Quand la douleur devient une maladie
Peut-on être malade d’avoir mal et avoir mal sans être malade ? Oui, répond le Pr Marie-Elizabeth Faymonville, responsable du Centre de la douleur au CHU de Liège. Mais pourquoi la douleur devient-elle parfois une maladie ?
Vous venez de vous brûler en touchant la poêle ? C’est le signe que vous devez vous écarter. Vous êtes tombé et votre cheville vous fait souffrir ? Sans doute un avertissement qu’il ne faut plus poser le pied à terre pendant un petit temps ! Une rage de dents ? Il est temps de consulter le dentiste. La douleur aiguë est un mécanisme de protection : elle nous avertit qu’il existe une menace pour notre intégrité physique. Ce système d’alarme nous protège, nous permet de réagir et de mettre en place des stratégies pour nous préserver. » Il existe néanmoins différentes conditions où cette douleur se prolonge dans le temps, même quand il n’y a pas de mécanisme biologique visible « , explique le Pr Marie-Elizabeth Faymonville, responsable du Centre de la douleur au CHU de Liège. Un phénomène très fréquent puisqu’en Belgique, on estime que 23% des personnes ont des douleurs chroniques (au-delà de 3 à 6 mois), sans qu’il existe une cause biologique bien identifiée.
QUATRE COMPOSANTES
Pour comprendre ce phénomène, il faut rappeler que la douleur est un système qui active différentes voies nerveuses. Ces voies transmettent l’information de la périphérie (muscles, tendons, intestin, tête...) vers la moelle et de la moelle vers le cerveau. Dans le cerveau, la douleur se répartit entre quatre régions différentes – ce qu’on appelle le réseau de la douleur. La première région est celle de la sensation : grâce à elle, nous pouvons dire quel type de douleur nous ressentons (brûlures, picotements, douleur en étau...). La deuxième est la région de l’émotion : la douleur peut me rendre triste, irritable, en colère, susciter en moi un sentiment d’injustice ou de découragement. La troisième est celle du comportement : chez certaines personnes, la douleur entraîne des pleurs ; chez d’autres, l’envie de ne plus bouger, de se terrer dans un coin. Enfin, la douleur stimule la région des pensées, de la cognition : elle suscite des réflexions diverses qui tournent souvent autour de l’inefficacité des traitements, de l’incompréhension. « Les gens se mettent à penser que ça ne sert à rien de consulter, que ça n’ira jamais mieux, qu’on va sur la Lune et que pourtant, on ne peut pas leur enlever ça « , explique le Pr Faymonville.
QUAND LA DOULEUR GÈRE LA VIE
» Quand la douleur persiste dans le temps, les répercussions de ces différentes composantes sur la vie de la personne deviennent de plus en plus marquées. À un moment donné, c’est sa douleur qui gère sa vie : elle ne travaille plus, ne voit plus ses amis – sous prétexte que si elle ne peut plus travailler, elle ne va pas non plus aller s’amuser -, elle se sent incomprise car on ne voit rien de sa douleur à l’extérieur et a donc tendance à s’isoler. Quand la douleur enlève toute qualité de vie, elle est vraiment une maladie. »
Un cercle vicieux peut alors se mettre en place, comme l’explique Gérard, 52 ans. « J’ai commencé à avoir mal au dos, parce que j’étais stressé au travail. J’ai fini par me faire une hernie discale, j’ai dû être opéré, j’ai été mis en arrêt de travail mais le problème, c’est que je ne sortais plus de chez moi. J’avais peur de me refaire mal au moindre mouvement. Du coup, à la maison, je ne faisais plus rien non plus... ce qui a fini par porter sur les nerfs de ma femme. Nous nous disputions et j’avais encore plus mal au dos. Et à côté de ça, mon kiné me disait que si je voulais que mon dos se remette, il fallait que je fasse de l’exercice alors que moi, j’avais une seule envie : rester au lit. «
LES RESSOURCES INTÉRIEURES
Si la douleur aiguë se transforme en douleur chronique et entraîne cette spirale négative, c’est souvent parce qu’il existe à la base un contexte d’insatisfaction ou d’anxiété, lié à la vie professionnelle ou familiale. Les causes de la douleur chronique ne sont donc pas seulement biologiques mais aussi psychosociales. « Une simple entorse à la cheville peut déboucher sur une douleur chronique, même lorsque tout semble parfaitement cicatrisé « , illustre le Pr Faymonville. Il suffit que cette entorse advienne au mauvais moment, quand la personne se sent vulnérable.
EN CAS DE STRESS CHRONIQUE
Dans une pathologie comme la fibromyalgie, les douleurs apparaissent même à différents endroits, se déplacent et varient d’intensité. » Normalement, le cerveau est doté d’un système inhibiteur, qui envoie des modulateurs de la douleur. Mais dans certaines circonstances, notamment de stress chronique, ce système s’épuise et n’est plus fonctionnel. » Ce qui ne devrait normalement pas provoquer de douleur peut alors devenir source de grande souffrance. » Une personne peut avoir mal à l’épaule parce que son partenaire pose sa tête contre elle. Or, son organisme n’est pas menacé par cela ! Simplement, le système ne fonctionne pas : l’information de douleur est transmise sans qu’il existe aucune menace pour l’intégrité physique de ce muscle. «
Si la région de la sensation dysfonctionne, il convient donc d’agir sur les trois autres composantes du réseau de la douleur : l’émotion, le comportement et la pensée. » Les médicaments n’ont qu’une efficacité limitée et peuvent créer une dépendance. Il faut donc miser sur les ressources intérieures qui permettent de sortir de l’engrenage de la douleur chronique. L’autohypnose, la méditation, l’activité physique et tout simplement l’amusement permettent d’agir « , détaille le Pr Faymonville. Avec ce type de prise en charge comme on en propose désormais dans les centres de la douleur, la spécialiste l’assure : il est possible d’atténuer spectaculairement la douleur... et parfois même d’en guérir.
Les effets réels de l’auto-hypnose
L’hypnose dite médicale – rien à voir avec un spectacle dans lequel on tenterait de vous faire perdre le contrôle de vous-même pour faire rire la compagnie ! – est un ensemble de techniques qui permettent de mieux gérer le stress, l’anxiété et la douleur, voire de la supprimer, notamment en dissociant celle-ci de l’émotion. Il s’agit d’induire un état où l’on est à la fois présent, tout en s’évadant mentalement : pour atteindre cette dissociation, le thérapeute en hypnose médicale incite généralement à imaginer un » lieu de sécurité « . Ce lieu est un endroit, réel ou imaginaire, dans lequel le patient se sent bien, à l’abri. Après quelques séances, il est capable de se projeter lui-même dans ce lieu, sans l’aide du thérapeute. Ces techniques doivent ensuite être utilisées avec régularité : avec de l’entraînement, ces états d’auto-hypnose deviennent presque automatiques. Bien sûr, l’auto- hypnose n’est pas la panacée : elle est complémentaire à d’autres approches. Mais ses effets sur la douleur chronique sont bien réels.
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