Anne Vanderdonckt
Le bal des ronchons
Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.
C’est une des expressions que le langage retiendra de 2021, car si l’infectiologue Erika Vlieghe l’a utilisée dans le contexte de la pandémie, elle s’accommode de bien d’autres situations: Stop met zeuren! Arrêtez de gémir. Arrêtez de vous plaindre. Se plaindre. Ah, comme ça fait du bien. Le soir, on vide son sac: les voisins musiciens qui vous ont rendu allergique au violoncelle. Le plombier qui n’est pas venu. Les poireaux qui n’ont aucun goût (vous avez remarqué aussi? ) Voilà, on respire un coup, et on passe à autre chose.
Se plaindre, se victimiser... Un peu ça va. Trop, bonjour les dégâts. Serait-ce un mal de notre temps? Un réflexe d’enfants gâtés? Ce qui est sûr, c’est que, par la grâce des moyens de communication actuels, jamais on ne l’a fait à aussi grande échelle. Regardez Meghan et Harry qui, bien que conspuant la presse qui pourrirait leur vie privée, convoquent la star de l’interview Oprah Winfrey pour s’épancher devant le monde entier sur leurs états d’âme ressassés jusqu’à l’os dans une villa à 15 millions de dollars et 16 salles de bains. Ben non, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, la gloire et la paix. Ben oui, la famille royale britannique s’impose une étiquette hyper stricte ; il ne leur a pas fallu attendre la diffusion de The Crown pour le découvrir quand même? Harry et Meghan, c’est un peu deux abstinents qui se font engager dans une distillerie et se mettent à militer contre l’alcool tout en exigeant une augmentation de salaire, le droit d’assouplir leurs horaires et la reconnaissance du patron. Le plus stupéfiant, c’est l’intérêt et la compassion que suscite cet indécent déballage de linge sale armorié qui génère des dollars à la pelle.
Fin de cette réflexion de salle d’attente. Je remballe mon magazine, le kiné me fait signe.
« Ah, ce qu’on en a marre du corona! », me salue-t-il, lui qui brise la glace ainsi avec chaque patient. Et de se lancer dans une diatribe contre tout ce qui va mal, les politiques nuls, les experts nuls, les jeunes nuls, avec un point d’orgue sur les vacances qui seront nulles, précisant au cas où ce serait nécessaire qu’il n’y a plus d’autres sujets de conversation.
C’est vrai, par les temps qui courent, on en oublie de râler contre la météo qui déraille, le tunnel Léopold II rebaptisé Annie Cordy (quelle idée, la pauvre!), les excès du politiquement correct qui en est arrivé au point où on ne pourrait plus utiliser l’expression « manger comme un cochon » car c’est vexatoire pour les cochons. Infortunés animaux qui auraient plutôt intérêt à se lever contre les mots « boudin » ou « saucisse »!
Et pendant ce temps-là – est-ce pour faire oublier la suppression de 44 guichets d’ici la fin de l’année? -, la SNCB, installe à la gare du midi un distributeur de blagues (FR/NL/EN). Une sorte de Petit Farceur mais sous forme d’automate. Ici donc, on ne râle pas, on rigole. Supériorité de la machine sur l’homme. Ou bien est-ce justement le contraire?
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