© getty images

Comment dire à mes parents qu’ils ne peuvent plus conduire ?

Un jour, vous vous rendez compte que vos parents sont en train de devenir dangereux au volant. Pour eux et pour les autres. Mais comment leur faire accepter de renoncer à ce qui représente souvent leur liberté ?

Vous avez la boule au ventre dès que votre père ou votre mère prend le volant ? Vous n’osez plus laisser vos enfants monter en voiture avec Papy ou Mamy ? Dans ce cas, il est grand temps de remettre en question l’aptitude à la conduite de votre parent et d’en parler avec lui. Mais la démarche n’a rien d’évident.  » Il ne faut pas en sous-estimer les conséquences, souligne Mark Tant, responsable chez CARA, le centre d’aptitude à la conduite et d’adaptation des véhicules de l’Institut VIAS. Quand on roule depuis plus de quarante ans, on tient à son indépendance. Se voir soudain retirer cette liberté, c’est comme si le ciel vous tombait sur la tête. Et c’est parfois le cas, notamment pour les personnes qui vivent à la campagne et pour qui la voiture est le seul moyen de transport pour faire ses courses, aller chez le médecin ou voir des amis.  »

Un énorme TABOU

Le Dr Mark Lutin, gériatre et coordinateur d’un centre de sécurité routière à Hasselt, déplore le tabou qui entoure l’aptitude des personnes âgées à prendre le volant.  » Les aînés ne sont pas de mauvais conducteurs, au contraire. Ils compensent la perte progressive de leurs réflexes en roulant plus lentement, en respectant mieux les distances, en n’empruntant que des itinéraires connus, en cessant de rouler de nuit, en évitant les heures de pointe... De plus, ils ont en général une grande expérience de la conduite.  » Mais les aînés sont plus vulnérables en cas d’accident. Certains cumulent plusieurs problèmes de santé et prennent des médicaments qui réduisent la vigilance. Autant de raisons pour douter de leur sécurité au milieu du trafic. Et pourtant, nous renâclons à en parler avec eux...  » Plusieurs raisons à cela. Nous ne voulons pas paraître ingrats en ôtant à nos parents leur voiture, symbole de liberté. On a beau être inquiet, on reste sur un statu quo, en se disant que jusqu’ici il ne s’est rien passé...  » Certains abordent la question avec le médecin traitant de leurs parents, mais celui-ci ne voit pas le problème, puisque les trajets se limitent de toute façon à des petits tours dans le quartier.  » Or, c’est là le problème. À partir du moment où une personne parcourt moins de 3.000 km par an avec sa voiture, ne commence-t-elle pas à perdre la main.  »

L’aptitude au volant des aînés fait toujours l’objet d’un énorme tabou.

UNE VIE SANS VOITURE

Tout conducteur devrait se rendre compte qu’à un moment donné, il n’est plus raisonnable de prendre le volant, estime le Dr Mark Lutin.  » Quand je relaye un avis négatif émis par le centre de sécurité routière, mon patient tombe des nues. Les généralistes ont un rôle important à jouer. Car pour être en ordre avec son permis de conduire, il faut être à même de réussir tant l’examen théorique que le pratique, et avoir la forme physique nécessaire pour prendre le volant. C’est au médecin d’en décider mais, en général, il n’est pas suffisamment armé pour le faire.  »

Pourtant, nous avons tout intérêt à mettre ce sujet sur la table, sans forcément émettre de doutes ou de craintes quant aux capacités de conduite de nos parents. Si l’un d’eux prend des médicaments, tâchons de nous renseigner sur d’éventuels effets secondaires .

 » C’est une façon d’aborder le sujet sans braquer son père ou sa mère. Car toute personne roulant encore à 75 ans ou plus se trouvera tôt ou tard confronté à la question « , assure le Dr Mark Lutin. Lorsque tombent des diagnostics comme la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, il est de la responsabilité du médecin d’avertir son patient qu’à terme, cela aura des répercussions sur sa capacité à prendre le volant.

Selon Mark Tant (VIAS), mieux on est préparé à une vie sans voiture, moins on se sentira perdu le jour où on devra se séparer de son véhicule.  » Prenez les transports publics quand vous sortez avec vos parents, commandez un taxi, proposez de les conduire à gauche ou à droite... Peut-être pourrez-vous les convaincre de circuler davantage à pied, par exemple pour faire leurs courses. Le jour où ils ne se sentiront plus assez sûrs pour prendre le volant, la discussion sera nettement plus facile.

GARE AUX AUTRES !

 » Un aîné atteint de démence se cramponnera à un argument : le fait qu’il n’a jamais eu d’accident, par exemple, expose le Dr Mark Lutin. Je roule depuis soixante ans et je n’ai jamais eu de PV, ni provoqué d’accident. Pour lui, il n’y a pas de raison objective pour lui interdire de prendre le volant. Et c’est souvent vrai, ce qui complique d’autant plus les choses.  »

Faites remarquer à votre parent que sa mémoire et ses réactions ne sont plus aussi vives qu’avant. Confirmez, si c’est le cas, qu’il n’a effectivement jamais eu d’accident et que vous tenez à ce que cela dure.  » Expliquez que le trafic devient de plus en plus dense et que la décision ne concerne pas que lui, mais aussi les autres conducteurs qui ne tiennent pas compte de votre parent « , explique Dr Mark Lutin.

DES CONSEILS OBJECTIFS

Si le message ne passe pas, la famille peut en référer au médecin de famille. Il peut imposer une interdiction de prendre le volant pour raisons médicales. Ou prescrire un test objectif d’aptitude à la conduite auquel son patient devra se soumettre auprès d’une institution agréée (ex. VIAS ou l’AWSR).  » Parfois, il est plus facile qu’un organisme officiel rende un avis négatif. La famille pourra alors dire : ce sont les spécialistes qui ont décidé, sur base de tests, que ta conduite n’était plus suffisamment sûre « , déclare Mark Tant.

Suite à un test d’aptitude négatif, il revient au conducteur de renoncer à son permis de conduire. S’il ne le fait pas et qu’il continue de rouler, on ne s’en aperçoit bien souvent qu’à l’occasion d’un accident ou d’un contrôle de police. Le conducteur risque alors une lourde amende pour avoir pris le volant sans autorisation.  » La famille ne peut jamais être tenue responsable du fait qu’un père ou une mère âgé(e) a pris le volant sans autorisation. Et les enfants culpabilisent... forcément. Lorsque je soupçonne que quelqu’un risque de passer outre nos conseils, j’encourage la famille à aller chez le juge de paix. Il pourra énoncer des mesures de protection adaptées. On peut aussi s’adresser au procureur général dès qu’on soupçonne un problème de sécurité. Mais c’est une mesure difficile à prendre. Heureusement, cela arrive très rarement.  »

La voiture autonome pourrait constituer une excellente solution.

Le Dr Mark Lutin le sait d’expérience : la plupart des gens qui ont reçu un avis négatif finissent par l’accepter au bout de quelques semaines.  » Au début, c’est ressenti comme une privation de liberté. Mais cela reste un concept très subjectif. Parfois, la personne roule effectivement très peu ou s’en remet à son conjoint tout à fait capable de prendre le volant. On cherche ensemble des alternatives. Les transports publics ne sont pas toujours possibles – ils ne circulent pas partout et certaines personnes âgées ne sont plus en mesure de les prendre – mais lorsque les enfants ou les petits-enfants habitent dans les environs, on peut leur demander de suppléer. On peut également faire appel aux initiatives locales de la commune ou de la mutuelle. La voiture entièrement autonome pourrait résoudre bien des problèmes. Espérons que l’industrie tiendra compte d’une réalité : les personnes âgées pourraient bien être les premiers intéressés par ce type de véhicule. « 

Plus longtemps, sans danger

La population belge vieillit et les gens restent actifs de plus en plus longtemps, ce qui se traduit dans les statistiques des accidents de la route. En 1992, 1 personne sur 7 impliquée dans un accident avait 65+ ans ou plus ; en 2017, c’était 1 sur 4. À noter que le risque d’accident grave augmente notablement à partir de 75 ans et dès que le nombre de kilomètres parcourus en un an descend sous les 3.000 km. Des études tendent à démontrer que les personnes âgées ne sont plus suffisamment au courant des (nouvelles) règles du code de la route. Un manque de connaissance et de pratique qui peut être à l’origine de comportements dangereux, alors qu’il suffirait d’un ou deux cours de remise à niveau pour y remédier. Les systèmes d’aide à la conduite, comme la détection de l’angle mort et le freinage automatique, peuvent aider les personnes âgées à rouler en toute sécurité le plus longtemps possible.

Pour faire le point sur sa conduite : www.senior-test.be

Infos : Agence wallonne pour la sécurité routière :www.awsr.be

Bruxelles, sécurité routière : www.mobilite-mobiliteit.brussels/fr/securite-routiere

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire