Après les parents, qui tient la famille ensemble?
Souvent ce sont les parents qui veillent à rassembler la famille. Mais qui prend la relève lorsque les parents disparaissent? Parfois, c’est une évidence. Mais souvent, malgré les bonnes volontés, la famille s’éparpille. Alors, qui reprend le flambeau?
Noël, l’anniversaire des (petits-)enfants, leur anniversaire de mariage, un barbecue estival... Les occasions où on se réunit chez les parents ne manquent pas. Des moments où on peut rattraper le temps perdu avec ses frères et soeurs et où tante Anne peut pour une fois discuter avec son neveu à propos des études qu’il vient d’entamer. Mais quand les parents disparaissent, il arrive parfois que ces réunions de famille meurent elles aussi. Et qu’on ne rencontre plus les membres de sa famille que sporadiquement, lors de funérailles et de mariages.
UN MOMENT CRITIQUE
« Le décès des parents est un moment critique pour une famille, constate Else-Marie van den Eerenbeemt, thérapeute familiale et professeur de dynamique familiale intergénérationnelle. La relation parent-enfant dure toute une vie. Elle apporte beaucoup de joie, mais cause également de nombreuses blessures. Et celles-ci persistent, même lorsque les parents sont décédés. On l’observe dans la relation entre frères et soeurs. »
On constate souvent que certains frères et soeurs tiennent absolument à garder un bon contact avec le reste de la famille. « Souvent, il s’agit de l’aîné. C’est lui qui a permis à ses parents de devenir père et mère et il parle souvent au nom des parents, même à titre posthume. Mais tout le monde ne partage pas ce désir de garder des contacts étroits avec ses frères et soeurs. Surtout s’il y a eu de grandes différences au sein d’un foyer, il arrive que les familles volent en éclats lorsque les parents ne sont plus là. À ce moment-là, la dynamique familiale change et c’est l’occasion pour les feux qui couvaient depuis des années de s’embraser. Imaginons qu’une mère avait un chouchou, les autres frères et soeurs peuvent lui reprocher d’avoir eu un lien aussi privilégié avec elle. Les frères et soeurs ne voient souvent pas leurs parents de la même façon. Chacun détient sa propre vérité. Il est donc difficile pour celui/celle qui a souffert de se tourner vers ses frères et soeurs. L’aîné voudra peut-être défendre ses parents, tandis que l’enfant à qui apparemment tout sourit déballe tous les problèmes qu’il a toujours cachés à ses parents. »
LES QUESTIONS D’HÉRITAGE
En plus de ces tensions potentielles entre frères et soeurs, il y a aussi des questions d’héritage qui peuvent former un cocktail explosif. Dick Schluter, époux d’Else-Marie van den Eerenbeemt et également thérapeute familial, a fait des recherches sur l’évolution des liens familiaux après le partage de l’héritage. Pour la moitié des répondants, les relations familiales sont restées bonnes. Un quart d’entre eux s’entendaient mieux après les expériences partagées à la suite du décès et du partage de la succession. Mais un quart d’entre eux se sont disputés à l’occasion du partage et une grande partie de ces frères et soeurs n’est plus en contact. Un quart des frères et soeurs ne se revoient donc jamais et un autre quart reste en conflit.
Dans le monde végétal, les racines sont primordiales. Il en va de même pour l’Homme.
UNE PYRAMIDE
« Le fait que les liens familiaux entre frères et soeurs se diluent un peu est un processus naturel, analyse le psychothérapeute et conférencier en constellations familiales Indra Torsten Preiss. Une famille est toujours une pyramide. Il y a les grands-parents et, en dessous, les enfants et les petits-enfants. A la disparition des grands-parents, les enfants forment une nouvelle pyramide avec leurs enfants et peut-être déjà leurs petits-enfants. La nouvelle famille prime sur l’ancienne, ce qui distend le lien entre frères et soeurs. En outre, dans de nombreux pays occidentaux, nous n’avons pas besoin de notre famille pour survivre. « Si vous pouvez faire appel au CPAS en cas de besoin, la famille est moins nécessaire pour vous soutenir financièrement. Dans les sociétés où ce filet de sécurité sociale n’existe pas, la famille reste très importante, y compris les frères et soeurs. »
L’HISTOIRE FAMILIALE
« En Occident, nous avons moins de contacts avec nos frères et soeurs, nos oncles et tantes, nos neveux et nièces, ce qui masque un peu la force des liens familiaux, souligne Indra Torsten Preiss. Nos parents nous transmettent une conception des relations, de la réussite, de la façon dont les hommes et les femmes sont censés se comporter, de la façon de s’occuper des enfants, de ce qui nous rend heureux, de la manière de gérer l’argent... Et s’il y a des conflits dont on ne peut pas parler, ils perdureront pour les générations futures. C’est la raison pour laquelle il est important de continuer à communiquer avec ses neveux et nièces. Ils partagent une même destinée. Ils ont des destins similaires parce qu’ils ont des histoires de famille comparables. »
« Les gens sont très désireux d’avoir une histoire familiale, ajoute Else-Marie van den Eerenbeemt. Sans elle, on est en partie constitué de pages blanches. On peut créer de nouvelles histoires avec notre partenaire et nos enfants, mais on ressent toujours un vide. » Tantes, oncles, neveux, nièces... tous font partie de l’histoire familiale.
Lors d’une fête de famille, votre tante peut vous révéler des choses sur votre mère que vous ignoriez et qui vous aideront à mieux la comprendre. « Les gens sont également très loyaux envers leur famille. Si, par exemple, votre compagne vous dit que votre famille n’est pas facile, vous serez furieux même si vous êtes du même avis. Un étranger ne peut en effet pas se montrer critique. Les gens ne veulent pas être coupés de leur famille. Cela provoque une douleur invisible, mais qui est constamment présente. » Et cette douleur, les générations suivantes en souffriront elles aussi. « Je reçois souvent des demandes d’enfants qui remarquent que leur mère ou leur père est dérangé(e) par le fait qu’ils n’ont plus de contacts avec leur frère ou leur soeur. »
« On risque aussi que les conflits se répètent avec les générations suivantes, souligne Indra Torsten Preiss. Être loyal envers ses parents signifie faire la même chose qu’eux. J’ai travaillé avec deux frères qui avaient repris l’entreprise familiale de leurs parents. Il était clair que l’un était loyal envers sa mère et l’autre envers son père. Ils ont transposé dans l’entreprise les disputes et les tensions qui existaient entre leurs parents. »
DE NOUVEAUX RITUELS
Garder le contact avec ses frères et soeurs après le décès des parents et résoudre les conflits éventuels est donc bénéfique pour nous-même mais aussi pour nos enfants et petits-enfants. « Il est important de préserver les rituels familiaux, estime Else-Marie van den Eerenbeemt. Et même d’en créer de nouveaux. Se réunir pour l’anniversaire de maman. Aller se promener dans le village où vivaient nos parents et partager ensuite un repas. Mieux vaut faire une activité ensemble plutôt que simplement parler. En effet, parler peut s’avérer dangereux. Une douleur à laquelle certains frères et soeurs ne veulent pas (encore) faire face peut ressurgir. »
Il ne faut pas avoir d’attentes trop élevées lorsqu’on souhaite introduire un nouveau rituel familial, « Il faut y aller en douceur. La famille ne sera peut-être pas présente en nombre la première fois, mais l’année suivante, un neveu et une tante pourraient se joindre à la promenade. Le but? Que les membres de la famille en profitent pour se parler, mais ce n’est pas la priorité. »
Un autre moyen pour rester en contact avec la famille consiste à créer un groupe familial sur WhatsApp ou Messenger. « Encore faut-il que tout le monde soit d’accord de communiquer via une application, explique Else-Marie van den Eerenbeemt. Si les nouvelles de la famille sont partagées via ce canal, tout le monde devrait faire partie du groupe. Si une tante ne l’a pas rejoint, elle ne sait pas que le neveu X est à l’hôpital ou que la nièce Y attend un bébé, ce qui peut générer de nouveaux conflits.
LES CONFLITS LIÉS AU CORONAVIRUS
Indra Torsten Preiss et Else-Marie van den Eerenbeemt notent tous deux que la crise du coronavirus a éloigné les familles. D’une part, des conflits sont apparus en raison de points de vue opposés sur la vaccination, les mesures de quarantaine... D’autre part, les rituels familiaux, peut-être déjà fragiles, n’ont pas pu être poursuivis pendant deux ans. Le mot d’ordre? Reprendre contact! « Il est temps de reconsidérer la famille comme notre atout le plus important et de se demander: voulons-nous vraiment qu’un événement comme la crise du coronavirus et la polarisation des opinions interfèrent dans nos relations familiales? D’autant plus que l’économie est mal au point et que nous risquons d’en pâtir. Dans de telles circonstances, la famille peut redevenir un réel filet de sécurité », analyse Indra Torsten Preiss.
« Nous vivons dans une société du « Je », constate Else-Marie van den Eerenbeemt. Mais un revirement est à l’oeuvre. Le désir de « Nous » est très fort. Et la famille très importante. Nous avons des relations très fragmentaires avec nos amis, collègues, ex-compagnes/compagnons... La famille, elle, est synonyme de continuité et de durabilité. Elle est connectée par des milliers de fils. Dans le monde végétal, les racines sont primordiales. Il en va de même pour l’Homme. »
5 conseils pour garder la famille soudée
- Essayez de préserver les rituels familiaux. Mieux encore, créez-en de nouveaux comme une journée de promenade ou un pique-nique.
- Ne mettez pas la barre trop haut et trop vite. Procédez par étapes. Parler ne doit pas être le mot d’ordre.
- Créez un groupe familial sur WhatsApp ou Messenger où partager les nouvelles de la famille.
- Faites en sorte que tout le monde fasse partie du groupe en ligne afin de ne pas générer de nouveaux conflits.
- Veillez à ce que les membres de la famille deviennent un filet de sécurité les uns pour les autres.
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