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Quand les jeux d’argent viennent combler la solitude, au risque de devenir une drogue

Julie Luong

Du billet à gratter au boursicotage en passant par les machines à sous, les jeux d’argent et de hasard sont parfois perçus comme un remède à la solitude ou à la précarité. Mais l’engrenage peut rapidement se mettre en place.

Anne-Marie aura bientôt 70 ans. Ses enfants sont loin, son compagnon est décédé et sa grande maison, parfois, lui semble bien vide. Alors, certains soirs, pour se changer les idées, Anne-Marie enfile une jolie robe, se pomponne et prend sa voiture pour se rendre au casino. Là, elle commence par prendre un verre avant de s’attabler à une machine électronique. Elle misera  » petit  » pour faire durer avant de s’offrir un bon dîner servi par un personnel déférent. Luxe, calme et volupté : que demander de plus ? Sauf que pour s’offrir ce moment, Anne-Marie a dû franchir la frontière. Ce casino est aux Pays-Bas. En Belgique, Anne- Marie a demandé il y a longtemps qu’on l’interdise de casinos... Elle y jouait bien trop d’argent.

Un remède à la solitude

 » Les joueurs mettent souvent de nombreuses années avant de venir consulter, souvent parce qu’ils se retrouvent au pied du mur, avec des difficultés conjugales, professionnelles et financières déjà installées, constate Mélanie Saeremans, psychologue coordinatrice à Clinique du jeu du CHU Brugmann. Chez les plus de 50 ans, on retrouve beaucoup de personnes qui fréquentent aussi les débits de boissons, le bingo ou les agences de paris, c’est-à-dire des lieux qui permettent une socialisation de surface qu’elles ont parfois perdue en cessant de travailler. «  Comme pour Anne-Marie, il s’agit avant tout pour ces personnes de sortir de chez elles, de profiter de l’animation, de faire quelque chose.  » Ce sont des lieux où elles se sentent bien. Au départ, le jeu peut aussi être une manière de fuir des émotions négatives, motivée par l’envie de rêver, de se projeter, de se valoriser en gagnant cet argent. C’est une activité qui apporte beaucoup de choses positives à court terme. Jouer a un pouvoir déconnectant assez fort, tout en étant plus acceptable que l’alcool, par exemple.Mais malheureusement, ça touche au nerf de la guerrel’argentet donc très vite, on va avoir des pertes, qui se rajoutent aux difficultés qu’on essayait de fuir... »

Interdiction d’accès

Depuis 2004, la Belgique dispose d’un système électronique qui regroupe tous les joueurs interdits et permet de les identifier à l’entrée des casinos et des salles de jeux réels ou virtuels, de même que des agences de paris virtuelles, pourvu que les sites appartiennent au domaine « .be « . Chaque joueur peut se faire volontairement interdire en remplissant un formulaire sur le site web de la Commission des Jeux de Hasard : www.gamingcommission.be. Dans certains cas, la demande peut être faite par un tiers (parent, conjoint, etc.)  » Ce n’est pas une solution miracle, mais ça permet de limiter la casse au niveau financier et ça rassure les proches « , souligne Mélanie Saeremans, psychologue à la Clinique du jeu. Il est en revanche impossible de se faire interdire de bingo dans les cafés.

Entre hasard et raison

Mélanie Saeremans rencontre aussi régulièrement de bons pères de famille, qui se mettent à miser en Bourse... et finissent par perdre le contrôle avec des produits de plus en plus risqués.  » Bien sûr, ce n’est pas du hasard pur. C’est du semi-hasard qui met en jeu toute une série de compétences qu’ils ont l’impression d’avoir, surtout s’ils s’intéressent à l’économie « , précise-t-elle. Ces hommes peuvent alors tomber dans la dépendance (mises de plus en plus élevées, préoccupation constante pour cette activité, dissimulation de l’ampleur des pertes...), tout en ayant l’impression de gérer le capital familial.

 » A partir du moment où il y a des pertes, les motivations se modifient : il ne s’agit plus de s’évader, mais bien de réparer les pertes et de ne pas se faire prendre, en espérant par exemple pouvoir remettre la somme prise sur le compte d’épargne avant que le conjoint ne s’en aperçoive « , analyse la psychologue de la Clinique du jeu. Mais il est vrai aussi que dans un contexte de précarisation croissante, le besoin d’argent peut être présent dès l’origine : le jeu est alors perçu comme la seule possibilité pour améliorer son niveau de vie.  » Beaucoup de personnes se disent qu’elles ne peuvent pas vivre avec leur bas salaire ou leur CPAS. Elles se mettent donc à jouer avec cette idée qu’elles pourront gagner leur vie comme ça. C’est une situation qu’on rencontre chez certains jeunes en perte de repères qui se mettent à faire des paris sportifs en ligne et pensent qu’ils vont pouvoir en faire leur métier. »

Pour Mélanie Saeremans, il ne faut pas pour autant diaboliser le jeu.  » Avant, certains praticiens pensaient qu’il fallait arrêter tout type de jeu comme un alcoolique doit arrêter toute consommation d’alcool. Mais je pense qu’il faut adopter une attitude plus souple car il peut y avoir une vraie fonction psychologique au jeu. Ce qui importe, c’est de limiter les conséquences négatives et d’accompagner le joueur, à son rythme, dans sa prise de conscience. » En l’amenant par exemple à renouer avec le plaisir de jouer sans enjeu financier ou à socialiser d’une autre manière, via le bénévolat ou les loisirs.

Plus d’infos sur www.aide-aux-joueurs.be – Voir aussi le site de La Clinique du Jeu du CHU Brugmann : http://stopjeu.cliniquedujeu.be

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