Henri de Gerlache, sur les traces de la Belgica :  » Mes aïeux, les premiers écolos ! »

Pour fêter les 120 ans de l’expédition de son aïeul Adrien en Antarctique, Henri de Gerlache partira en croisière sur les traces de la Belgica. Cap sur ce passeur d’histoire...

De 1897 à 1899, à bord du trois mâts Belgica, Adrien de Gerlache, marin passionné de sciences, mène la première expédition scientifique en Antarctique et réussit le premier hivernage dans les glaces. Soixante ans plus tard, son fils Gaston érige la première base belge sur le continent blanc. Aujourd’hui, leur arrière-petit-fils et petit-fils Henri, documentariste, continue à relayer cette grande page de l’histoire de l’exploration polaire...

En février, vous accompagnerez, avec vos frère et soeurs, une croisière sur les traces du voilier légendaire. Quel sera votre rôle ?

Je donnerai des conférences, je présenterai mon film L’Antarctique en héritage, je lirai, au jour le jour, le journal de bord de mon arrière-grand-père : les débarquements, les découvertes, les interrogations... L’idée est de replonger les passagers dans l’ambiance fin XIXe siècle, dans la mesure du possible car les conditions seront évidemment bien différentes de ce qu’a connu l’équipage à l’époque ! C’était un petit voilier en bois, il n’y avait pas de communications, vraiment une aventure vers l’inconnu...

Et cette fois, pas d’hivernage !

A priori non ! (rires) Ce sera un voyage de dix jours et pas quinze mois.

Etes-vous déjà allé en Antarctique ?

Oui, en 1998, pour grimper le Mont Vinson à l’occasion du centenaire de l’expédition de la Belgica. Un continent magnifique, de vastes étendues de glace et de neige où on devine la courbure de la Terre, un silence troublant...Comme je terminais mes études de journalisme et communication, j’en ai profité pour réaliser mon premier documentaire, Nuit blanche, relatant cette ascension du point culminant du continent. J’en ai ensuite fait mon métier ! Je suis ravi de retourner en Antarctique et de partager l’histoire, de la faire revivre.

Vous êtes un passeur de mémoire ?

Je ne sais pas. C’est vrai que j’ai réalisé le film et le livre L’Antarctique en héritage peu de temps avant la mort de mon grand-père Gaston et que j’ai eu la chance d’avoir des entretiens filmés avec lui. Il m’a raconté sa propre histoire et celle de son père en Antarctique. Dans la famille, on la connaissait dans les grandes lignes, avec les murs ornés d’images devenues si familières qu’on ne les voyait plus. J’ai fouillé dans les archives et retrouvé des tas de choses pour en tirer ce documentaire !

Que retenir, en bref, de vos célèbres aïeux ?

Lors de leur expédition en Antarctique, Adrien et son équipage ont fait des études de glaciologie, de géographie, de climatologie, de biologie... Et ils ont continué à récolter des données durant tout l’hivernage. On les imagine cloîtrés dans le bateau, mais pas du tout car la Belgica continuait à dériver avec les glaces ! Leur travail est toujours une référence pour les scientifiques. Mon grand-père Gaston a créé, en Antarctique, la base Roi Baudouin lors l’année géophysique internationale, en 57-58. Pour lui, notre pays, avec son important passé polaire, devait participer à cette vaste opération de recherches en vue d’une meilleure connaissance de la Terre. A la suite de cette expédition, la Belgique a compté parmi les douze pays fondateurs du Traité Antarctique qui protège ce continent et le dédie à la science ! Les membres de l’expédition 57-58 ont continué à se voir chez mon grand-père pour la Midwinter, sorte de fête nationale de l’Antarctique célébrée dans les bases, en juin, à la moitié de l’hiver. Je suis allé plusieurs fois à cette réunion chez lui où j’ai entendu beaucoup d’histoires liées à ce continent et vu des extraits du film réalisé à l’époque.

Avez-vous conservé des objets ?

Chez moi, j’ai une très belle photo agrandie du bateau pris dans les glaces sur laquelle on voit l’ombre du photographe. Nous avons des archives dans la famille : les plaques en verre originales des photos prises là-bas, des lettres, documents, cartes, instruments de bord... Avec mon père et mes oncles, nous venons d’ailleurs juste de créer une nouvelle asbl destinée à préserver ce  » patrimoine « .

Le but est d’essayer de faire vivre ces archives, de pouvoir acquérir certaines choses de ces deux expéditions qui se sont peut-être dispersées, de participer à des événements, de montrer ces objets lors d’expositions, éventuellement d’avoir un musée pour apporter une visibilité aux expéditions d’Adrien et Gaston en Antarctique. Du temps du vivant de mon grand-père, c’était lui la mémoire. Cette structure permet la conservation des archives pour les générations futures et leur circulation à l’étranger car il s’agit étonnamment d’une histoire presque plus connue à l’international qu’en Belgique. On souffre parfois d’un peu trop d’humilité. C’est typique de notre pays ! (rires)

Vous sentez-vous investi d’une mission par rapport à vos aïeux ?

Oui, c’est un bel héritage en cadeau. C’est important de continuer à faire vivre cette page importante de l’histoire de notre pays pour que la mémoire ne s’efface pas. Pour mieux appréhender le futur, il faut connaître son passé.

Vos parents ont-ils suivi leur voie à leur manière?

Ma mère est infirmière et mon père a plutôt fait sa carrière dans la finance et les affaires donc pas grand-chose à voir mais il est aussi allé en Antarctique durant son service militaire pour une mission de ravitaillement d’une base américaine!

Etes-vous aussi attiré par les contrées lointaines ?

J’admire mon arrière-grand-père, il fallait un grain de folie pour se lancer dans cette aventure osée. J’ai eu la chance de parcourir pas mal de continents et pays différents. L’aventure m’intéresse, m’amuse, mais je ne crois pas qu’il y ait un réel atavisme d’exploration et de voyages.

Henri de Gerlache

1973 BRUXELLES

• 1993-1997 : Etudes de journalisme et communication
• 2007 : Documentaire et livre L’Antarctique en héritage
• 2009 : Mariage avec Adeline Lippens
• 2020 : Croisière sur les traces de la Belgica

Ça représente quoi de s’appeler de Gerlache ?

Je suis reconnaissant car c’est grâce aux expéditions de mes aïeux que j’ai réalisé une partie de ce que j’ai fait dans ma vie. Après, des gens se font parfois des images toutes faites :  » Ah oui, lui, c’est la famille qui a les moyens d’aller faire des voyages partout ! « , alors que je vis une vie assez normale. Des étiquettes pas toujours faciles à porter. Mais c’est une fierté d’appartenir à cette famille !

Vous faites beaucoup d’expéditions pour votre métier. Des projets en Antarctique ?

Ce n’est pas à l’ordre du jour. J’ai réalisé une trentaine de documentaires d’exploration et des portraits d’artistes, comme Béjart et Magritte. Je prépare mon premier long métrage, aussi lié à la mémoire et la transmission : un film librement inspiré de l’histoire de ma grand-mère (l’épouse de Gaston) qui, à 20 ans, a passé neuf mois dans le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les survivant(e)s de cette époque deviennent rares. Cette histoire est en train de s’effacer dans la mémoire donc il faut continuer à raconter ce que l’homme peut fabriquer de pire et ce vers quoi il ne faut pas aller.

Avec le réchauffement climatique, la fonte de l’Antarctique s’accélère...

L’environnement m’a toujours intéressé et un de mes premiers films était d’ailleurs consacré au développement durable, en 1999. On a un rôle d’information à jouer à ce sujet en tant que documentariste. Grâce à leurs recherches, mon arrière-grand-père et mon grand-père ont participé, sans le savoir car ce n’était pas un sujet à l’époque, à une meilleure connaissance de notre Terre, du climat, et donc à sa meilleure préservation. Les premiers écolos, on va dire ! Cette conscience est certainement une des valeurs qu’ils m’ont transmises.

Vos gestes pour préserver la planète?

Rendre ma maison passive, me déplacer le moins possible en voiture, surveiller mes achats... Je trouve formidable que la jeunesse essaye de faire bouger les choses. J’ai participé avec mes enfants à la première grande marche pour le climat. L’initiative des jeunes peut paraître utopiste aux yeux de certains mais on a beaucoup besoin aujourd’hui de ce genre d’idéaux. C’est un combat juste !