Embouteillages bouchons file
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Embouteillages en ville, solutions en vue?

Les bouchons coûtent des milliards et poussent les automobilistes à la crise de nerfs. Chaque conducteur pourrait pourtant participer à réduire les files en modifiant son comportement. Même si au final, ce sera peut-être l’intelligence artificielle qui fera la circulation.

La vie, pour Woody Allen, c’est comme les embouteillages, on est toujours en retard et on ne peut jamais faire demi-tour. Moins métaphorique, les embouteillages pourrissent très concrètement la vie de nombreux conducteurs. À l’occasion de la semaine de la mobilité, plongeons-nous dans ce dossier. Selon TomTom, solutions de navigation, Bruxelles est la dixième ville la plus embouteillée au monde. Il faut compter en moyenne 27 minutes pour y parcourir 10 kilomètres. Du viaduc de Vilvorde au carrefour Léonard, les automobilistes n’ont d’autre choix que de mordre leur volant. Leuven occupe la 120e place, Liège la 147e et Anvers la 157e du classement des villes mondiales les plus embouteillées.

Il y a un petit côté «plomberie» dans les bouchons. Il faut tenir compte de la capacité du réseau, le tuyau, afin d’écouler le trafic automobile. Pour une autoroute classique à trois voies, la capacité maximale est d’environ 6.600 véhicules par heure. Au-delà, la fluidité du trafic ne peut plus être maintenue. La capacité de l’infrastructure est dépassée. Et celle de notre réseau routier n’est pas adaptée, comme l’expliquait à «Fleet» Hajo Beeckman, expert des questions de trafic. L’infrastructure comporte des éléments tels que les échangeurs et les rampes d’accès et de sortie. Et si de nombreux navetteurs montent sur l’autoroute à une heure de saturation, le moindre surplus de voitures cherchant à s’insérer dans la circulation crée une onde de choc. Ceux qui montent sur l’autoroute s’insèrent via la bande de droite et ceux se trouvant sur l’autoroute déboîtent aussitôt vers la gauche. Ces manœuvres s’accompagnent inévitablement de coups de frein, ce qui réduit la capacité de la route.

L’effet papillon

Il n’y a pas que les travaux qui causent des congestions. Trois études (française, britannique et japonaise) arrivent à la même conclusion en ce qui concerne les bouchons «sans cause apparente». Ces embouteillages sont souvent déclenchés par un seul conducteur qui, pour une raison quelconque, ralentit en dessous d’une certaine vitesse critique. Cette vitesse dépend de la densité du trafic et du nombre de voies disponibles.

Ainsi, si un conducteur ralentit brusquement pour observer ce qui se passe de l’autre côté de la route ou répondre à son téléphone, cela va provoquer une réaction en chaîne derrière lui. Chaque conducteur qui suit freine légèrement plus fort que celui qui le précède. Cela crée une vague de ralentissements se propageant à environ 20 km/h en arrière du premier freinage, entraînant un fort ralentissement et éventuellement l’arrêt complet des véhicules. Les fréquents changements de file contribuent à ce phénomène.
Les conditions météorologiques jouent aussi un rôle. En cas de fortes averses, la chaussée devient si détrempée que la dispersion de l’eau réduit la visibilité des conducteurs. Par mesure de sécurité, ceux-ci augmentent les distances de sécurité. Ce qui diminue la capacité de la route. Et comme l’humain n’aime pas être mouillé par une pluie froide, les embouteillages sont plus fréquents lorsque le temps est pluvieux. Ceux qui en ont la possibilité préfèrent le confort de leur voiture plutôt que de marcher, faire du vélo ou utiliser les transports en commun.

Quels comportements adopter ?

Evitez les freinages brusques, ils accentuent l’effet de vague. En Belgique la loi prévoit que le conducteur doit, compte tenu de sa vitesse, maintenir entre son véhicule et celui qui le précède une distance de sécurité suffisante. La règle des deux secondes est ainsi enseignée. Les comportements asociaux au volant influencent la formation d’embouteillages. Ceux qui veulent limiter les bouchons maintiendront une distance de sécurité raisonnable et adopteront une vitesse régulière. La conduite pare-chocs contre pare-chocs, les changements constant de voie ou ceux qui chipotent sur leur smartphone favorisent également la formation des embouteillages.

Le top 10 des villes les plus embouteillées au monde

Il faut en moyenne 37 minutes pour faire 10 kilomètres à Londres contre 27 à Bruxelles:

– Londres (37 min)
– Dublin (29 min 30s)
– Toronto (29 min)
– Milan (28 min 50s)
– Lima (28 min 30s)
– Bengaluru (28 min 10s)
– Pune (27 min 50s)
– Bucarest (27 min 40s)
– Manille (27 min 20s)
– Bruxelles (27 min)

Source: TomTom

POURQUOI Y A-T-IL TOUJOURS DES EMBOUTEILLAGES MALGRÉ LE TÉLÉTRAVAIL ?

En théorie, en matière de déplacements domicile–travail, le télétravail devrait être un moyen efficace de réduire la demande de transport. La généralisation du télétravail dans certaines catégories professionnelles n’a cependant pas porté ses fruits en matière de mobilité. Si on prend la région d’Anvers, par exemple, les statistiques du Centre flamand de la circulation montrent qu’il y a même plus d’embouteillages qu’avant la crise du Covid. Certes, des réparations d’urgence du viaduc de Merksem suffisent à bloquer le trafic. Mais les travaux routiers n’expliquent pas tout.

D’une part, les seuls trajets domicile-travail ne représentent qu’un tiers de l’ensemble des déplacements des particuliers. Un autre tiers est attribué au secteur de l’assistance et des services (consultations médicales, courses au supermarché, etc.). Le dernier tiers concerne les déplacements à caractère récréatif, comme se rendre à la salle de sport ou dans son chalet en Ardenne. D’autre part, il faut prendre en compte les évolutions comme l’explosion de l’e-commerce, son flux logistique et donc l’augmentation des livraisons avec pléthore de camionnettes et de camions sur les routes. Un camion occupe en moyenne 2,5 fois plus d’espace qu’une voiture.

LES ZIGZAGUEURS ONT-ILS RAISON ?

L’obsession de nombreux automobilistes pris au piège d’un embouteillage est d’en sortir au plus vite. Alors, faut-il changer de bande? Et si oui, quelle file choisir? Réponse: apparemment celle de gauche selon une étude réalisée par NDW, la Banque néerlandaise des données de circulation. Les chercheurs ont découvert qu’en cas de bouchon sur une autoroute, dans 40% des cas, c’est la bande de gauche qui avance le plus vite. Pour la bande droite, ce chiffre ne s’élève qu’à 10% alors que les voies de milieu oscillent entre les deux.

Gagner 6 minutes

En choisissant la bonne voie, et en y restant, il y a moyen de gagner 4 à 6 minutes par 5 km de bouchon. Ceux qui slaloment entres les files pourront peut-être gagner une minute maximum. Mais ce comportement est dangereux, souligne-t-on à la NDW. Cette façon de rouler demande plus de concentration. Elle est assez désagréable pour les autres usagers. Enfin, il est également utile d’anticiper et de choisir la bande de droite si on a l’intention de sortir prochainement.

De nombreuses solutions atténuent les embouteillages, mais ne les suppriment pas.

Ou ne rien gagner!

L’étude de la NDW a en partie contredit une autre enquête de Redelmeier et Tibshirani, des professeurs d’université américains. Leurs travaux mathématiques sur les embouteillages publiés dans la revue «Nature» avaient révélé qu’après dix minutes d’embouteillages, les automobilistes avancent quasiment à la même vitesse et que, changer de files, n’apporte statistiquement rien de significatif. Car une accélération momentanée sera compensée par un ralentissement plus tard. Les voitures progressent au même rythme.

Et si chacun pense toujours être dans la mauvaise file, cela s’explique parce que les conducteurs surestiment la vitesse des files dans lesquels ils ne sont pas. Une illusion se produit, car les automobilistes attachent plus d’importance à ne pas être dépassé par d’autres véhicules qu’à les dépasser.

Conclusions?

Si pour les Néerlandais il est possible de gagner 5 minutes tous les 5 kilomètres si vous restez sur la bande de gauche, pour les Américains tout cela est finalement bien vain. Nous dirons pour les deux qu’il n’y a pas de recette miracle pour survoler les embouteillages.

Le top des villes les plus embouteillées en Belgique

Le temps pour parcourir 10 kilomètres dans les villes en Belgiques.

– Bruxelles (27 min)
– Louvain (18 min)
– Liège (17 min)
– Anvers (17 min)
– Mons (16 min)
– Namur (16 min)
– Gand (16 min)
– Courtrai (15 min)
– Bruges (14 min)

Source: TomTom

MIEUX VAUT ROULER LE MATIN, MAIS…

Les files sont plus nombreuses le soir que le matin. Aux alentours de 17 h, les temps de parcours sont rallongés de plus de 40 % en raison de la densité du trafic. L’organisme de sécurité routière VIAS explique que la crise Covid a amené plus de flexibilité pour des travailleurs qui étalent davantage leurs déplacements le matin. Certains commencent leur journée de travail chez eux, puis prennent la route un peu plus tard pour éviter le trafic dense. Cet étalement se produit moins en fin de journée, car les navetteurs quittent leur travail dans une plage horaire beaucoup plus restreinte.

Et toutes ces applications qui font «sauter» les bouchons ?

Les embouteillages n’ont plus de règles précises avec l’étalement des trajets en dehors des heures de pointe. Cette situation est due non seulement à la densité constante du trafic qui ne faiblit pas, mais aussi à l’utilisation d’applications de mobilité et de reroutage telles que Google Maps ou Waze. Ces apps ont tendance à diriger les conducteurs vers des routes secondaires, souvent inadaptées à un volume important de véhicules. Par conséquent, les embouteillages ne se limitent plus aux grands axes, mais apparaissent aussi sur ces itinéraires alternatifs, qui ne sont finalement efficaces que pour les premiers conducteurs qui les empruntent! Et puis une autre tendance émerge: les habitants signalent en masse de faux contrôles de police et de faux ralentissements afin de tromper l’algorithme de Waze et de créer des bouchons virtuels. Cela vise à dissuader les automobilistes de traverser leur village.

« JAMAIS PERSONNE SUR LES CHANTIERS ! »

«Et en plus, il n’y a quasiment jamais d’ouvriers sur ces chantiers!», s’offusque une lectrice. «Les apparences sont parfois trompeuses», rétorque-t-on à la Sofico, la société publique qui gère les infrastructures. D’une part, tout n’est pas visible: «l’organisation des chantiers implique un travail de plus en plus fréquent la nuit et le week-end afin de réduire leur durée et d’effectuer des opérations lorsque celles-ci sont le moins impactantes pour la circulation.» D’autre part, il existe des contraintes techniques. Lorsqu’on coule une chape chez soi, il faut attendre qu’elle sèche. Il en va de même pour le réseau autoroutier. Il y a des temps de séchage pour le béton. Les chapes d’étanchéité exigent un temps sec, etc.

Mais pourquoi immobiliser en permanence des kilomètres d’autoroute plutôt que d’avancer par petits tronçons? Lorsqu’il s’agit de rénovations en profondeur, parfois jusqu’à trois couches, un scénario fréquent vu que les travaux routiers ont été sous-financés durant des décennies, il est impossible de travailler par tronçons d’un demi-kilomètre. Comme les ralentissements surviennent souvent avant le chantier, segmenter davantage, c’est aussi multiplier les files.

Pas de solution alors? Si. Les entreprises de travaux routiers se heurtent au fonctionnement complexe des marchés publics. Entre la soumission et le début effectif des chantiers, beaucoup de temps peut s’écouler. Davantage de coordination permettrait que des chantiers ne se télescopent plus dans un secteur où il est difficile de recruter du personnel. Les ouvriers ne peuvent malheureusement pas se dédoubler, contrairement aux embouteillages.

Les motards ne peuvent pas (encore) utiliser leurs feux de détresse

En Belgique, les motards sont autorisés à remonter les embouteillages. C’est permis, mais non obligatoire à condition de ne pas dépasser la vitesse de 50 km/h. Et la différence de vitesse entre le motocycliste et les véhicules qui se trouvent sur ces bandes de circulation ou files ne peut être supérieure à 20 km/h. Sur les autoroutes et les routes pour automobiles (routes sans vélos, motocyclettes, etc.), les motards doivent circuler entre les deux bandes les plus à gauche. Si l’espace est insuffisant, il est interdit de forcer le passage ou de harceler les automobilistes inattentifs. Il est recommandé aux motards de porter des vêtements fluorescents pour améliorer leur visibilité.
À partir du 1er septembre 2026, les motards pourront utiliser leurs quatre clignotants pour remonter les files, une pratique permise mais non obligatoire, qui sera intégrée dans le nouveau Code de la route. Pour le moment, les feux de détresse ne peuvent en réalité que dans trois situations: signaler un danger; lorsqu’un véhicule est en panne ou a perdu son chargement; pour le transport scolaire afin d’indiquer que des enfants vont monter ou ou descendre.

« LA FRUSTRATION MÈNE AU BURN-OUT »

Un habitant de la région namuroise peut passer régulièrement cinq heures pour un aller-retour à Bruxelles. Son trajet devrait prendre moins de deux heures lorsque la circulation est fluide. L’institut VIAS a analysé la problématique psychologique générée par les embouteillages, qui constituent «le départ d’un processus d’agressivité. Pour de nombreux usagers, la circulation est source d’une variété d’événements frustrants tels que les embouteillages ou les longues phases d’arrêt aux feux. Il est démontré que les conducteurs dans les grandes villes ont tendance à adopter une conduite plus agressive.» Les files provoquent «de la frustration qui elle-même engendre stress et agressivité. L’expression de ce stress varie en fonction de facteurs externes comme l’âge, le sexe, l’humeur dans laquelle on se trouve et la personnalité. Il existe aussi un lien direct entre comportement agressif et implication dans un accident. Les conducteurs agressifs ont été plus souvent impliqués dans un accident au cours des trois dernières années (61 %) que ceux qui le sont rarement ou jamais (39%).

Les employés arrivent plus stressés et fatigués, cela affecte leurs performances. Ce stress quotidien perturbe également le sommeil, créant un cercle vicieux dont il est difficile, voire impossible, de sortir. Les embouteillages ont un impact direct sur la santé mentale, avec à terme, la crainte de nombreux burn-outs.

432€ par habitant

Les bouchons font également du tort à l’économie. Les fédérations de l’automobile et entreprises ont développé un modèle de calcul autour des embouteillages, le Belgian Mobility Dashboard. Il apparaît ainsi que 5.058 milliards d’euros ont été perdus par l’économie nationale en 2023 à cause des files. Ce calcul prend en compte les pertes de temps, la consommation supplémentaire de carburant et le coût des émissions supplémentaires des véhicules, Cela représente 1,08% du PIB ou, ramené au nombre de citoyens belges, 432 € par habitant.

EXISTE-T-IL UN ESPOIR DE VOIR DISPARAÎTRE LES EMBOUTEILLAGES ?

Du temps de la Rome antique ou du Paris médiéval, les charrettes tirées par des animaux provoquaient déjà des embouteillages. Rien n’a changé et ces villes figurent toujours parmi les plus encombrées. Alors, y-a-t-il encore de l’espoir de désengorger les villes? Londres et Singapour ont instauré des péages urbains. D’autres villes cherchent des solutions alternatives pour gagner l’adhésion de la population. Lille et Rotterdam ont lancé des projets récompensant financièrement ceux qui n’utilisent pas leur voiture durant les heures de pointe pour réduire la pollution et désencombrer les grands axes. À Rotterdam, grâce à un mécanisme spécifique, les usagers qui évitent les axes principaux entre 15h et 19h peuvent gagner jusqu’à 3 € par trajet. Selon les autorités, environ 5.000 trajets quotidiens se font aux heures de pointe.

En Belgique, il y a bien sûr des solutions qui sont appliquées, comme la création de voies réservées pour les bus et les taxis. Sur la E40, une quatrième file à droite est disponible pour les véhicules «lents» à certains moments. Et comme la capacité maximale d’une autoroute est atteinte à 80 km/h et non à 120 km/h, la police fédérale a introduit régulièrement la «circulation en bloc» sur la E40 entre Bruxelles et la Côte. Cette technique permet une meilleure fluidité du trafic.

Ces solutions atténuent les embouteillages, mais ne les suppriment pas. Beaucoup d’espoir reposent désormais sur l’intelligence artificielle (IA): va-t-elle mettre fin aux bouchons sur les routes? En attendant les voitures pilotées par des robots, les services de gestion du trafic veulent désormais s’appuyer sur l’IA. Quand des équipes humaines détectent un ralentissement, il est déjà trop tard. En Belgique, on compte donc utiliser le réseau de caméras le long des routes et confier à l’IA le soin de détecter les ralentissements jusqu’à 60 minutes avant leur formation! Et ce, en prenant en compte des facteurs comme le nombre précis de voitures et les conditions météo. Dans le film «Minority Report» de Spielberg, la société du futur avait éradiqué les crimes avant qu’ils ne soient commis en se dotant d’un système de détection et de répression. En ira-t-il de même pour les embouteillages? Seront-ils bientôt détectés et éradiqués avant même de se former?

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