Cohousing: ils ont choisi de vivre ensemble
Le cohousing ou habitat groupé n’est plus réservé à une poignée de bobos ou d’originaux. De plus en plus de gens choisissent d’investir ensemble dans un projet immobilier, tant pour des raisons pratiques que comme remède contre l’isolement.
Il suffit d’entrer les mots » cohousing » ou » habitat groupé » dans un moteur de recherche pour avoir l’impression que tout le monde ou presque est sur le point de franchir le pas. On n’en est pas encore là mais il est vrai que les projets de partage de services et de facilités par plusieurs familles possédant, par ailleurs, chacune une habitation distincte, se sont multipliés récemment. L’asbl Habitat et participation compte 150 projets d’habitat groupé en Wallonie et à Bruxelles. Sans pouvoir avancer de chiffre concret illustrant la multiplication des projets de cohousing, l’asbl constate que le sujet suscite un intérêt croissant. » L’habitat groupé séduit bien au-delà d’un petit cercle d’originaux. Toutes les couches de la population se disent intéressées, assure Laurent Vanderbeck d’Habitat et participation. C’est comme si on était allé au bout de l’individualisme pour finalement en revenir. Les gens sont en demande de contacts sociaux. «
Un habitat privé...
Le principe du cohousing est simple : chaque personne, chaque famille occupe sa propre habitation, avec salon, chambres à coucher, salle de bain et cuisine. A côté de cela, les habitants partagent une série de facilités avec les autres membres du projet. Les parties communes peuvent aller du jardin à la buanderie ou à l’atelier de bricolage, en passant par une grande – cuisine, où on prépare des repas en commun. » Le degré de communauté en dit long sur le groupe, précise Roland Kums, de l’Asbl Samenhuizen, pendant néerlandophone d’Habitat et Participation. Un groupe peut, en effet, choisir de cohabiter pour des raisons écologiques, mais toutes sortes de critères sociaux et culturels peuvent également entrer en ligne de compte. » Partager un jardin ou une voiture c’est autre chose que de manger ensemble régulièrement ou de mettre sur pied un projet socio-culturel, poursuit Roland Kums. Le grand défi réside dans la communication au sein du groupe. Il faut que les contacts soient suffisamment nombreux pour que les soucis et les malentendus puissent être discutés et résolus de manière informelle. «
Ce qui distingue des voisins » classiques » des voisins vivant au sein d’un projet d’habitat groupé, c’est que ces derniers partagent une vision commune. Ceci dit, le respect de la vie privée compte au moins autant que les espaces communautaires. » Les habitants ne se considèrent pas comme des amis mais comme de bons voisins, constate Charlotte Bevernage d’Abbeyfield, une association qui aide les 55 + à mettre sur pied des projets d’habitat groupé. Ils se retrouvent dans les espaces communs mais s’invitent peu les uns chez les autres car chacun a besoin d’intimité. Si ce type d’habitat réduit le risque d’isolement, on tient à mettre l’accent sur l’indépendance et l’autonomie. «
Le plus grand défi d’un projet de cohousing, c’est la communication !
En voie de démocratisation
Il faut avoir l’esprit d’initiative pour devenir un cohouser. Les candidats doivent trouver euxmêmes le terrain à bâtir, traiter avec la commune et les promoteurs immobiliers. Les autorités prennent peu d’initiatives pour soutenir ce type d’habitat. En général, ceux qui se lancent font partie des classes sociales les plus élevées. Ils peuvent souvent compter sur deux salaires, car l’habitat groupé n’est pas meilleur marché que l’habitat traditionnel. Mais on voit surgir des projets destinés à des locataires issus de milieux moins favorisés. Certaines sociétés de logements sociaux (comme De Ark à Turnhout) et certains CPAS (ex. à Maldegem) planchent sur des projets d’habitat groupé. Les maisons Abbeyfield se veulent accessibles aux pensionnés vivant seuls. Selon le promoteur, il faut compter de 450 à 850 € par mois pour un appartement.
Pour Pascal De Decker, sociologue à la faculté d’Architecture de la K.U.Leuven, cette évolution reste trop lente. » En Belgique, la politique de logement a toujours fortement mis l’accent sur les habitations individuelles. On incite trop peu le Belge à quitter sa maison pour aller vivre en ville ou dans le centre d’un village. Pourtant, au regard du vieillissement de la population, cette solution offre de nombreux avantages. Des personnes âgées vivant en habitat groupé dans le centre d’un village peuvent continuer à vivre seules beaucoup plus longtemps. Le risque d’isolement est réduit. Cette solution offre aussi une réponse satisfaisante au manque d’infirmiers et d’aides soignants à domicile : ceux-ci devraient parcourir moins de kilomètres et pourraient prendre en charge plusieurs personnes à la même adresse. »
Penser à plus tard
Des études démontrent que les jeunes sont plus ouverts que leurs aînés aux diverses formes de cohousing. Ils ont souvent fait l’expérience de la vie en kot et sont prêts à poursuivre cette expérience de vie communautaire. La formule tente moins à mesure qu’on avance en âge, même s’il convient de nuancer le propos. Selon une étude de la VUB menée en 2014, seuls 5,3% des 60+ se disent intéressés par l’habitat senior groupé. Mais au sein des 60-69 ans, le chiffre monte à 6,7%. Et, à en juger par le succès des projets tels qu’Abbeyfield, De Living et autres initiatives privées, les 50 + semblent relativement tentés par le fait de quitter leur maison à la campagne pour un logement moins grand, situé au sein d’un projet commun.
» Nos résidents ont envie de contact social et pensent à l’avenir, dans une perspective d’entraide, précise Charlotte Bevernage. Cela dit, la plupart d’entre eux veulent avant tout participer activement à un projet commun. Il faut savoir que ce type d’habitat demande pas mal d’énergie. Il faut avoir envie d’apprendre, de découvrir. C’est une autre vision du vieillissement que l’installation, par exemple, dans un complexe d’appartements-services. «
« Les avantages de la collectivité, sans les à inconvénients »
Luk Jonckheere, 64 ans, et sa femme n’ont jamais envisagé de vivre dans un foyer isolé. Après avoir imaginé vivre avec trois ou quatre autres ménages, ils tombent un peu par hasard sur un ouvrage consacré au cohousing et adhèrent rapidement au concept. « J’éprouvais un besoin instinctif de retrouver une appartenance à une « tribu », explique Luk Jonckheere. Un besoin de revenir à l’échelle des petits villages, où tout le monde se connaît, s’entraide, se distrait en groupe, apprend des autres... tout en n’étant pas obligé de se voir quand on n’en a pas envie ! »
Avec d’autres personnes, ils se mettent en quête du lieu idéal et finissent par jeter leur dévolu sur une ancienne ferme en carré, située à Clabecq. Après plusieurs années de travaux, les premiers ménages investissent les lieux en 2010. La structure, baptisée La Grande Cense, regroupe 22 unités d’habitation (maisons, appartements...), ainsi que des parties communes : une grande pièce polyvalente, une cuisine de collectivité, une salle de jeu, un potager, un verger, un étang de baignade...
« Toutes les activités de groupe sont facultatives, tout au plus faut-il accepter de faire la cuisine à tour de rôle : deux repas en commun sont prévus par semaine, mais d’autres s’organisent parfois spontanément. Il y a bien sûr aussi la nécessité de s’engager à entretenir les parties communes... ce qui n’est pas évident pour tout le monde. Notre mode de fonctionnement prévoit donc que ceux qui n’ont pas le temps de le faire puissent payer leur part d’heures avec des titres-services. »
Le concept architectural des lieux a été étudié pour préserver au maximum la vie privée tout en permettant les rencontres et la collaboration. De quoi faciliter la vie des parents – qui n’hésitent pas à demander aux voisins de jeter un oeil aux enfants pendant qu’ils vont faire une course -, mais aussi des plus âgés.
« Ma mère de 89 ans vit ici et me dit que sans le cohousing, cela ferait longtemps qu’elle serait en maison de repos ! C’est que non seulement ma femme et moi, mais aussi les voisins, l’aidons pour faire les courses, relever son courrier et faire en sorte que tout aille pour le mieux. Et puis, pour elle, il y a un effet stimulant à pouvoir voir des enfants jouer dans la cour ou qui lui rendent visite. Car les enfants savent bien dans quelles maisons ils peuvent passer ! »
Bien sûr, tout n’est pas toujours rose et des tensions peuvent se faire sentir. » Comme dans n’importe quelle famille, reconnaît Luk Jonckheere. Mais nous avons des procédures pour régler ce type de problèmes : l’objectif est de toujours arriver à un consensus et que personne ne se sente lésé. «
Par Ellie Maerevoet et Nicolas Evrard
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