Anne Vanderdonckt

Attention, secrets de famille!

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

Comme la plupart des enfants, j’ai entretenu le fantasme que mes vrais parents étaient non ceux de tous les jours, obligés de me frustrer pour me faire grandir, mais des princes, bons et beaux, qui me retrouveraient un jour. Ce roman des origines n’est jamais qu’une étape normale dans la vie de l’enfant, dont il se souviendra ou non. Dont il gardera éventuellement un petit sentiment de culpabilité. Ce qui n’est pas mon cas, mes parents ayant toujours écouté respectueusement ce genre de récits avec un sérieux mâtiné d’amusement.

Dans ma famille, il n’y avait ni secrets ni cachotteries ; tout se discutait à table, à charge de ne pas « répéter » à l’extérieur. Les questions les plus privées attendaient néanmoins le moment de la vaisselle où le comité se faisait plus restreint.

En revanche, personne ne rendait visite sans avoir prévenu de son heure d’arrivée. Et aucun tiroir n’était fermé à clé car personne n’aurait eu l’idée de visiter celui de l’autre en dehors de la présence de son propriétaire. Les verrous étaient invisibles et parfaitement intégrés.

A priori, pas de secrets importants donc, ni à fantasmer ni à craindre. Sauf que... connaît-on vraiment la vie des gens, même nos proches les plus proches?

C’est dans ce sens, entre autres, que j’ai vécu le fait de devoir vider l’appartement de mes parents comme une vraie violence. Envers eux, qui étaient encore en vie, qui, en dépit de leur dépendance, étaient toujours mes parents avec tout le respect que cela entend, et dont on fouillait l’intimité. Envers moi qui n’avait aucune envie de regarder par le trou de la serrure, de connaître tous les détails de leur vie, y compris les plus prosaïques. Me tenir la tête des deux mains en découvrant le nombre invraisemblable de godasses qu’il y avait dans cette maison, mais de quel droit? Et pourquoi ils gardaient ça? Et pourquoi ils avaient acheté ça? Et pourquoi ils avaient rangé un anorak taché plutôt que de l’envoyer au pressing? Tout en s’en défendant de toutes ses forces, on tombe vite dans le jugement.

Je ne peux pas oublier cette réflexion de cette voisine, dans l’incapacité de faire son ménage, qui m’a dit un jour: « Tu vois, le plus terrible, ce sont tous ces inconnus qui vont dans tes tiroirs et en deviennent les maîtres par la force des choses. »

Et puis, il y a tous les papiers à éplucher, les photos d’un temps qu’on n’a pas connu à rassembler. Aucun secret là-dedans. Aucun prince venant déposer un enfant dans un berceau. Encore que, si l’on y réfléchit bien, le secret qui répond le mieux à sa définition n’est pas celui qui ne dévoile pas la vérité, mais celui qui reste insoupçonné. On sait maintenant à quel point un non-dit peut aussi affecter la vie des gens sans qu’ils soupçonnent l’origine de leur malaise.

Alors, quel secret? Peut-être que quand même... On ne peut s’empêcher de fantasmer... Et d’être fasciné par ces récits de vérités qui éclatent post-mortem sans libérer l’explication complète, laissant les survivants avec leurs suppositions et leurs extrapolations. On imagine à quel point cela peut être destructeur pour celui qui découvre cette bombe... Et contrairement au géniteur princier charmant, cela existe.

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