© PHOTOS FRANKY VERDICKT

Pierre Kompany :  » Ma vie ne commence pas simplement avec la carrière footballistique de mon fils »

Il est le père du Diable Rouge Vincent. Mais pas seulement... Coup de projecteur sur ce réfugié politique congolais aujourd’hui premier bourgmestre noir de Belgique.

Fils aîné d’une fratrie de onze enfants, Pierre Kompany fuit son pays en 1975 après avoir été emprisonné pendant plus d’un an à la suite de la répression des manifestations étudiantes par le régime de Mobutu. Arrivé en Belgique, il effectue quelques boulots, comme chauffeur de taxi, tout en reprenant ses études d’ingénieur. Un parcours incroyable que le septuagénaire raconte dans un livre autobiographique. Il nous reçoit dans son bureau, à la maison communale de Ganshoren (Bruxelles), pour feuilleter quelques pages de sa vie politique et familiale...

Pourquoi avoir sorti un livre racontant votre histoire ?

Parce qu’il y a eu beaucoup de sollicitations, je crois que je dépasse la centaine d’interviews depuis ma nomination comme bourgmestre en 2018 ! Il y a notamment eu le New York Times et la télévision japonaise ! Donc, fatalement, les éditeurs étaient aussi preneurs. Ce livre permet de réaliser que ma vie ne commence pas simplement avec la carrière footballistique de mon fils Vincent. Elle débute quand je suis enfant... On peut réaliser que je suis né dans un milieu très intéressant, que je n’avais aucune difficulté, que nous avions tout, que nous étions gâtés. J’ai passé une enfance très agréable mais cela s’est compliqué quand je suis devenu adulte, à l’université. Je me suis impliqué dans les luttes pour la condition sociale humaine, ce qui m’a progressivement entraîné vers des problèmes avec le régime congolais...

Que vous a appris votre enfance au Congo ?

J’ai acquis de mon pays, surtout en tant que descendant de chefs de tribus, toute une philosophie de vie ! Parfois, je ne m’énerve pas là où les gens s’énervent ou je suis conciliant. Je vis en Belgique mais j’ai gardé l’âme d’un Africain. Je suis encore beaucoup en contact avec ma famille congolaise et en cas de difficultés, nous nous entraidons.

Quelle fut votre première impression en arrivant en Belgique, en 1975 ?

Il faisait terriblement froid et il y avait plein de neige à Bruxelles ! Mon frère est d’ailleurs venu à l’aéroport avec un manteau, en rigolant, car il savait que beaucoup de Congolais débarquaient à l’aéroport simplement en costume cravate! Mon frère habitait déjà en Belgique ainsi qu’une tante et ses huit enfants. J’avais donc des lieux où m’évader de mes soucis...

Comment s’est passée l’intégration ?

Vous m’entendez, je parle beaucoup, hein ? Donc, très facilement ! (rires) Si j’étais arrivé plus jeune peut-être que j’aurais souffert et que j’aurais eu d’autres réactions. Mais j’avais 28 ans. Il n’y a pas eu de choc culturel car je ne suis pas tombé dans un monde exceptionnellement nouveau. Les Blancs, je ne les ai pas découverts ici en Belgique.

Pierre Kompany :
© PHOTOS FRANKY VERDICKT

Avez-vous été victime de racisme ?

Oui. Peut-être qu’à 16 ans, j’aurais affronté les personnes racistes. Mais à 28 ou 40 ans, l’attitude est différente. Celui qui lance des remarques racistes n’est qu’un idiot. Il pense être le premier mais tu as déjà entendu bien d’autres conneries du genre !

Vous êtes le premier bourgmestre noir de Belgique et on vous a déjà qualifié d’Obama belge...

( Rires) Oui, ce matin encore mon président de parti, Maxime Prévot (cdH), m’a interpellé de la sorte! En rigolant évidemment parce qu’il a suivi tout ce qu’il se dit. On peut comparer, c’est gentil, ça fait plaisir... Mais attention, comparaison n’est pas raison et puis les Etats-Unis, c’est une autre dimension, hein ! Etre le premier bourgmestre noir de Belgique représente, pour moi, une fierté, une forme de reconnaissance. J’ai aussi été élu par des Blancs, à Ganshoren. Je ne l’aurais pas été uniquement avec les voix de la communauté africaine.

Quel projet souhaitez-vous absolument réaliser en tant que bourgmestre ?

Le premier défi était d’arriver à construire un nouveau commissariat : 600.000€ sont déjà budgetisés pour 2020 donc c’est déjà un succès personnel ! Puis d’autres choses pourront se réaliser comme la création de la première école communale de Ganshoren. Par ailleurs, on va notamment aussi mettre en place un terrain multisports qui me tenait à coeur.

A côté de votre engagement politique, il y a le foot ! Vous avez joué dans des clubs africains et belges.

Oui, bientôt il y aura ici, accrochées au mur de mon bureau, des photos de moi quand je jouais pour le club congolais Tout Puissant Mazembe. Comme ça, les gens se diront : « Ah, tiens, il était quand même costaud ! ». (rires)

Vous ne jouez plus au foot ?

Je ne cherche pas un transfert ! Non, non... Je joue avec mes petits-enfants. Je peux les laisser me dribbler. (rires)

Un grand-père comblé de sept petits-enfants...

Oui, l’aînée a 9 ans, c’est la fille de Vincent. Les petits-enfants font perdre la notion des grandes personnes, des convenances. Et en tant que grand-parent, on devient très subjectif : quand l’enfant pleure, on ne pense pas un seul instant que c’est de sa faute mais bien celle des parents qui ont été durs avec lui. (rires) Ce n’est pas très correct mais les parents sont là pour la discipline et les grands-parents pour les gâter.

PIERRE KOMPANY

1947 : Naissance à Bukavu, Congo

1968-1969 : Etudes d’ingénieur civil au Congo

1972 : Footballeur au TP Mazembe

1975 : Fuit le Congo pour la Belgique

1982 : Mariage avec l’Ardennaise Jocelyne Fraselle

1984 : Naissance de sa fille Christel

1986 : Naissance de son fils Vincent

1988 : Diplôme d’ingénieur industriel à l’ISIB

1989 : Naissance de son fils François

2014 : Député cdH au Parlement bruxellois

2018 : Bourgmestre de Ganshoren

C’est vous qui avez transmis le virus du foot à vos fils ?

Oui, j’ai encouragé mes trois enfants à faire du sport mais pas seulement du foot. Mon père jouait déjà au football aussi ! Il y avait des matchs d’un village à l’autre au Congo.

Vous entraîniez-vous avec Vincent?

Je me souviens que je jouais au football avec mes enfants sur un terrain qui se trouvait à l’arrière de l’actuel Westland Shopping d’Anderlecht. Leur maman, Jocelyne (décédée en 2007, ndlr), nous accompagnait. Nous étions des parents très présents. Et nos trois enfants sont toujours proches.

Votre fils François est également footballeur et votre fille, est-elle encore athlète ?

Non, elle court après ses trois enfants maintenant ! Christel est très occupée. Elle préside le club de foot BX Brussels.

C’est quoi d’être le père d’une star de foot ?

Les médias sont là tout le temps ! Chaque semaine, il y a un rapport : tu n’as pas joué, tu as bien joué, tu as perdu une coupe... Ça impose aux parents d’être discrets, d’être attentifs à ceci, à cela, pour éviter que les mauvaises langues disent : « Il a fait ça parce qu’il est le ‘père de' ». J’ai mes qualités propres, une philosophie de vie qui me permet de rester serein.

Pierre Kompany avec Vincent a son arrivée à Anderlecht
Pierre Kompany avec Vincent a son arrivée à Anderlecht© ISABELLE VERLINDEN JARBATH

Que ressentez-vous quand Vincent monte sur le terrain ?

Vous ne me verrez jamais crier dans un stade. Je reste très concentré pendant la rencontre, je suis vraiment avec Vincent, en train d’observer ses mouvements et tout. Je joue aussi le match en quelque sorte! La plupart du temps, je suis dans les tribunes. Sinon, je regarde le match à la télévision, chez moi. Je suis heureux quand il sauve un goal ou très heureux quand il en marque un.

Faites-vous ensuite un débriefing avec lui ?

Non, non, non ! Quand tu es un joueur de haut niveau, normalement, tu ne fais pas de débriefing en famille. (rires) Quand il était enfant, après un match, je ne lui disais pas « Tu as bien fait » mais plutôt « Voilà ce que tu aurais pu faire à un tel moment ». Depuis, il a grandi. Il est responsable maintenant !

Vos pronostics pour l’Euro 2020 ?

La Belgique va gagner ! Oui, oui. Elle doit gagner. Ce sera le plus grand plaisir pour toute la Belgique !

Pas trop inquiet pour Vincent, régulièrement blessé ?

Ce n’est pas un problème. Il se soigne, ça ira. L’événement est énorme!

Pierre Kompany. Du Congo à Ganshoren : Un destin incroyable. Mise en récit par Isabelle Verlinden Jarbath, éditions Luc Pire, 192P., 22,90€.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire