniens peuvent aussi interagir entre eux, ce qu’on appelle l’ » effet cocktail « . » Les connaissances qui s’accumulent indiquent que pour toute une série de substances chimiques, il y a un réel danger. Mais la démonstration pure et simple pour une substance donnée est d’autant plus difficile que nous sommes exposés à des mixtures de substances à doses faibles alors que la majorité des données scientifiques – tout comme l’industrie – n’envisagent qu’une substance à la fois « , explique le Dr Jean-Pierre Bourguignon.
Des effets transgénérationnels
De quoi tomber dans la paranoïa ? De quoi, au minimum, inciter à la vigilance. » Il faut se concentrer sur les fenêtres de vulnérabilité qui vont de la grossesse à la puberté. Les perturbateurs endocriniens ont, en effet, surtout un impact sur les organismes en développement « , rappelle le Pr Alfred Bernard. Les femmes enceintes seraient donc particulièrement concernées par cette problématique car pendant la grossesse, le foetus met en place toute une série de mécanismes d’adaptation qui font intervenir les hormones : il est donc particulièrement sensible aux substances capables de modifier leur action. Par ailleurs, chez le foetus, le foie et le rein ne fonctionnent pas encore de manière optimale et peinent à éliminer les substances qui mériteraient de l’être. » À l’âge adulte, certaines pathologies peuvent aussi influer sur l’assimilation des substances : par exemple, dans le diabète, les perturbations métaboliques font que certaines substances seront moins facilement éliminées. Chez certaines personnes âgées, une diminution de la fonction hépatique pourrait également favoriser l’assimilation de certains perturbateurs « , précise le Pr Alfred Bernard.
Pour aggraver leur cas, les perturbateurs endocriniens ont aussi la faculté d’impacter plusieurs générations successives, comme cela a été montré pour le distilbène. Prescrit aux femmes enceintes dans les années 40 à 50 pour prévenir les fausses couches, cet oestrogène de synthèse a finalement été identifié comme favorisant certains cancers gynécologiques et une stérilité chez les filles de ces femmes. Or, aujourd’hui, les effets sont encore sensibles sur la génération des petits-enfants... » Ces substances sont capables de modifier l’épigénome, c’est-à-dire la manière dont le gène sera exprimé en fonction de son environnement chimique « , commente le Dr Jean-Pierre Bourguignon. Certaines études ont ainsi évalué le coût dans l’Union européenne des maladies impliquant plausiblement des perturbateurs endocriniens à près de 160 milliards d’euros par an. En attendant un durcissement de la législation, cap sur les bonnes pratiques !
Comment réduire son exposition aux perturbateurs endocriniens ?
Entretien
- Pour l’entretien de la maison, limitez au maximum le recours aux désinfectants et produits antibactériens. Pensez aux produits d’entretien à l’ancienne comme le savon de Marseille et le savon noir pour les sols, le vinaigre blanc pour les vitres, le bicarbonate pour désodoriser et nettoyer les sanitaires, les plaques de cuisson et l’évier.
- Aérez tous les jours la maison, environ 15 minutes matin et soir.
- Évitez l’utilisation des parfums d’ambiance, des bougies parfumées et autres désodorisants d’intérieur.
Cuisine
- Evitez les plats préparés, les aliments en conserves et autres préparations industrielles.
- Utilisez de la vaisselle en verre, en métal inoxydable ou en céramique.
- Évitez les contenants en plastique. Si vous avez encore dans vos armoires des récipients présentant le sigle PC (polycarbonate) ou un 7 dans un triangle, débarrassez-vous- en : ils contiennent du bisphénol A.
- Ne réchauffez pas les plats préparés du commerce directement dans leur barquette.
- Utilisez une bouilloire en Inox plutôt qu’en plastique.
- Préférez les boissons dans des bouteilles en verre aux bouteilles en plastique et aux canettes.
- Limitez votre consommation de thon et d’espadon.
Salle de bain et dressing
- Gels douche, déodorants, shampooings, maquillages : réduisez votre utilisation de cosmétiques et/ou préférez-leur les produits porteurs d’écolabels.
- Lorsque vous achetez des nouveaux vêtements, lavez-les avant de les porter, car la plupart sont traités avec des retardateurs de flamme.
Jardin
- Jardinez sans pesticides, en plaçant des couvre-sol, en prévoyant des aménagements favorables aux coccinelles, etc.
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