Ces rituels qui nous font du bien
Une naissance, un décès, un enfant qui quitte le nid ou un départ à la retraite... Attacher des rituels à ces moments permet de les vivre plus intensément mais aussi de mieux les gérer.
Dans la sphère privée comme dans la sphère professionnelle, notre vie est, sans que nous en soyons conscients, jalonnée de rituels qui en balisent les différentes étapes. «Ce besoin de rituels, nous avons eu l’occasion de l’observer pendant le confinement, quand le virus a fait vaciller nos certitudes. Nous en avons spontanément inventé de nouveaux, comme applaudir le personnel soignant. Ils nous ont rendus plus résilients.
La soif de rituels est un besoin humain universel, affirme Anniek Gavriilakis qui, depuis plusieurs années, se consacre à la conception de rituels personnalisés à l’intention de ceux qui ont quelque chose à célébrer, à commémorer ou à conclure. Les rituels ont toujours existé mais, aujourd’hui, nous les voulons plus personnels qu’avant, lorsque la vie était rythmée par les célébrations religieuses.
Des rituels paradoxaux
«Les rituels ne doivent pas nécessairement être lourds, rigides, mièvres ou fades. Traverser des épreuves n’interdit pas de rire ou de danser. Mêlant légèreté et profondeur, les rituels sont paradoxaux, à l’image de la vie elle-même.» Mais attention à ne pas les confondre avec une tradition ou une coutume qu’on observe sans réfléchir. Un repas hebdomadaire en famille peut être une coutume chargée de sens mais certainement pas un rituel.
«Ce qui est important dans un rituel, c’est l’existence d’une intention claire: quel objectif souhaitez-vous atteindre? C’est aussi un moment où vous êtes pleinement ancré dans le présent, où vous vous concentrez sur vous-même et sur les personnes présentes. Cette pleine conscience du présent permet à des choses inattendues de se produire, à des émotions telles que la colère, la tristesse ou le stress de se manifester. Et c’est très bien ainsi! Un rituel a également un début et une fin clairs, ce qui assure sécurité et stabilité. Il implique également une expérience sensorielle, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas simplement de parler ou de lire un texte, mais d’entendre, de sentir, de voir ou de toucher des choses.»
L’échange d’alliances
Lors d’un rituel, les actes symboliques jouent un rôle crucial et peuvent être très variés. «Par exemple, lors d’un mariage qui se déroulait dans un jardin, j’ai fait passer les alliances des mariés par les mains des invités jusqu’au couple. L’idée était que ces alliances se chargent symboliquement de l’énergie et des vœux de toutes les personnes présentes.
Pour les amies d’une femme atteinte d’une maladie incurable, j’ai accompagné un rituel célébrant leur amitié et leurs adieux en utilisant un senninbari, une coutume japonaise qui voulait que les soldats fassent coudre par les femmes de leur village un point sur la bande de tissu blanc dont ils se ceignaient la taille, point symbolisant une sorte de protection avant de partir à la guerre. Au cours du rituel, toutes les amies de la jeune femme ont cousu leur marque personnelle sur un tissu blanc, geste qui a été pour elle un soutien extrêmement puissant.»
L’impact considérable que peuvent avoir certains rituels tient aussi à ces symboles et à ces images. «Bien plus directement que les mots, ils touchent la partie de notre cerveau où siègent les émotions. Ils constituent une passerelle directe vers les sentiments, aidant ainsi à donner une autre place à des événements traumatisants du passé. Un rituel peut aider les personnes qui ont du mal à faire leur deuil après un décès à se libérer de leur chagrin.»
Un départ en kot
Les rituels peuvent aussi être significatifs à certains petits tournants de la vie, comme le départ à la retraite d’un directeur d’entreprise ou l’installation d’un jeune dans son premier logement. Dans ce genre de circonstances, on insiste un peu trop sur l’aspect pratique alors qu’elles sont loin d’être neutres au plan émotionnel.
«En plusieurs occasions, des parents m’ont confié avoir pleuré sur le chemin du retour après avoir déposé leur enfant dans son premier kot. Un rituel peut aider à combler le vide et à créer une ouverture vers quelque chose de nouveau. Pour une maman qui souhaitait célébrer l’envol de sa fille de 20 ans, j’ai imaginé un rituel au cours duquel elles se sont écrit une lettre, ont échangé des objets significatifs et ont décrit leurs projets d’avenir. La maman a pu embrasser sa nouvelle vie plus facilement et la fille, qui avait surtout joué le jeu pour sa mère, en a un tiré un profit auquel elle ne s’attendait pas.»
Un dîner et un pot de départ avec les collègues constituent le scénario typique d’un départ à la retraite.
«Ici aussi, un rituel permet d’aller plus loin et de toucher du doigt ce que ce moment signifie réellement pour la personne concernée. Quelques questions permettent de le savoir. Par exemple: quel aspect de votre travail ne doit pas être perdu? Que désirez-vous absolument emporter avec vous dans la prochaine étape de votre vie? Quelles images vous viennent en pensant à l’avenir? Qu’il s’agisse d’un départ à la retraite ou de la démission d’un responsable, de tous les rituels que je conçois pour les entreprises, le plus fréquent est la prise de congé constructive et en beauté. Si on ne referme pas le chapitre de manière appropriée, la transition est plus longue et il est plus difficile pour le successeur de trouver sa place.»
Plus que les mots, les rituels touchent la partie de notre cerveau où siègent les émotions.
Si les blessures que la vie nous inflige sont indépendantes de notre volonté, en revanche, la façon d’y faire face dépend de nous. Les rituels peuvent également s’avérer d’une aide précieuse pour accepter des situations difficiles, comme une maladie.
«Un hôpital m’a demandé d’organiser des rituels pour aider les gens à accepter leur maladie. J’ai pensé que des séances de kintsugi, une coutume japonaise, pouvaient constituer un premier pas. Les patients commencent la séance en brisant une assiette ou un bol pour symboliser la disparition de certains projets d’avenir.
Ensuite, ils recollent eux-mêmes les morceaux avec de la colle dorée. Cette technique de réparation avec des joints dorés est une métaphore puissante: accentuer les fractures de la vie plutôt que de les cacher et ainsi les reconnaître. Le bol ne sera plus comme avant, mais il reste beau et sera toujours utile. Mais il y a un temps pour tout et ce rituel n’est envisageable qu’à partir d’un certain stade du processus d’acceptation.»
Accepter de s’arrêter
Les rituels sont généralement associés à une temporisation et c’est exactement ce qu’il se passe.
«Mais la plupart des gens me disent que, par la suite, ils ont éprouvé un étonnant sentiment d’accélération. Car, en effet, en acceptant de s’arrêter sur le moment qui marque une transition, la gestion des émotions est plus rapide. Curieusement, on gagne du temps en acceptant de s’arrêter.»
Pas une obligation
De plus en plus de personnes choisissent un rituel personnalisé pour célébrer un moment de transition important mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Certaines se sentent carrément mal à l’aise ou préfèrent s’en tenir à des formes religieuses qui leur sont familières. «Les rituels suscitent en effet des résistances de la part de certains, parce qu’ils n’y sont pas habitués ou s’en font une idée fausse.
Personne n’est obligé de participer. J’ai remarqué que lors des mariages, des baptêmes ou des fêtes laïques, les invités sont avant tout présents pour la famille qui organise l’événement. Dans les rituels que j’organise, il arrive régulièrement que des personnes qui se sentaient mal à l’aise au départ, se détendent progressivement et viennent me dire après coup qu’elles souhaiteraient quelque chose de similaire.
Lors d’une fête laïque, j’emmène souvent tout le groupe en balade en forêt et nous nous arrêtons à des endroits symboliques pour lire une pensée ou jouer de la musique. Certains grands-parents regrettent parfois qu’il ne s’agisse pas d’une véritable communion mais, après coup, nombreux sont ceux qui me disent avoir apprécié le rituel… tout en regrettant l’absence de l’aspect religieux.»
Les petits rituels
Enfin, il y a encore les petits rituels quotidiens que nous répétons pour nous booster voire donner plus de sens à notre vie. «Se fixer chaque matin un objectif pour la journée, par exemple être accueillant avec toutes les personnes que vous croiserez. Le soir, écrire ce dont vous êtes reconnaissant pour la journée ou ce qui a été votre moment le plus agréable. Ces petits rituels permettent d’être plus présent dans sa propre vie.
Prendre une douche le soir est un moyen de laisser la journée derrière soi. Cette touche sensorielle rend les petites transitions beaucoup plus tangibles. Même lors d’entretiens ou de tâches difficiles, nous avons souvent recours à de petits rituels, comme des exercices de respiration ou le port d’un bijou particulier. La recherche a montré que cela permet d’être plus performant et d’y prendre davantage de plaisir.»
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