Thyroïde : la grande coupable ?
Fatigue, prise de poids, sautes d’humeur : et si c’était la thyroïde ? Les maladies thyroïdiennes sont aujourd’hui rendues responsables de nombreux maux. Seraient-elles surdiagnostiquées ?
Petite glande d’une vingtaine de grammes située à la base du cou, la thyroïde sécrète deux hormones appelées T3 (triiodothyronine) et T4 (thyroxine), à partir de l’iode ingéré dans l’alimentation. C’est une autre glande endocrine située à la base du cerveau, l’hypophyse, qui contrôle la thyroïde. Chef d’orchestre de notre métabolisme, elle produit une hormone appelée TSH (Thyroïd Stimulating Hormone), qui donne l’ordre à la thyroïde de produire ces hormones T3 et T4. L’hypophyse est elle-même contrôlée par l’hypothalamus, une zone située au coeur du cerveau ! Un système hiérarchique complexe qu’on désigne sous le nom d’axe hypothalamo-hypophysaire et dont dépendent des fonctions essentielles de l’organisme : dépenses énergétiques, production de chaleur, croissance, développement du système nerveux in utero...
Bon dos, la thyroïde ?
Au cours de la vie, il n’est cependant pas rare que la thyroïde soit soumise à des dérèglements. » Au-delà de 50 ans, 1 femme sur 10 a un problème thyroïdien « , rappelle le Pr Albert Beckers, chef du service d’endocrinologie au CHU de Liège. Alors que l’hyperthyroïdie touche généralement les femmes entre 25 et 45 ans, après la ménopause, c’est l’hypothyroïdie qui est la plus fréquente. Fatigue, manque d’énergie, lenteur de mouvements et de parole, frilosité, gain de poids inexpliqué (car souvent corrélé à un manque d’appétit), irritabilité, constipation, gonflement du visage : les symptômes sont multiples, mais » atypiques » ! Qui n’a pas tendance à se sentir un peu plus fatigué ou à prendre quelques kilos avec l’âge ? Ce qui fait dire à certains que la thyroïde aurait bon dos... La polémique française autour de la lévothyroxine (voir encadré) a en effet attiré l’attention sur l’augmentation exponentielle de patients traités pour une hypothyroïdie. Cette molécule figure ainsi dans le peloton de tête des molécules les plus vendues dans les pays développés : aux États-Unis, elle remporte même la première place !
La première cause de l’augmentation des diagnostics d’hypothyroïdie est à trouver dans la banalisation de la mesure de la TSH. » Aujourd’hui, tout bilan sanguin » de base » comprend des mesures des hormones thyroïdiennes, ce qui est tout à fait normal puisque ce sont des pathologies extrêmement fréquentes et qui augmentent dans la population au fur et à mesure que la population vieillit « , explique le Pr Beckers. Mais les choses se compliquent lorsqu’on sait que tous les professionnels ne s’accordent pas sur le taux de TSH à partir duquel on peut parler d’hypothyroïdie. » Certains considèrent que la TSH est significativement augmentée à partir d’un taux de 4 ou 5, d’autres seulement à partir de 6 ou 7. Mais si vous prenez cette valeur haute, vous passez à côté de certaines formes d’hypothyroïdie « , estime le Pr Beckers. Pour le spécialiste, il s’agit aussi d’une évolution sociétale. » Depuis trente ou quarante ans, les critères pour traiter l’hypothyroïdie ont évolué. Avant, beaucoup de femmes d’un certain âge traînaient une fatigue chronique et on trouvait normal qu’elles restent inactives et assises au coin du feu. Aujourd’hui, ces femmes qui ont une hypothyroïdie sont traitées et restent très actives « , analyse-t-il. Autrement dit, ce qui était autrefois considéré comme participant d’un vieillissement » normal » ne l’est plus. » Une fois qu’ils sont traités, les patients constatent en général une amélioration significative de leurs symptômes « , argumente le Pr Beckers.
Cas limites
L’endocrinologue rappelle en outre que l’élévation de la TSH n’est pas le seul critère qui doit être pris en compte. Celle-ci doit être associée à des plaintes cliniques et à un contexte auto-immunitaire. Car dans nos pays, l’hypothyroïdie est le plus souvent causée par une maladie auto-immune, la thyroïdite de Hashimoto. De même, l’hyperthyroïdie est elle aussi très souvent liée à un mécanisme auto-immunitaire (maladie de Graves-Basedow). Là encore, les marqueurs biologiques de ce processus auto-immun sont désormais détectables par une simple prise de sang. » Bien sûr, il y a toujours des cas où on est à la frontière de l’hypothyroïdie « , explique le Pr Beckers. Les cas d’hypothyroïdie dite infraclinique, hypoclinique ou fruste, qui se caractérisent par l’association d’une TSH supérieure à la normale avec des taux normaux d’hormones thyroïdiennes et peu ou pas de symptômes sont les plus délicats. On sait en effet qu’environ un tiers des hypothyroïdies infracliniques évolueront en hypothyroïdie avérée. Or, la question du traitement se pose d’autant plus que l’hypothyroïdie peut avoir un impact non seulement sur la qualité de vie, mais aussi sur la santé cardiovasculaire. » On sait qu’avec une hypothyroïdie franche, le risque cardiovasculaire augmente. Mais avec ce type d’hypothyroïdie, c’est plus controversé. Par ailleurs, si vous avez une très discrète hypothyroïdie et que vous avez plus de 80 ans, il vaut souvent mieux ne pas y toucher car on sait qu’à partir de cet âge, une légère hyperthyroïdie est plus nocive qu’une légère hypothyroïdie « , commente à ce propos le Pr Beckers. Une manière de rappeler qu’au-delà des recommandations générales, le profil du patient est très important dans le choix de traiter ou non.
Un surdiagnostic des cancers ?
La thyroïde peut également être le siège de petites masses, les nodules thyroïdiens, découverts lors d’une palpation ou lors d’une échographie. Ceux-ci ont également tendance à apparaître avec l’âge : environ 50 % des plus de 60 ans présentent un nodule détectable à l’échographie, contre 20 % des trentenaires. Heureusement, seuls 5 % de ces nodules sont cancéreux. Depuis les années 80, le nombre de cancers de la thyroïde semble toutefois en augmentation constante. En 2014, le Registre du Cancer a enregistré en Belgique 1.072 nouveaux cas de cancers de la thyroïde. Il prévoit que ce nombre va encore augmenter dans les années à venir, notamment en raison du vieillissement de la population pour dépasser les 1.300 nouveaux cas en 2025. Le taux de survie à 5 ans est toutefois élevé : 91 % chez les hommes et 96 % chez les femmes.
Selon certains spécialistes, cette augmentation pourrait ici encore être liée à un » surdiagnostic « , avec le » surtraitement » qui en découle. Dans une étude publiée en 2016 dans la revue The New England Journal of Medicine, le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC/IARC) évaluait à plus de 470.000 femmes et 90.000 hommes les personnes qui pourraient avoir fait l’objet d’un surdiagnos- tic de cancer de la thyroïde en l’espace de vingt ans dans 12 pays développés. Ce qui signifie que ces cancers, s’ils n’avaient été ni diagnostiqués ni traités, n’auraient provoqué aucun symptôme et n’auraient pas non plus causé de décès. Selon la Fondation contre le cancer, la fréquence beaucoup plus élevée des cancers de la thyroïde en Wallonie qu’en Flandre pourrait d’ailleurs s’expliquer par des pratiques différentes au niveau du dépistage. Le Pr Beckers estime pour sa part qu’il faut accepter de traiter » un peu trop » de cancers si on veut tous les éviter... » Je ne pense pas qu’il y ait trop d’ablations de la thyroïde. Nous avons des critères stricts. Le nodule doit être positif à la ponction ou s’il ne l’est pas, il doit y avoir d’autres critères de malignité : une croissance rapide du nodule, une gêne occasionnée par le nodule, un aspect très irrégulier à l’échographie... Ce sont des critères qui nous poussent à nous méfier et à enlever. Et parfois, il s’avère après l’intervention que c’était bien un cancer. Si on n’enlevait que des cancers, on prendrait le risque de voir à nouveau des décès par cancers de la thyroïde « , conclut-il.
Lévothyrox, la Belgique aussi a changé de formule
En mars 2017, le laboratoire allemand Merck a introduit sur le marché français une nouvelle formule du Lévothyrox (lévothyroxine), médicament destiné à corriger l’hypothyroïdie. But de la manoeuvre ? Améliorer la biodisponibilité du produit, c’est-à-dire la meilleure absorption et distribution de la substance active dans l’organisme. Pour ce faire, le laboratoire a modifié les » excipients « , c’est-à-dire les substances qui permettent de donner sa forme au médicament (comprimé, gélule, sirop), d’améliorer la conservation ou de modifier son goût. Le problème est que cette hormone de synthèse présente une » marge thérapeutique étroite « , ce qui signifie qu’un très faible changement de composition – fût-ce sur les excipients – peut avoir des effets importants. Mal informés, les médecins et pharmaciens ont eux-mêmes omis de signaler ce changement aux patients qui ont commencé à rapporter leurs plaintes sur des forums... et à faire le lien avec le changement de formulation.
En Belgique, nous avons échappé à cette polémique alors que le laboratoire Takeda avait opéré ce même changement de formule en 2015 ! La mention » nouvelle formule » avait cependant été ajoutée sur les boîtes, ainsi qu’une notice cartonnée. Une vague d’effets secondaires a certes été observée, mais sans prendre ces proportions. » Nous avons aussi eu des petits problèmes ! Nous avons dû adapter les doses assez régulièrement pour que nos patients se sentent aussi bien qu’avant. Mais le fait de prendre les choses en amont nous a aidés à traverser ce changement de formule plus facilement « , se réjouit le Pr Beckers.
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