Un sourire est bienveillant, c'est une idée reçue. © Getty Images

Langage corporel: pourquoi les apparences sont parfois trompeuses

Saviez-vous qu’un menteur ne détourne pas le regard, mais se gratte le bas du nez. Que se remonter les manches ou les lunettes, ce n’est pas bon signe. Que bien des sourires sont faux, sauf si on plisse les yeux à demi...

Philippe Turchet, docteur en sciences du langage, est le père de la synergologie, cette discipline qui permet d’appréhender l’humain à partir de la structure de son langage corporel. Si la validité scientifique de ses théories fait aujourd’hui débat, ces dernières pourraient aider à décrypter le non verbal inconscient. L’ouvrage de référence « Le grand livre de la synergologie » (nouvelle édition de 2022, Éd. de l’Homme) est traduit dans une quinzaine de langues. Philippe Turchet y fournit ses principales clés de l’observation du langage corporel et il passe à la loupe la facilité avec laquelle nous pouvons succomber aux stéréotypes et donc, parfois, méchamment nous tromper sur les intentions des autres!

Droit dans les yeux

Prenons l’exemple du menteur, « on pense qu’il ne vous regardera pas franchement dans les yeux. Hé bien là, nous avons un fameux cliché! Un menteur va probablement soutenir votre regard, poursuit le spécialiste. L’évitement du regard n’est par contre pas un signe de mensonge. Les personnes âgées, par exemple, regardent moins directement les gens dans les yeux et sont plus attentives à la bouche. » Ce mythe du menteur au regard fuyant vient probablement de l’enfance. Quand un bambin ment effrontément, on lui dit « Pourrais-tu me redire ça en me regardant dans les yeux? » Et cette phrase très émotionnelle résonne encore en nous.

« Baby face » n’est pas immature

Il n’y a pas que les gestes des autres qui nous trompent. Leur simple apparence physique peut aussi nous mettre sur de fausses pistes, malgré nous. « Des stéréotypes produisent malheureusement de nombreux liens arbitraires et qui nous conduisent à nous tromper sur l’autre, pense l’auteur. Ils ouvrent la porte à des préjugés assez gênants pour ceux qui en sont victimes. » Prenons le stéréotype du baby face. Le bébé a bien un visage rond, de grands yeux, un petit nez, un front haut et un petit menton. Mais certains adultes aussi. Ce qui peut s’avérer corrosif. « Car les personnes ayant une baby face vissée sur les épaules ont tendance à être perçues comme moins compétentes et plus immatures. Il leur est même prêté un langage plus enfantin. Et comme si ce n’était pas suffisant, ces personnes aux grands yeux sont en plus décrites comme moins intelligentes et plus naïves. »

Bill Clinton et le syndrome de Pinocchio

Par contre, et c’est assez comique, il y a un lien entre le mensonge et le nez, comme quand on se passe la main sous le nez en signe de malaise. « Cette démonstration visuelle et neurologique est de plus en plus avérée, avance le docteur en sciences du langage. Rappelez-vous le président Clinton déclarant, devant un parterre de journalistes, n’avoir jamais eu de relation sexuelle avec une de ses assistantes tout en se réchauffant le nez. » Bien entendu, il ne faut pas conclure trop facilement que lorsque quelqu’un se gratte le nez, il ment. Il y a plusieurs démangeaisons distinctes répertoriées autour du nez, dont une seule est formellement en lien avec le mensonge.

Comment expliquer que nous tombions dans ces pièges aussi grossiers? « C’est parce que le langage corporel est difficile d’accès, répond Philippe Turchet. Nous pensons qu’il faut observer pour comprendre, alors que c’est l’inverse: il faut comprendre pour observer. » Des exemples? On pense qu’une personne qui s’exprime les bras croisés est une personne a priori fermée à la communication. Ce n’est pas toujours exact. Si la personne a tendance à se placer en arrière dans l’espace tout en ayant les bras croisés, elle continue bien à écouter son interlocuteur. Et une personne qui place son index droit devant la bouche ne veut pas se taire en situation de conflit. Elle se prépare en réalité à montrer son désaccord dès qu’elle reprendra la parole...

Se remonter les manches

Les objets peuvent aussi être employés pour communiquer inconsciemment. Les lunettes sont rarement réajustées immédiatement quand elles glissent. Mais repoussées quelques instants plus tard sur le nez à l’aide de l’index ou du majeur, cela dénote souvent un geste de fermeture, un désaccord. Et lorsqu’elles prennent la parole, « les personnes ayant tiré sur leurs manches emploient souvent des mots assez durs et critiques, comme si tirer sur les manches était un substitut inconscient trouvé par le corps pour calmer leur irritation et ne pas tomber sur l’autre... à bras raccourcis. » Même les attitudes les plus insignifiantes sont souvent chargées de sens.

Nous pensons qu’il faut observer pour comprendre, alors qu’il faut comprendre pour observer!

L’effet pandémie

La synergologie permet de mieux interpréter les intentions de nos interlocuteurs et d’adapter notre communication. Mais avec le covid et particulièrement avec un masque sur le visage, est-ce toujours possible? Les yeux « parlent-ils » assez? Pas vraiment pour dire vrai. Car il faut voir un visage en entier pour décoder l’humeur ou les intentions de son interlocuteur. Ne voir que les yeux, c’est imparfait. Cela nous prive du reste, comme cette bouche crispée alors que les yeux donnent l’illusion de « sourire ». Et puis, quand on porte un masque, on accompagne son message de moins de ces gestes qui envoient des informations aux interlocuteurs.

Nos affects ne passent plus le visage

« Je pensais qu’avec le masque sur le bas du visage, on allait renforcer nos messages avec les yeux, narre Philippe Turchet. Mais je me suis rendu compte qu’on n’y est pas du tout. Nos affects ne passent plus le visage. La figure ne bouge plus trop, car on a le sentiment diffus que, de toute façon, l’autre va mal nous comprendre. Du coup, inconsciemment, on ne fait plus cet effort-là. Pire, avec le masque, on bouge également nettement moins les mains pour s’exprimer. Bouche et mains sont très reliées dans le processus de la communication et dans le développement cérébral. On passe par d’autres canaux beaucoup plus cérébraux, qui mettent le langage du corps sous l’éteignoir. »

Et les réunions numériques?

Et puis il y a désormais toutes ces réunions par Zoom, Meet, Teams et autres Webex... Chacun semble y tenir un rôle, en gros plan face à la caméra. Mais cela ne dure qu’un temps. Assez vite, la mise en scène du soi s’estompe et peut révéler au final des sentiments peu flatteurs (sans le vouloir) comme un profond ennui ou de l’irritation.

« Le message est souvent dénaturé par la visioconférence, observe Turchet. Car il n’y a plus l’apport de la communication non verbale. Vous allez avoir moins d’empathie, moins de communication vraie avec l’autre. Mais il ne faut pas désespérer. Même si le télétravail est voué à se maintenir dans les entreprises, toutes les relations humaines ne vont pas s’effondrer. Que du contraire. Car quand il y a aura une réunion avec la présence physique, cette réunion sera alors beaucoup plus riche et vraie, selon le principe que ce qui est rare est précieux. Elle apportera donc beaucoup plus d’échanges et de sens qu’auparavant. »

Trois attitudes qui vous trahissent

Les gestes de l’autre sont une chance. Même si notre interlocuteur ne dit rien, sa gestuelle va le « trahir », comme autant de panneaux de signalisation pour qui sait les décrypter.

1. le clignement de paupières. Contrairement à nombre de croyances, l’oeil ne cligne pas que pour s’humidifier. Plus nos réflexions nous obligent à absorber de l’information, plus nous clignerons des paupières. Ce qui veut dire que si nous cessons d’être intéressés, nous cessons d’écouter et donc de cligner des paupières.

2. les croisements de bras et de jambes ne traduisent pas que la fermeture, mais aussi le retour sur soi. Un croisement de bras est une fermeture lorsque votre interlocuteur recule et s’enfonce dans son siège. A contrario, si votre interlocuteur s’avance en croisant les bras, cela signifie qu’il est intéressé et qu’il se rapproche de vous pour mieux vous écouter.

3. Un sourire n’est pas toujours bienveillant. Nous avons tendance à penser que « sourire = situation positive ». Et pourtant, il existe le sourire gêné, pincé, sadique, excédé, méprisant, simulé, etc. Lorsque le sourire est authentique (le sourire de Duchenne), les yeux accompagnant le sourire se ferment à demi. Mais attention, quelques personnes ont compris l’astuce et peuvent dès lors délibérément produire du « sincère » non ressenti!

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