Claudine André : « Je suis l’ange des bonobos ! »
Ils sont en danger d’extinction. Elle leur consacre sa vie. La Belge Claudine André, fondatrice en République démocratique du Congo d’un sanctuaire pour les bonobos (le seul au monde !), raconte sa passion et son combat pour ces singes, ses enfants...
Si une partie de son amour pour les animaux lui vient sûrement de son père vétérinaire avec qui elle est arrivée au Congo à 4 ans, rien de prédisposait Claudine André à ce rôle de protectrice des bonobos, une espèce endémique à ce pays. Jusqu’en 1993 lorsque, en plein pillage de Kinshasa, elle pousse la porte du zoo de la capitale. Là, des animaux dans un état épouvantable et des hommes dépités... Elle qui tenait une boutique de luxe décide alors de sauver ce zoo où elle aura un coup de foudre pour un jeune bonobo, le début d’une longue aventure ! De passage en Belgique pour donner, comme ailleurs dans le monde, des conférences de sensibilisation, l’enthousiaste septuagénaire nous a emmenés au coeur de son Afrique.
Votre vie a radicalement changé à l’aube de la cinquantaine...
Oui, quand on m’a apporté au zoo un bébé bonobo, la première fois que j’entendais ce nom-là. Il était orphelin de ses parents tués par des braconniers... On m’affirmait que sans leur maman ces singes mouraient toujours. J’ai voulu relever le défi de le sauver ! Avec une amie infirmière, on est parvenu, en le portant, à réaliser un transfert affectif. C’était le mode d’emploi ! D’autres bonobos m’ont été confiés et, de fil en aiguille, j’ai fondé le sanctuaire Lola ya Bonobo, un paradis boisé de 70 hectares avec une rivière et des chutes, au sud de la capitale. Je suis l’ange des bonobos !
Pourquoi le bonobo est-il en danger d’extinction ?
Il a un seul prédateur : l’humain. Il y a un trafic de viande de brousse qu’on ne parvient pas à enrayer... Des jeunes gens avec des armes de guerre s’installent dans des endroits pour tuer tout ce qui bouge, boucaner les animaux (c.-à-d. fumer leur viande) et faire redescendre, via le fleuve, des sacs en ville parce que ce sont les citadins qui demandent cette viande et qui envoient les cartouches ! Et les nourrissons rendus orphelins sont vendus comme animaux de compagnie. Il faut qu’on sache que ce grand singe est notre proche cousin et qu’il est vraiment unique, le Congo étant le seul pays au monde à l’abriter. L’éducation, c’est mon espoir car la conservation commence par là!
En quoi consiste votre travail ?
Je travaille, bénévolement, avec 40 personnes dont deux mamans de substitution dans ce sanctuaire qui a déjà recueilli 125 bébés bonobos. On va à la radio, dans les écoles, et on reçoit à Lola ya Bonobo plus de 30.000 personnes par an, essentiellement des écoliers congolais. Comme les Bruxellois, ce sont des petits citadins toujours émerveillés quand ils voient les arbres, les animaux... Depuis les gradins, ils regardent les bonobos à qui on donne le petit-déjeuner. On les guide parmi les singes, on leur montre leur intelligence grâce à un film avec un bonobo qui répète des sons, qui joue à Pac-Man... On leur apprend à leur donner une valeur, à être bons avec eux. Très souvent, ce sont ces enfants-là qui nous appellent pour nous avertir avoir vu un bonobo en vente. C’est formidable ! On va d’abord vérifier sur place puis on prévient le ministère de l’Environnement afin que le singe soit saisi et le braconnier verbalisé. On réhabilite les bonobos au sanctuaire et quand des groupes sont prêts à être relâchés, on les emmène par avion et pirogue à Ekolo ya Bonobo, une réserve dont la superficie doublera à 40.000 hectares en 2018 ! Rendre ces singes à la forêt est le plus beau cadeau qu’on puisse leur faire même si c’est, chaque fois, un déchirement. Je les revois parfois quand j’y retourne...
Cela fait vingt-cinq ans que vous militez en faveur des bonobos, quelle évolution avez-vous pu constater ?
Malgré le considérable travail d’éducation à Kinshasa et aussi, de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, je suis extrêmement perplexe. Sur un graphique simple, je constate que depuis 2010 on ne me confie quasi plus d’orphelins. Y en a-t-il moins ? Y a-t-il un énorme trafic ? Les dernières études scientifiques montrent une décroissance effrayante des bonobos de 6 % par an. Il resterait dès lors trois générations de bonobos, ce qui fait environ septante ans... Je suis assez Bisounours mais je ne crois pas qu’on les laisse plus tranquilles qu’avant. Oui, on connaît mieux l’espèce au Congo, on sait qu’il faut la respecter, on l’aime peut-être plus, mais jusqu’au bout du bout dans la forêt il y a toujours des braconniers. Si une loi sévère sur la biodiversité vient de sortir, elle n’est pas suffisamment appliquée.
Peut-on gagner ce combat ?
Il y a des jours où je me demande si ce n’est pas une utopie... On fait des contrats avec les populations autour des réserves naturelles : elles n’y chassent pas les bonobos, on leur donne du matériel médical, des manuels scolaires, etc., c’est du donnant-donnant. Les Congolais ont envie ! On les aide à avoir des alternatives à la viande de brousse en faisant, par exemple, des projets de pisciculture. Par ailleurs, j’exige que chaque étudiant universitaire étranger qui vient se pencher sur le bonobo au sanctuaire travaille avec un étudiant congolais afin de lui apprendre l’importance de la primatologie.
Partout dans le monde, on vous considère comme la maman des bonobos...
Mon espoir, c’est l’éducation !
J’en suis très fière ! C’est dans la nurserie que le coeur de Lola ya Bonobo bat le plus. On y réhabilite des orphelins dénutris, traumatisés, on leur prodigue des soins... En tant que maman de substitution, j’ai dormi avec eux, je me suis même douchée avec eux tellement ils s’accrochaient à moi ! Ces bébés singes me regardent comme jamais mes cinq enfants ne m’ont regardée. On peut lire dans leurs yeux : » Ne m’abandonne pas ! » Ils vous observent pour sonder votre âme. Je suis leur maman et ils ont même une longue vocalise très aigue pour mon nom ! J’ai des merveilleux souvenirs de tendresse sauvage...
Vos enfants suivent-ils votre voie ?
Ma fille juriste, née avec les bonobos, gère les projets. La mangue n’est pas tombée loin du panier ! Son amoureux est mon vétérinaire donc j’ai une belle pérennité qui s’annonce, je suis apaisée. Les autres sont loin des bonobos. Je demande toujours à mes enfants de me pardonner de les avoir partagés avec autant de frères et soeurs ! Mon mari, un homme d’affaires, s’occupe lui, à titre de hobby, d’un sanctuaire de chimpanzés en construction.
Vous sentez-vous Belge ou Congolaise ?
Congolaise. Je suis une Euro-africaine. Ma culture est européenne mais je suis un peu blanc-cassé. Quand j’ai des soucis au sanctuaire, je vais chercher le chef coutumier qui parle alors aux ancêtres et je me sens mieux. Je peux très bien sauter d’un pays à l’autre comme j’ai su sauter de la » mémère à macaques » à maman et à épouse mais je rêve d’être enterrée parmi les miens, les bonobos.
Qu’est-ce qui vous fascine tant chez eux ?
Leur empathie, leur diplomatie, leur affection... Ils ont des love story aussi ! Le bonobo est un hippie, il gère les éventuels conflits par le sexe. Sans recourir au même procédé que lui, j’obtiens très souvent ce que je souhaite, jamais dans l’affrontement. Je suis une » bonobote » ! Ils m’ont appris à relativiser et m’ont apporté une sérénité incroyable. Lorsque je veux être bien avec moi-même, je m’assois à un endroit où, en fin de journée, ces singes s’installent en position très cool que j’appelle » de PDG « . Un spectacle tellement magique ! Ce combat pour les bonobos, je l’arrêterai quand je l’aurai gagné...
Infos et dons : www.lolayabonobo.fr
Bio express
1946
Naissance à La Hestre (Hainaut)
1993
Sauve un bonobo au zoo de Kinshasa
2001
Crée le sanctuaire Lola ya Bonobo
2006
Prix Prince Laurent pour l’Environnement de la Belgique et l’Ordre national du Mérite de la France
2011
Film » Bonobos » d’Alain Tixier
2017
Prix Animalis pour le livre co-écrit » L’animal est-il l’avenir de l’homme ? «
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