Entretien avec Joël Dicker, auteur suisse : « J’aime écrire sans plan ! »
Le jeune suisse est un des auteurs francophones les plus lus dans le monde. Découvrons l’homme derrière la plume...
Rivalité amoureuse, magouilles bancaires ou encore retournements de situations sont au menu du thriller diabolique » L’énigme de la chambre 622 « . Le séduisant trentenaire Joël Dicker, auteur du succès planétaire » La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert « , emmène cette fois le lecteur dans son pays natal, sur fond d’hommage à son ancien éditeur et mentor, Bernard de Fallois. En vacances dans les Alpes suisses, un écrivain (tiens, un certain Joël ! ) se plonge dans une enquête jamais élucidée : un meurtre commis des années plus tôt au prestigieux Palace de Verbier où il séjourne.
Il faut être patient en lisant votre 5e roman, » L’énigme de la chambre 622 « , puisqu’on découvre qui a été tué seulement à la page... 387. Pourquoi si loin ?
Parce que je travaille sans plan ! Ce qui me plaît quand j’écris, c’est de ne pas savoir... Je ne savais donc pas qui était la victime. J’ai dû avancer dans le roman, découvrir les personnages et décider finalement de qui allait mourir. Ne pas avoir de plan me permet d’être dans une dynamique où je suis complètement libre d’inventer ce que je veux ! Avec un plan, je serais peut-être contraint, inconsciemment, de suivre ce qui a été décidé par avant et je m’empêcherais alors d’un choix, d’une découverte, d’un tournant dans le livre. Le plan, c’est limitant.
Du coup, il risque de ne jamais avoir de fin...
C’est un peu le risque mais environ aux deux tiers du livre, à force d’écrire, de tâtonner, je comprends où je vais, la piste devient un peu plus claire et je vois la fin. Mais oui, effectivement, on pourrait passer une vie à écrire le même livre !
Sans tout dévoiler, il est question de travestissement. ça vous interpelle les fausses identités ?
On vit dans un monde de travestissement permanent, un monde d’image, on met constamment des filtres sur Instagram, facebook... On est dans un rapport à soi un peu tronqué. Je m’interrogeais sur ce qu’on cherche. Pourquoi a-t-on besoin de se raconter une vie qui, pour beaucoup, n’est pas la réalité ? N’est-on pas assez bien tel qu’on est ? Pour moi, c’était un questionnement important.
Et vous, si vous deviez être quelqu’un d’autre, ce serait qui ?
Si c’était un métier peut-être pilote de ligne ! Pouvoir voler, ça m’aurait plu, oui... Sinon, je suis bien moi-même. Quelqu’un m’a dit, l’autre jour : » La richesse, c’est être content de ce qu’on a « . Un exercice difficile mais c’est mon cas. J’ai la chance d’être bien entouré par une famille très aimante, des amis, etc.
Le thème de la filiation vous tient à coeur. Que souhaitez-vous transmettre à votre fils ?
J’espère une valeur importante qui est » vivre et laisser vivre « . Si j’arrive à lui transmettre ça, ce sera déjà pas mal !
Etiez-vous prédestiné à devenir écrivain ?
Mon père est professeur de français et ma mère libraire. Elle m’emmenait tous les samedis à la bibliothèque... Il y avait donc toujours beaucoup de livres, partout, dans ma vie ! Aujourd’hui, en voyant ce chemin-là, je me dis que c’était presque écrit – si j’ose dire – et en même temps peut-être pas car, à l’époque, je ne me disais pas que j’allais devenir écrivain. Il y avait une curiosité, une facilité d’accès à la littérature, oui, mais j’ai toujours écrit.
Oui, à 10 ans à peine vous avez fondé une revue sur la nature, qui a fait de vous le plus jeune rédacteur en chef de Suisse...
» La Gazette des animaux » était une aventure amusante qui m’a donné le goût du partage. Ecrire un journal qu’on envoyait chez les gens qui le lisaient puis me donnaient leur retour... Le texte vivait en plusieurs étapes, ça me plaisait beaucoup.
Après cette première distinction littéraire, il y en a eu d’autres. Comment gérez-vous le succès ?
Bien, car c’est un succès de livres donc il y a toujours un biais entre les gens et moi. Un auteur, c’est différent du succès d’un acteur, par exemple, qui incarne son jeu. Ici, c’est beaucoup plus doux, moins direct. Les gens me disent : » J’ai beaucoup aimé votre livre « , on ne me dit jamais : » Je vous adore, je vous aime ! « .
On vous surnomme le Federer de la littérature...
C’est un terme qui se répète de journaliste en journaliste mais je peux difficilement me comparer à Roger Federer qui est, en tout cas en Suisse, un Dieu vivant. Une légende sur les circuits de tennis depuis plus de vingt ans. On verra où moi j’en suis après autant d’années !
Où puisez-vous votre inspiration ?
Dans tout ce que je lis, ce que je vois, ce que je fais, dans une histoire arrivée à des proches, une discussion, une scène... L’inspiration vient de partout, de tout ce que j’emmagasine.
Disséminer les indices, c’est votre recette pour un bon roman ?
Oui mais, avant tout, le roman doit surtout être écrit avec plaisir et avec l’envie de partager pour donner au lecteur l’envie de suivre l’auteur et d’aller d’indice en indice.
Connaissez-vous l’angoisse de la page blanche ?
Non, je n’ai pas encore connu de moment où mon imagination était à sec. J’ai la chance d’avoir plutôt trop d’idées. C’est ça mon problème ! Il faut les trier, les canaliser...
Dans quelles conditions vous mettez-vous pour écrire ?
J’ai besoin d’être dans une pièce isolée donc je m’enferme dans mon bureau et je mets de la musique, comme du jazz notamment. La musique me sert à construire une bulle autour de moi. J’écris toute la journée.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans l’écriture ?
On peut tout imaginer et tout existe. Si je vous dis d’imaginer un pré avec 10.000 vaches, ben voilà il existe ! Il est là alors que si vous devez le dessiner ou le représenter au cinéma, c’est compliqué. Il n’y a pas de limite dans l’écriture, tout est possible, tout est immédiat !
Qui sont vos premiers lecteurs ?
Mon éditeur et, dans un deuxième temps, quelques proches, comme mes parents et mon épouse, qui me connaissent bien et sont capables de me dire les choses vraiment. Leur avis est plus libéré une fois qu’ils savent que mon livre a déjà été lu. Je suis toujours curieux de savoir s’il y a quelque chose qui n’est pas clair, qu’il faut reformuler ou qui est peut-être trop long. Je suis très ouvert aux remarques.
Comment vous sentez-vous lors de la sortie d’un livre ?
J’ai le trac à chaque fois car le livre est là, il est dehors, il faut l’assumer. En tant qu’auteur, on sait ce qu’on a essayé de faire et après on est confronté à la réalité, à ce qu’on a réussi, à ses faiblesses, à ses difficultés. Je me remets souvent en question. C’est important d’essayer de comprendre afin de s’améliorer pour le prochain livre. Les critiques font partie de l’avancée. Je suis très content des retours de ce roman : les gens aiment bien, donc c’est chouette !
Qui est Joël Dicker au quotidien ?
Un jeune homme discret. Discret dans le sens où je mène ma petite vie et je ne m’embête personne enfin... j’espère ! (rires) Les journées qui me plaisent le plus sont celles où je peux me consacrer à l’écriture la majorité du temps. Pour le reste, je fais de la course à pied, j’aime lire, aller au musée, regarder des films, raconter des histoires à mon fils âgé d’un an. Puis, j’ai repris, avec un ami, une petite chocolaterie en faillite, datant de 1875 et faisant partie du patrimoine de Genève. Je trouve triste ces centres-villes qui se vident, ces entreprises qui périclitent... Si on a la possibilité de donner un petit coup de main, de sauver quelques emplois et de contribuer à sauvegarder, très modestement, un bout de patrimoine, il faut le faire !
Quels sont vos genres de lectures ?
Assez ouverts... Récemment, j’ai lu « 1793 » de Niklas Natt och Dag. Un excellent roman qui se passe, en 1793, à Stockholm et qui m’a beaucoup rappelé « Le Parfum » de Süskind.
Bruxelles est un peu évoquée dans votre roman. La Belgique pourrait-elle être le décor d’un de vos livres?
Difficile de répondre car je travaille sans plan, ce sera plutôt un appel tout d’un coup. Je pourrais me dire : « Tiens, j’ai envie de faire ça ! » Mais pourquoi pas ? Je suis de temps en temps à Bruxelles, une belle ville. J’aime bien les pays du nord, leurs villes pleines de charme. J’ai de la sympathie pour les Belges. Les Belges et les Suisses sont des peuples assez proches.
Le plus beau compliment qu’on puisse vous faire ?
Lorsque que quelqu’un qui n’aimait pas lire me dit que, depuis qu’il a lu mes romans, il est devenu lecteur. La littérature, c’est la liberté, l’ouverture, l’imagination des personnages, des décors... C’est un moment avec soi-même, ce qui est devenu rare !
Joël Dicker
- 1985 : Naissance à Genève
- 1995 : Désigné » plus jeune rédacteur en chef de Suisse »
- 2010 : Diplômé en droit de l’université de Genève
- 2010 : Premier roman » Les Derniers Jours de nos pères »
- 2010-2012 : Attaché parlementaire au Parlement suisse
- 2012 : Roman » La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert »
- 2012 : Grand Prix du roman de l’Académie française
- 2019 : Naissance de son fils Wolf
- 2020 : Roman » L’énigme de la chambre 622 » (éd. de Fallois)
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