Se reconstruire après un cancer du sein

PlusMagazine.be Rédaction en ligne

Même après la fin du traitement, le cancer du sein reste à l’origine de montagnes russes, physique et émotionnelle. «On imagine qu’on reprend le cours de sa vie. Mais moi, je ne suis plus la même...»

Il y a huit ans, Mieke, 50 ans, apprenait qu’elle était atteinte d’un cancer du sein. Après une intervention chirurgicale et un traitement lourd, se reconstruire n’a pas été facile. « Pendant des mois, j’ai attendu avec impatience la dernière séance de chimiothérapie. Mais quand ce jour est enfin arrivé, je suis tombée dans un trou noir. Ce n’est qu’à ce moment que j’ai réalisé ce qui m’était arrivé. Je me suis sentie perdue, notamment parce que l’environnement de soins avait disparu. Malgré tout, je m’étais attachée aux infirmières, à leur bienveillance, au rythme des visites à l’hôpital. Et soudain, j’allais me retrouver seule à la maison, avec un corps différent et beaucoup de temps pour réfléchir.»

Aucune garantie

Virginie, 47 ans, partage ce sentiment: «Il s’est écoulé cinq semaines entre le diagnostic et le pronostic. Une période horrible, avec de nombreux examens et beaucoup d’incertitude. Y a-t-il des métastases? Le traitement va-t-il fonctionner? Est-ce que je vais le supporter? Et mon petit garçon? Du jour au lendemain, votre vie bascule.

C’est pourtant après le traitement que j’ai vécu les moments les plus difficiles. Les gens voyaient l’ancienne Virginie et pensaient que tout était fini. Loin de là! J’ai toujours espéré qu’on me garantirait que le cancer ne reviendrait jamais, mais c’est impossible. Aujourd’hui encore, cinq ans après le diagnostic, j’ai peur. J’interprète chaque petite douleur comme un possible signal d’alarme.»

«Les personnes atteintes d’un cancer perdent le contrôle de leur vie, analyse Nathalie Cardinaels, psychologue clinicienne et thérapeute comportementale qui accompagne des femmes et des hommes pendant et après leur traitement. Il faut apprendre à vivre avec des doutes et des incertitudes existentielles. À chaque nouveau contrôle, le spectre d’une mauvaise nouvelle resurgit. A la moindre petite douleur, la peur refait surface. Les personnes qui sont naturellement dans le contrôle, résistent moins bien à l’incertitude au contraire de celles qui sont plus détachées. »

Tenir différemment

Comment supporter l’angoisse et l’incertitude sans s’effondrer? «En trouvant la stratégie qui vous convient, conseille Nathalie Cardinaels. Certaines femmes tirent leur énergie de l’idée de combattre le cancer, mais d’autres pas du tout. Inutile de vous raconter une histoire à laquelle vous ne croyez pas et laissez suffisamment de place aux émotions difficiles. Vous ne pouvez pas ignorer votre cancer. Certaines personnes essaient de réduire les risques de récidive en suivant un régime alimentaire strict ou un programme d’exercices intensifs. C’est bien, tant que cela ne devient pas compulsif. Je comprends le désir de garder le contrôle, mais il faut aussi oser analyser ses comportements. Quelle angoisse essayez-vous de juguler? Quelle place occupe ce sentiment? Comment être un peu plus serein par rapport à votre maladie?

Il s’est écoulé cinq semaines entre le diagnostic et le pronostic. Une période horrible.

Chez la plupart des gens, l’angoisse diminue avec le temps, en particulier entre les visites de contrôle. Mais lorsqu’on leur demande s’ils ont lâché prise, on se rend compte combien le terme est délicat. Apprendre à tenir différemment rend mieux compte du défi à relever, et ce tant au niveau mental que physique. Les traitements entraînent souvent une fatigue persistante et des problèmes cognitifs. Certaines femmes connaissent une ménopause artificielle suite à une hormonothérapie, d’autres subissent une mastectomie ou perdent tout désir sexuel.

Après le traitement, beaucoup ont envie de reprendre leur vie d’avant. Mais il peut y avoir un gouffre entre ce qu’on veut faire et ce qu’on peut encore faire. Je conseille la douceur et l’auto-compassion. Il n’est pas nécessaire de tout faire comme avant. Le cancer vous impose des limites qu’il faut accepter. Pour les personnes qui aimaient tester constamment les leurs, la situation est difficile à accepter.»

«C’est comme si votre esprit voulait en faire plus que ce que vous pouvez physiquement supporter, raconte Virginie. J’ai dû respecter mon corps et accepter d’être plus souvent fatiguée. Ce n’est pas facile, car au travail ou à la maison, on s’attend à retrouver la même personne qu’avant. J’ai parfois l’impression de devoir me justifier sans arrêt. De ma fatigue, de la façon dont je suis dans la vie aujourd’hui. C’est comme si mon entourage me disait « Cela fait cinq ans, allez Virginie, reprends-toi!». Mais ça ne marche pas comme ça. Je ne suis plus la même. Les gens imaginent un peu trop facilement qu’il suffit de reprendre le cours de sa vie alors que, pour moi, elle s’arrête encore régulièrement. A l’approche d’un contrôle, quand je pense à Victor qui peut perdre sa maman, quand je ne sais pas vers qui me tourner pour exprimer mes doutes...»

Les priorités

« Après une journée avec Victor, je suis très fatiguée. Dès que j’ai fini les tâches ménagères du matin, je fais une longue pause pour avoir de l’énergie quand il rentrera de l’école. En fait, je m’organise en fonction de Victor. Il avait un an lorsque j’ai été diagnostiquée et j’ai manqué beaucoup de choses de la seconde année de sa vie. Nous avons en dû nous retrouver et peut-être suis-je encore en train de compenser mon absence à l’époque.
Je vais aussi me promener une fois par semaine avec une amie à qui je peux dire que ne me sens pas bien. Je trouve également une oreille attentive auprès de mon médecin. Je montre moins mes doutes à mon mari et à mon fils car je ne veux pas les inquiéter. Pour eux aussi, les choses sont différentes. Ils sont tournés vers l’avenir et considèrent mon cancer comme du passé. Mais je n’en suis pas encore là. Je vais régulièrement à l’hôpital faire nettoyer mon port-à-cath. Je pourrais m’en passer mais le rituel du nettoyage, de l’examen des seins et de la prise de sang me donne quelque chose à quoi me raccrocher. Avec le temps, je veux apprendre à apprécier davantage les beaux moments entre les examens.»

Les métastases

Mieke est confrontée à un défi similaire. Après la découverte de métastases en 2022, l’avenir s’est assombri. Aujourd’hui, les médecins tentent de stabiliser la maladie et non plus de la guérir. «Quand j’en parle autour de moi, mes interlocuteurs ne savent que dire. Je pense qu’ils confondent la phase palliative –dans laquelle je me trouve actuellement– avec la phase terminale. Depuis un an et demi, mes contrôles ont toujours été bons. Le cancer est là, mais il ne progresse plus. En théorie, je peux encore vivre dix à vingt ans.

Après un contrôle rassurant j’ose enfin faire des plans d’avenir.

En ce moment, je me sens plutôt bien. Physiquement, je suis la même qu’il y a deux ans. La chimiothérapie permanente me fatigue plus rapidement, mais j’arrive encore à travailler à mi-temps. Certaines personnes oublient que je suis malade et c’est très bien ainsi car je n’ai pas envie d’être confrontée en permanence à la maladie. En plus d’être une personne atteinte d’un cancer, je suis aussi Mieke, une personne qui compte, dans son rôle de mère mais aussi dans ses activités professionnelles.

Malgré tout, j’ai du mal à me projeter dans l’avenir. Après les vacances en famille de l’été dernier, ma fille m’a demandé si nous reviendrions au même endroit l’année suivante. Sa question m’a angoissée car je ne me projette pas à si long terme. Ce n’est que dans les semaines qui suivent un contrôle rassurant que j’ose faire des plans pour l’avenir, que, par exemple, je planifie un voyage ou une activité professionnelle. Heureusement, il y a aussi ces moments-là. Je (re)prends conscience que la vie continue et que tout espoir n’est pas éteint. Mais j’ai aussi des périodes de blocage. L’angoisse est plus grande qu’après mon premier diagnostic parce que l’incertitude est également plus grande. J’appartiens à la catégorie des personnes qui ne guériront jamais et ce manque de perspectives est parfois étouffant. Vous savez que, tôt ou tard, les médicaments perdront de leur efficacité mais vous ignorez quand.»

Un besoin de perspectives

«Ma famille, mes amis et mes collègues ont du mal à accepter l’idée que la guérison est impossible, constate Mieke. Ils sont interloqués ou se taisent, de peur que leurs paroles ne me blessent. Je peux comprendre leur malaise. Il est difficile de trouver les mots pour parler du cancer métastatique et c’est pourquoi j’explique systématiquement ma situation. Par exemple, je dis que les gens meurent de plus en plus avec un cancer, plutôt que du cancer.

Ceci étant, je ne me sens pas bien avec genre de discours: pourquoi devrais-je encourager les autres et pas l’inverse? Il est difficile de voir des perspectives d’avenir lorsque tout le monde semble croire qu’il n’y en a aucune.

En fait, je souhaite simplement que les gens me demandent comment je vais en tant qu’être humain, pas en tant que malade. »

Offrir son soutien

Comment soutenir un ami, un collègue ou un proche?

Ne dites pas:

• Tu as bonne mine. «Après un traitement, les malades ont souvent l’air mieux qu’ils ne se sentent. Un compliment (bien intentionné) suggère qu’ils sont guéris et qu’il est temps de reprendre le cours de leur vie. Or c’est un très long processus. Demandez plutôt: Comment vas-tu réellement?»
• La situation de mon frère est pire! «La comparaison avec d’autres dans le but de relativiser la gravité de la situation est inutile. C’est donner le sentiment que les angoisses et les doutes n’ont pas lieu d’être. En outre, ce genre de réflexion peut être source d’angoisse!»

Dites plus tôt:

• Je suis avec toi. «Soyez présent et écoutez sans porter de jugement. Il n’est pas nécessaire de tout comprendre pour en saisir toute la gravité. Il n’est pas non plus nécessaire de donner des conseils clichés du genre «Tout ira bien» ou «Sois positif». Cela ne peut qu’accroître le sentiment de solitude.»
• Ta situation me touche. «Si vous écoutez vraiment, les confidences peuvent être difficiles à entendre. Admettez que vous êtes touché et que vous ne savez quoi dire. Cela vaut bien mieux que de banales paroles d’apaisement.»
• De quoi as-tu besoin? «Demandez ce que vous pouvez faire. Dites que vous voulez être là, mais que vous ne savez pas trop comment. Vous constaterez souvent que les attentes sont très mesurées. Offrir son soutien c’est être proche.»

Auteur: Thomas Detombe

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