J’ai testé : la pêche aux moules
Au restaurant, on les découvre déjà cuites, entrouvertes dans leur casserole au milieu des oignons et du céleri. Ceux qui les cuisinent se contentent de les sortir de leur grand sac en toile de jute ou de leur barquette sous vide. Bref : si le Belge est un grand amateur de moules, il va rarement les dégoter lui-même (la pêche aux moules est d’ailleurs interdite sur les plages belges) et achète le plus souvent ses mollusques en provenance de Zélande. Quant à savoir comment ceux-ci sont élevés et récoltés : mystère ! Certains s’imaginent des parcs à moules comme il existe des parcs à huître en Bretagne, ou encore des piquets immergés sur lesquels s’accrocheraient les moules de Zélande, tout comme le font leurs cousines de bouchot.
Pour en savoir davantage, j’ai rendez-vous ce matin chez Léon, mythique enseigne bruxelloise qui a bâti sa réputation sur le plat le plus associé à la Belgique à travers le monde, le moules-frites. L’invitation est tentante : l’enseigne renoue aujourd’hui avec une de ses anciennes traditions, en conviant une partie de son personnel et leurs familles à une partie de pêche aux moules chez son fournisseur néerlandais. Il est encore très tôt – la rue des Bouchers a quelque chose d’austère au petit matin, sans ses néons et ses hordes de touristes affamés – mais au sein du restaurant, l’ambiance semble au rendez-vous. Puisque je ne sais absolument pas à quoi m’attendre, j’ai pris soin de me munir d’un ciré et de chaussures imperméables : tout ce que je connais de la pêche aux moules, c’est la comptine enfantine. Le départ approche. J’espère juste que les gens de la ville ne me prendront pas mon panier...
60 % de la production... exportée en Belgique
Après deux heures de bus, nous arrivons à Yerseke, petit village de Zélande en bordure de l’Escaut oriental. Le village ne compte que quelques milliers d’habitants ; il abrite pourtant l’unique vente de moule à la criée de tous les Pays-Bas. C’est bien simple : toutes les grandes marques productrices de moules de Zélande semblent avoir élu domicile ici ! Elles sont même établies côte à côte, au bord de l’eau. Des camions y entrent et en sortent dans un va-et-vient ininterrompu et bruyant. Les gaz d’échappement se mêlent aux odeurs iodées et caractéristiques du bord de mer. » La majorité de la production est destinée à l’exportation, principalement la Belgique « , explique notre guide, qui travaille pour l’entreprise Prins & Dingemanse. Mais pour obtenir un produit fini, qui partira rejoindre les restaurants belges via la route, il faudra pas mal d’étapes... où l’homme laissera avant tout faire la nature.
C’est que notre guide insiste d’emblée, » la moule de Zélande est un produit on ne peut plus naturel « . Et ce, dès le départ: les moules qui finiront dans nos assiettes sont capturées à l’état » sauvage « , au large de la Mer des Wadden (Waddenzee). Les mollusques sont prélevés très jeunes – à cet âge on les appelle » naissain » – lorsqu’ils tapissent les fonds marins en grappes, au milieu des algues. A ce stade, les moules sont encore toutes petites : ce qui remplira une casserole à l’âge adulte tient encore dans le creux d’une main.
» Certaines années, la récolte est très bonne, d’autres pas : nous n’avons aucune prise là-dessus. Ce qui fait que nous devons parfois importer du naissain d’Irlande, par exemple. » Une importation décriée par les producteurs de moules autres que zélandaises mais qui, aux dires de la guide, n’aurait aucune influence sur le produit final. » Leur origine importe finalement peu...Ce qui fait la particularité des moules de Zélande, ce sont leurs conditions de croissance. «
Entre fleuve et mer
Une fois prélevé, le naissain est déposé dans des » parcs à moules « , dans lequel les mollusques pourront poursuivre leur croissance durant un an et demi à deux ans. » Ces parcs sont attribués aux pêcheurs par tirage au sort : comme le processus est 100% naturel, on ne sait pas déterminer à l’avance quelle parcelle donnera des moules avec beaucoup de chair, une bonne croissance, un taux de mortalité bas, etc. On laisse donc jouer le hasard. » C’est ce qui explique aussi le prix fluctuant des moules sur le marché : à cause de tempêtes, de gel ou d’invasion de prédateurs (crabes, étoiles de mer), la récolte peut parfois être mauvaise ou au contraire excellente.
Parvenues à maturité, les moules sont récoltées et mises en vente à la criée de Yerseke. Pour évaluer la qualité de la marchandise, on prélève dans la cale un seau du produit de la pêche, avant d’analyser la qualité des mollusques, la proportion de déchets (algues, coquilles vides, autres coquillages et animaux), la taille moyenne des coquilles, la proportion de chair... Il suffit ensuite aux grandes entreprises de surenchérir pour obtenir tout le contenu de la cale. Les moules ne sont pas pour autant prêtes à être consommées : il faut encore les faire dégorger. Durant leur croissance, les mollusques, qui se nourrissent en filtrant l’eau, ont accumulé quantité de vase et de sable, dont il va falloir les débarrasser.
Comme une huître corsée
L’Escaut oriental, à la fois bras de mer et estuaire de fleuve joue ici un grand rôle. En fonction des marées, les coquillages seront baignés tantôt d’eau peu saumâtre, tantôt plus salée, mais aussi plus riche en nutriments. » L’eau est très pure et limpide, on peut d’ailleurs voir le fond jusqu’à cinq mètres de profondeur. Ici le fond est plat, peu sableux et à l’abri des tempêtes : la moule va donc pouvoir y dégorger de manière optimale. «
Pour voir cela de plus près, nous embarquons enfin sur un bateau. Heureusement, le temps est beau et la houle quasi inexistante : un barrage a permis d’apaiser le bras de mer, ce qui donne presque l’impression de naviguer sur un lac. (Mon ciré ridicule restera donc dans le sac à dos, ouf !) Pas question d’aller chercher nous-mêmes les moules, parquées à plusieurs mètres de profondeur. Nous assistons cependant à la manoeuvre : le bateau plonge une nacelle en filet et en ressort quelques instants plus tard un magma de coquilles et d’algues. Des petits crustacés, semblables à de petites araignées de mer, tentent de fuir tant qu’ils le peuvent. Vu de plus près, le contenu du filet n’est pas encore très ragoûtant... mais est déjà comestible ! La moule peut en effet se consommer crue, dès sa sortie de l’eau. Et, pour y avoir goûté, c’est loin d’être mauvais. La saveur n’est pas sans rappeler celle de l’huître, en plus corsé et iodé.
L’habit fait la moule
Chargées à bord, les moules sont ensuite envoyées à l’usine de conditionnement. Dans un fracas assourdissant, nous voyons d’immenses conteneurs emplis d’écume et moules se déverser le long de tapis roulants. Là, les coquillages sont nettoyés, rincés par des torrents d’eau sous pression. » Il s’agit de l’eau de l’Escaut occidental, la même que celle dans lesquelles les moules dégorgent « , poursuit la guide. Cette douche permet de débarrasser les coquilles de moule de leur impuretés – vase, sable, parasites – mais aussi des nombreux algues, crustacés et coquillages qui vivent au milieu des mollusques.
Les moules, toujours bien vivantes, sont ensuite triées selon leur calibre : » extra « , » super « , » jumbo « , etc. Attention : ce n’est pas parce que vous choisissez les moules de plus gros calibre que vous aurez plus de chair. Ces calibres ne concernent que la taille des coquilles, pas ce qu’elles contiennent. » Maintenant, des moules de plus gros calibre ont proportionnellement plus de chances d’avoir beaucoup de chair... « , tempère la guide. Les mollusques sont ensuite empaquetés et chargés sur les palettes. Dehors, les camions attendent...
En ce qui nous concerne, le bus attendra : avant de partir, et après les avoir goûtées crues, nous pourrons quand même déguster une bonne platée de moules cuites. Elles sont on ne peut plus fraîches, excellentes, mais quelques-uns parmi nous ne cachent pas leur déception. C’est que nous les mangeons à la mode hollandaise, avec du pain. La belgitude reprend ici le dessus : il n’y aurait pas une petite frite qui traîne quelque part, par hasard ?
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