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Le grand retour des jeux de société

De nouveaux jeux apparaissent. Les anciens gardent la cote. Les jeux de société restent un plaisir intergénérationnel pour des soirées formidables. Un vrai phénomène.

Les magasins de jouets vendent de plus en plus de jeux de société. Les magasins spécialisés et les clubs de jeux font le plein. Et les bars à jeux poussent comme des champignons. Depuis son grand retour il y a une dizaine d’années, le jeu de plateau connaît un succès sans précédent. Pour ne prendre qu’un exemple, poussez la porte du café The Playground à la gare centrale d’Anvers un vendredi après-midi. Entre les cappuccinos et les bières locales, les dés roulent, les pions se disputent la première place, les joueurs commentent leur stratégie. Le public est extrêmement varié avec une majorité de jeunes de 20 et 30 ans.

Victime d’un burn-out il y a six ans, Mark Van Achter, professeur d’économie et fondateur de The Playground, a cherché un moyen de retrouver son énergie.  » Quand j’étais enfant, et plus tard étudiant, je jouais très souvent à des jeux de société. Puis je les ai oubliés. Pendant mon burn-out, je me suis mis à rejouer et je me suis rendu compte à quel point la dimension sociale du jeu de plateau m’énergisait.  » D’où son idée d’ouvrir un café où on peut disputer une partie avec des amis ou des inconnus. Le premier café a ouvert ses portes en 2017. Deux ans plus tard, un deuxième bar à jeux s’est créé dans le centre-ville, où sont également organisées des soirées thématiques et des activités de teambuilding pour entreprises.

DES LOISIRS LÉGITIMES

 » Le jeu de société est le meilleur moyen de créer des liens entre les gens, constate Mark Van Achter. Nous sommes de plus en plus souvent seuls derrière un écran : PC, télévision, tablette, smartphone... Un mouvement de réaction commence néanmoins à se dessiner. On s’installe plus volontiers qu’avant autour d’une table, en famille, avec des amis ou des inconnus pour passer un bon moment ensemble. « 

Joeri Dehouwer, stratégiste créatif chez Cartamundi, a lancé le Rock Paper Pencil à Turnhout, un projet qui soutient les concepteurs de jeu et les dessinateurs de BD débutants.  » À l’instar des vinyles et des livres papier qui regagnent en popularité, nous souhaitons retrouver de la proximité et de vrais contacts avec les autres.  » La renaissance du jeu de plateau s’explique par les changements dans les habitudes de loisirs des jeunes.  » Il y a de moins en moins de discothèques. Les jeunes boivent et fument moins. Ils fréquentent encore les festivals mais plus sporadiquement. Les jeux de plateau sont une activité conviviale et peu onéreuse. Il suffit d’inviter quelques amis et c’est parti... Cela tient aussi au fait que les jeux de plateau sont devenus des loisirs légitimes. D’autres formes de loisirs comme les escape rooms et jeux d’Arcade en en réalité virtuelle s’inspirent d’ailleurs du concept du jeu de plateau. « 

TESTER SES LIMITES

 » Lorsque plusieurs personnes se rassemblent autour d’un jeu de société, il se passe quelque chose d’unique, explique Mark Van Achter. C’est une sorte de laboratoire, une expérience. Pendant la partie, les joueurs discutent, se confrontent, collaborent, se trahissent parfois mais sans le moindre impact sur la vie réelle. À la fin de la partie, tous les conflits devraient être aplanis. « 

Le jeu permet aussi de mieux se connaître : quel joueur ment le mieux, lequel hésite à trahir, qui aime prendre des risques et qui préfère jouer la carte de la prudence ? Le jeu de plateau permet aussi de tester ses limites dans un cadre contrôlé.  » On apprend à mieux se connaître. Je connais mieux mes compagnons de jeu que certains de mes amis pour avoir partagé des situations conflictuelles « , plaisante Mark Van Achter.

Le jeu de plateau peut aussi s’avérer très utile dans l’éducation des jeunes enfants.  » En tant que parent, on a parfois l’impression de devoir les corriger constamment. Pendant une partie, enfants et adultes peuvent être eux-mêmes, sans que ce soit énoncé clairement. Si un enfant manque de patience, par exemple, on peut réagir de façon plus ludique dans le cadre du jeu que dans la vie réelle. « 

 » Les jeux de société rapprochent plus qu’ils n’opposent, constate Mark Van Achter. Les clients s’expliquent les règles du jeu les uns les autres. Des inconnus s’asseyent autour de la même table pour jouer, décident de se revoir pour disputer une nouvelle manche. Il se crée une sorte de communauté. Peu importe le niveau d’éducation, les orientations politiques, l’origine, la langue. Le jeu met tout le monde sur pied d’égalité. « 

Le grand retour des jeux de société
© PHOTOS FRANK BAHNMÜLLER

CHACUN SON JEU

Toujours pas convaincu ? Vous n’avez pas encore trouvé votre jeu, rétorqueront les connaisseurs. Car les jeux de plateau sont bien plus que des jeux simplistes, basés généralement sur la chance comme le Monopoly ou le Risk. L’arrivée de Catan à la fin des années 1990 a marqué un tournant décisif dans l’histoire du jeu. Le jeu consiste non pas à jouer l’un contre l’autre mais l’un avec l’autre pour atteindre l’objectif visé. Résultat : chaque nouvelle partie est radicalement différente de la précédente.

 » Depuis lors, les jeux de plateau ont beaucoup progressé. Il y a dix ans, les jeux innovants n’intéressaient que les vrais fans. Aujourd’hui, ils sont accessibles à tous « , souligne Joeri Dehouwer. Il existe aussi quantité de jeux coopératifs sur le marché dont l’enjeu consiste à battre non pas les autres joueurs mais le plateau. « 

Avant, au niveau mondial, une centaine de nouveaux jeux voyaient le jour chaque année. Aujourd’hui, on en compte 3.000 ! Si le public-cible a grossi de façon spectaculaire, la commercialisation des nouveaux jeux est aussi beaucoup plus facile grâce au monde numérique. Rudy Seuntjens, concepteur de jeu et fondateur de la maison d’éditions spécialisée Gamebrewer, cherche des clients pour ses nouveaux jeux sur la plateforme de crowdfunding Kickstarter. Maisons d’éditions et concepteurs y présentent leur concept et celui qui investit dans un projet de jeu reçoit un exemplaire dès sa sortie.  » La plateforme est consacrée pour moitié aux jeux de société. Elle est passée de 0 à 800.000 clients potentiels en l’espace de dix ans. Il y a trois ans environ, le public disposé à payer cher pour un jeu de luxe était assez restreint. Le public est aujourd’hui beaucoup plus large mais achète moins de jeux coûteux et exclusifs.  » Le jeu de cartes absurde et drôle Exploding Kittens en est un bel exemple : plus de 200.000 personnes ont marqué leur intérêt sur Kickstarter et la plate-forme a réussi à collecter 8 millions de dollars pour financer la commercialisation de ce jeu.

DES MODES ÉPHÉMÈRES

Sur les 3.000 nouveaux jeux qui arrivent sur le marché chaque année, seuls les concepts vraiment originaux arrivent à percer. Et les modes sont très éphémères !  » Quand j’ai lancé Gamebrewer il y a trois ans, j’expliquais aux actionnaires que la durée de jeu dépassait rarement trois ans, raconte Rudy Seuntjens. Aujourd’hui, l’intérêt pour un nouveau jeu s’étiole déjà au bout de deux semaines. L’engouement est à peine retombé que d’autres jeux font leur apparition. Les vrais fans tiennent à tester tous les nouveaux jeux, sans exception. Leurs armoires débordent de plusieurs centaines de jeux. Même s’il est impossible de jouer et rejouer constamment à tous les jeux. « 

Certains jeux triomphent sur internet. Pie Face, le jeu de la chantilly, a fait un malheur sur YouTube. Bottle Flip, lui a cartonné sur les réseaux sociaux. Résultat, des concepteurs les ont convertis en jeu de plateau.  » Nous avons cru un moment que les jeux informatiques et internet signeraient l’arrêt de mort des jeux de plateau mais c’est exactement le contraire. L’engouement pour ce type de jeu ne devrait pas se tarir de sitôt « , se réjouit Joeri Dehouwer.

Michael boutriaux est passé de passionné à concepteur de jeu de société

J’ai joué comme tout le monde aux jeux de société quand j’étais petit mais, quand je les ai redécouverts adulte, ça a été un coup de foudre. A la maison, notre  » ludothèque  » compte désormais plus de 400 jeux de société, du jeu pour enfants à celui adapté aux daltoniens : il y a des jeux pour toutes les circonstances, pour absolument tous les publics. J’ai d’ailleurs toujours des jeux dans ma voiture, car cela peut se partager avec tout le monde. Cela va du  » jeu d’apéro  » ( » party game « ) qui dure une petite quinzaine de minutes et dans lequel on rigole beaucoup, aux jeux experts, qui nécessitent de la concentration et dont la partie peut s’étendre sur plusieurs heures. Jouer, c’est oublier tout le reste, être centré sur le présent, tout en partageant un moment de convivialité avec les autres joueurs.

Histoire de partager et de diffuser des informations sur le sujet, nous avons lancé un blog,  » Des jeux une fois « , qui détaille l’actualité du secteur du jeu de société. Il existe aussi un agenda en ligne ( » Wanna Play « ) permettant de découvrir très facilement dans sa région des soirées jeux, des bars à jeux, des magasins spécialisés, des ludothèques... A force de jouer, on finit par comprendre les mécaniques récurrentes des jeux et des idées viennent. Nous sommes en train de créer un jeu consacré aux bières belges,  » The Belgian beer Race « . Un travail de longue haleine : le premier prototype a été fait sur papier il y a trois ans et nous sommes toujours en train de peaufiner les règles. Il faut le tester à de très nombreuses reprises avec différents joueurs pour découvrir les choses à retirer ou à rajouter. C’est que, pour fonctionner, un jeu doit avant tout être simple et intuitif : un bon jeu est celui dont on comprend la logique en observant ou en jouant simplement quelques tours. « 

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