Crise climatique: le clash générationnel?
Végétarisme, refus de prendre l’avion, manifs...: l’attitude très engagée de certains jeunes sur les questions climatiques peut désarçonner leurs aînés. Mais il y a de nombreux points de convergence... et des possibilités d’agir ensemble!
Vos petits-enfants réclament du tofu en guise de steak? Ils vous reprochent d’utiliser des serviettes en papier et de l’eau en bouteille? Ils considèrent l’avion comme une hérésie et la voiture comme un archaïsme? Ils prennent des douches express, se lavent les cheveux au shampoing sec et les dents au dentifrice en poudre? Ils quittent la pièce quand le journal télévisé évoque avec stoïcisme les feux de forêt, le blanchissement de la barrière de corail et l’extinction des espèces? Peut-être êtes-vous désarçonnés par leur attitude. Et pourtant: le désarroi et les inquiétudes des jeunes sur les questions climatiques sont sincères... et justifiés.
Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à se faire du mauvais sang pour l’avenir de la planète! Comme l’a récemment montré une étude de la fondation Jean Jaurès à Paris, l’enjeu de la transition écologique est une préoccupation largement partagée au sein de la société, toutes générations confondues. Et s’ils sont moins présents dans les manifs et moins offensifs dans leurs discours, les aînés sont en réalité plus écologistes que les jeunes dans leurs comportements, qu’il s’agisse du tri des déchets ou de la diminution de leur consommation de viande...
Des formes d’engagement complémentaires
« En fonction des moments de sa vie, on peut être sur des modes d’action très différents , analyse Maëlle Dufrasnes, experte en éducation à l’environnement au sein de l’association d’éducation permanente Ecotopie. Nous parlons des saisons de l’engagement. Il y a le printemps, qui concerne l’action immédiate, les manifestations. L’été, qui concerne davantage l’action collective, comme des groupements d’achat par exemple, et où on retrouve souvent de jeunes parents. L’automne, ce sont les « petits » gestes comme d’aller faire ses courses à vélo. Et l’hiver, cela correspond à une philosophie de vie, à une manière de se recentrer sur soi et de travailler culturellement et éducationnellement à des changements de paradigme. » Des modes d’engagement complémentaires, plus ou moins privilégiés par les personnes selon leur âge, leur niveau socio-économique, leur sensibilité personnelle, etc. « Toutes les formes d’engagement ne sont pas possibles tout le temps pour tout le monde. D’autant qu’à vouloir tout faire, on s’épuise « , résume Maëlle Dufrasnes.
Les jeunes ne sont pas les seuls à s’en faire pour l’avenir de la planète!
Ainsi, l’étude de la fondation Jean Jaurès a montré que les jeunes sont plus convaincus de l’impact de leur propre comportement sur l’environnement (61% contre 55% des plus de 60 ans): ils savent que la lutte contre le changement climatique est un enjeu systémique, mais accordent plus d’importance à leurs actions individuelles. Bref, là où les jeunes ont tendance à penser que les petits ruisseaux font les grandes rivières, les aînés voient la goutte d’eau dans l’océan... « Les plus jeunes ont souvent moins de connaissance par rapport au contexte climatique ou environnemental que les aînés mais plus d’engagement. C’est une dynamique qu’il ne faut pas casser: c’est normal de ne pas être aussi réflexif à 20 ans qu’à 40 ou 60... Mais les aînés peuvent vraiment les aider à progresser dans ce travail réflexif, les aider à distinguer les actions qui ont du sens par rapport à une émotion – et qui sont donc justifiées – et le fait que ces actions ne vont pas permettre de résoudre le problème tout de suite. Car c’est cet écart de plus en plus grand entre les actions qu’on mène et l’ampleur de la problématique qui génère l’éco-anxiété. Les aînés peuvent vraiment aider à apaiser cette tension. «
Les jeunes, probablement parce qu’ils sont davantage tournés vers l’avenir, sont également plus nombreux à considérer que le changement climatique changera leur vie en profondeur dans les dix ans à venir: ils sont 24% à déclarer que leur vie sera profondément transformée (contre 18% des plus de 60 ans) et 22% à penser que leur vie deviendra vraiment difficile (contre 13% des plus de 60 ans). 8% déclarent même avoir renoncé à avoir des enfants à cause du changement climatique. « Chacun a ses propres limites par rapport aux questions environnementales. Pour certains, c’est manger de la viande qui n’est plus possible. Pour d’autres, c’est prendre l’avion. Pour d’autres encore, c’est de faire des enfants. Il y a beaucoup d’émotions et de questions existentielles en jeu « , analyse encore l’experte.
Aucune raison cependant pour que la discussion vire au règlement de compte: contrairement à une autre idée reçue, les jeunes n’en « veulent » pas aux générations précédentes et savent que les questions environnementales relèvent d’une dynamique globale. Ainsi seuls 16% des 18-29 ans considèrent que les générations les plus âgées sont responsables de la situation .
Agir ensemble
« Pour que ça se passe bien, il faut accepter qu’il y ait une remise en question des deux côtés, estime Maëlle Dufrasnes. Il faut essayer de comprendre pourquoi telle ou telle chose n’est pas possible pour la personne en face de moi. Faire des généralités de son cas particulier n’est pas une bonne idée: il vaut mieux réancrer son expérience dans un contexte, de sorte que le jeune puisse comprendre la position de la personne plus âgée. À partir d’un vécu, d’un ressenti, de sa petite histoire, on peut lui donner des exemples de leviers de vie parmi lesquels il pourra prendre ce qu’il voudra. Remettre en contexte évite de tomber dans un discours moralisateur. «
Les aînés peuvent aider les jeunes à progresser dans leur travail réflexif.
Ainsi, si vous tenez à cuisiner de la viande pour le repas et que votre petite fille refuse d’en manger, il est probable que vos motivations soient en fait identiques: pour vous comme pour elle, le repas est lié à des valeurs et à des émotions et chacun cherche à être en accord avec ces valeurs et ces émotions . Et si ce n’est pas parce qu’on a « toujours fait comme ça » qu’il faut nécessairement continuer à le faire, il est possible d’expliquer que pour soi, manger de la viande est un symbole de fête, que nos propres parents en ont été privés, etc. De manière à pouvoir se comprendre à défaut de tomber d’accord sur tout... « Il faut penser à ce qui nous réunit et nous permet d’être ensemble, à ce sur quoi on peut être d’accord au-delà des divergences « , conseille l’experte. Et pour cela, quoi de mieux que de passer à l’action? Les aînés possèdent de nombreuses compétences capables de répondre aux attentes des jeunes en matière d’environnement, qu’il s’agisse de faire un potager, de confectionner des conserves, des produits d’entretien, de réaliser des travaux de couture ou de menuiserie... Alors pourquoi ne pas recycler, réparer et privilégier ensemble le « home made »? « Chercher ce qu’on peut faire ensemble est la meilleure manière de sortir d’un débat figé « , estime encore Maëlle Dufrasnes. Une manière aussi de transmettre, dans un monde en transition.
Tous éco-anxieux?
À travers une étude menée sur 2.800 participants dans 8 pays d’Europe et d’Afrique, des scientifiques de l’UCLouvain ont récemment montré que les changements climatiques affectaient le bien-être psychologique d’une personne sur dix, à travers des troubles du sommeil, de la dépression, une hyperémotivité. L’appréhension et les inquiétudes s’observent bien sûr chez les personnes qui ont déjà subi les impacts de la crise climatique (inondations, feux de forêt...) mais aussi chez celles qui n’ont pas vécu ce type de traumatisme. L’incertitude quant à la nature, au moment et à l’ampleur d’un événement à venir explique en grande partie cette anxiété . L’étude montre aussi que les femmes et les moins de 40 ans sont davantage impactées par l’éco-anxiété. Celle-ci n’a en revanche aucun lien avec le niveau d’éducation et il n’existe pas de différence entre les pays d’Europe et d’Afrique. Les scientifiques ont par ailleurs montré que si l’éco-anxiété génère des peurs, elle est associée à la mise en place de comportements éco-responsables, du moins quand elle est modérée. Si l’éco-anxiété est trop intense, elle peut en revanche empêcher tout passage à l’action.
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