Anne Vanderdonckt

Éloge du rien dans un monde qui s’agite

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

À la veille de prendre sa pension, une talentueuse collègue m’envoie un petit mot. Elle m’y fait part de ses projets. Elle va regarder le temps s’écouler, avec douceur, faire un peu de rangement, lire... Elle qui a couru toute sa vie va enfin s’offrir le luxe de ne plus se presser, de ne plus se stresser, de vivre au jour le jour. Ce que d’autres traduiraient, très hâtivement, par « ne rien faire ».

Ce qui me vient à l’esprit au moment où je reçois ce joli message, c’est une maison d’écrivain telle qu’on peut en rencontrer lors d’une promenade dans le Val de Loire. Somnolente, avec ses volets vert sauge à moitié clos, au milieu d’un jardin aux herbes trop hautes. Et on regarderait les nuages filer et défiler en changeant de forme au gré du vent sans que notre esprit ne s’arrête sur aucun. La paix. La sérénité. Ce que certains appellent « rien ».

Je me questionne beaucoup ces temps-ci, peut-être l’effet covid, ou l’effet crise du milieu de vie. (Vu qu’on ne peut pas prévoir la date précise du point final, le milieu peut se situer un peu quand on veut. Et même se produire à plusieurs reprises. À mon humble avis.) Je pense à tous ces articles sur les projets de pension que j’ai relus avant publication. Il y a ceux qui envisagent de faire le tour du monde. Ou le chemin de Compostelle. Ceux qui vont sauter en parachute. Vaincre le Ventoux à vélo. Qui vont commencer un nouveau boulot. Un bénévolat. Reprendre des cours. S’occuper de leurs petits-enfants. Formidable.

Mais donne-t-on la parole à ceux qui disent: non, je ne ferai rien, sinon vivre enfin à mon rythme? Jamais. Même s’ils sont nombreux. Cependant, auraient-ils eux-mêmes l’envie de témoigner de leur projet de « rien »? Car vivre sans projets précis, sans s’activer de manière manifeste, ce n’est pas bien vu de nos jours où il n’est un médecin, un magazine, un coach de vie qui ne vous enjoigne de reprendre le sport, de « faire » vos 10.000 pas quotidiens dûment comptabilisés par votre flic de poche, je veux dire votre smartphone. Oseriez-vous avouer que vous, ce qui vous fait du bien, c’est de contempler les pruniers du fond de votre jardin? Pas le sport. Que vous vous fichez bien des records. Qu’il ne faut pas compter sur vous pour le soulier d’or.

Je pense aussi à cette autre amie qui, elle, a quitté un boulot salarié pour endosser le statut d’indépendante. Cette femme hyperactive fourmillante de projets qu’elle mène à bien confie que le grand bénéfice qu’elle a tiré de ce changement, c’est d’être désormais maîtresse de ses horaires et de pouvoir savourer tous les matins son petit-déjeuner sans hâte en lisant le journal. Un « rien » qui lui permet de charger ses batteries pour la journée.

Et puis, rien, ce n’est pas rien. Pour preuve, le nombre de fois qu’on vous demande ce que vous avez fait le dernier week-end et que vous répondez: « rien ». Alors que vous avez lu, regardé un film, fait à manger, les courses, téléphoné à vos parents, gardé les enfants, lavé les carreaux... Rien. Rien à signaler. Rien, c’est quand rien ne sort de l’ordinaire, qu’on baigne dans une sorte de banalité, qu’on n’est ni mal ni bien. Ce qui, d’une certaine manière, par les temps qui courent (eux aussi), est un rien qui est un bien. Un rien dont il faut se donner le droit de temps en temps...

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