Rencontre avec Frédéric du Bus: “Moins ça va, mieux le caricaturiste se porte”
Alors qu’il publie un album désopilant sur l’actualité de l’année écoulée, le sexagénaire nous croque son parcours, coloré d’évolutions et noirci d’une frustration.
Rire des événements politiques, sportifs, culturels et autres, en les tournant en dérision. Voilà ce que nous propose le trait piquant de Frédéric du Bus de Warnaffe, alias duBus. Entre deux caricatures pour la presse, il nous reçoit à Uccle. Sur sa table de dessin, du papier, des porte-mines, une gomme et des feutres. Autour, des étagères de BD, une vitrine de Schtroumpfs, des boîtes métalliques Tintin et des encadrements d’œuvres de confrères.
D’où vient cette passion pour le dessin?
Enfant, je demandais à ma mère des idées de sujets à dessiner. Un bateau, une ferme… Tous les enfants dessinent sauf que j’ai continué. Pourquoi? Mon père est mort quand j’avais 13 ans, peut-être me suis-je réfugié dans le dessin pour évacuer mes angoisses. Une sorte de thérapie… Puis, je lisais beaucoup de BD et je repassais les traits des Lucky Luke ou Johan et Pirlouit grâce à du papier carbone. En classe, je caricaturais des profs et quand j’étais puni, je devais réaliser deux pages de BD sur le thème «Comment rester silencieux en classe». D’une certaine manière, ce type de punition était une bonne école pour apprendre mon métier. (rires)
Comment êtes-vous passé d’illustrateur jeunesse à caricaturiste de presse?
À la sortie de l’Institut Saint-Luc, section illustration, j’ai fait pas mal d’illustrations pour des revues éducatives comme Tremplin et Dorémi et j’ai illustré une dizaine de livres pour enfants dont Léonie dévore les livres qui a obtenu le prix Québec-Wallonie-Bruxelles de littérature jeunesse. Un jour, l’attaché de presse de Casterman m’a proposé de réaliser quelques caricatures pour l’hebdo satirique Pan auquel il collaborait. Puis Alidor, le plus grand caricaturiste belge, a quitté Pan et j’ai pris la relève jusqu’en 2000, tout en fournissant l’un ou l’autre titre de presse. Et, en 2002, j’ai rejoint le quotidien La Dernière Heure, ensuite Le Soir Mag et La libre Belgique.
Vous comptez 6.000 caricatures en trente-cinq ans. Connaissez-vous l’angoisse de la page blanche ?
Tous les jours! J’écoute la radio, je regarde les journaux télévisés à midi, je lis l’actualité sur internet… J’engrange beaucoup d’infos pour en sélectionner une qui ne sera pas dépassée le lendemain. De la réflexion à l’envoi du dessin, cela peut prendre cinq heures. Le dessin en soi peut être réglé en une heure. Mais parfois, j’ai une idée que je vois passer plusieurs fois sur les réseaux sociaux et, du coup, je dois en chercher une autre. J’ai moins de temps pour prendre du recul par rapport à l’actualité. Aujourd’hui, tout va tellement vite!
Difficile de faire rire avec une actualité plutôt morose?
Non c’est cynique, mais moins ça va, mieux le caricaturiste se porte. C’est amusant d’essayer de trouver un côté rigolo à une actualité négative. Il n’y a pas que les guerres et autres horreurs, je m’amuse de petits couacs, d’absurdités…
Il y a un truc que l’intelligence artificielle n’intègrera jamais, j’espère: l’humour.
Vous autocensurez-vous?
Toutes les cinq secondes ! Car ce n’est pas drôle, pas par crainte d’avoir des problèmes. Je ne me suis, par exemple, jamais interdit de faire un dessin sur le pape car je travaille pour La Libre. Je ne suis pas un dessinateur trash, je ne travaille pas à Charlie Hebdo.
On vous refuse des dessins?
C’est arrivé en septembre, à La Libre. On commémorait la libération de Bruxelles et, le jour même, on annonçait la fermeture d’Audi à Forest. J’ai dessiné l’usine avec les Allemands en fuite et des travailleurs tristes disant: «Oh, les Allemands s’en vont!» Le quotidien m’a dit qu’on ne peut pas assimiler tous les Allemands à des nazis. Il n’y avait ni nazis, ni croix gammée dans mon dessin. Mais bon, globalement, je dispose d’une large liberté d’expression.
Avez-vous le trait prudent ?
En politique, j’essaye d’équilibrer les coups à gauche, à droite, au milieu. Après, il y a des sujets bien plus inflammables comme le Proche-Orient. Vu que je publie mes dessins sur Facebook, je peux lire les commentaires en direct, me faire incendier ou féliciter. On me traite parfois de sioniste ou d’antisémite. Les gens ne commentent plus le dessin mais la situation et ça peu vite partir en sucette. Puis, la société évolue, il faut vivre avec son temps... Par exemple, quand je dessine une foule, j’y mets un Noir et des femmes. Je n’y pensais pas il y a quinze ans. Je m’efforce de renouveler aussi les clichés: si je dessine un couple qui papote en cuisine, je m’arrange pour que l’homme fasse la vaisselle. Quand j’ai commencé, personne n’osait caricaturer le roi. Aujourd’hui, même si je ne l’ai jamais vraiment fait, il est devenu impossible, depuis le mouvement Me Too, de dessiner des grosses blagues sexistes. Et c’est très bien!
Comment voyez-vous l’avenir du dessin de presse?
On va vers la fin du dessin scanné, envoyé et imprimé. Maintenant, tout le monde peut faire de l’humour politique et des blagues sur les réseaux sociaux, prendre une photo et la détourner. Il ne faut plus savoir dessiner. J’ai testé l’intelligence artificielle en lui demandant une caricature d’une personne. Bon, là, on n’y est pas encore! (rires) Il y a un truc que l’intelligence artificielle n’intègrera jamais, j’espère: l’humour. L’avenir est plutôt dans les détournements d’images, dans les mèmes. Le futur de mon métier est donc un peu embrumé... Bientôt, il n’y aura plus de quotidiens en papier mais, sur les sites, ce sera toujours bien d’avoir un dessin: ce clin d’œil génère du clic et se partage plus facilement qu’un article.
Vos sujets favoris pour la caricature?
La politique belge reste un bon petit théâtre de la vanité humaine avec des personnages qu’il n’y a plus qu’à mettre sur scène. Certains sont plus inspirants comme Di Rupo, Bouchez, De Wever, Poutine, Trump… Le Premier ministre De Croo est plus compliqué à caricaturer car il est lisse, sans personnalité très définie pour moi. Une bonne caricature, c’est quand on a compris le personnage.
Frédéric du Bus
– 1963: Naissance à Bruxelles
– 1988: Diplômé en arts plastiques à Saint-Luc
– 1988-2000: Caricaturiste dans Pan
– 1994: Mariage avec Clarisse ; trois fils (26, 24, 21 ans)
– Depuis 2002: Dessine dans La DH
– 2007-2010: Coanime «Votez pour moi» sur Bel RTL
– Depuis 2010: Dessine dans Le Soir Mag
– Depuis 2013: Dessine dans La Libre
– 2013 et 2023: Grand Prix Press Cartoon Belgium
Avez-vous des retours de personnalités égratignées?
Quand j’en croise, exceptionnellement. Le président libéral Georges-Louis Bouchez m’a demandé pourquoi je lui dessinais des yeux enfoncés et cernés. Je lui ai répondu: «Désolé, vous avez une bonne tête de traître, de méchant!». (rires) Des cabinets ministériels me contactent parfois pour acheter un dessin. Puis, j’ai appris que le prince Laurent a plusieurs de mes caricatures de lui dans ses toilettes. Voilà, je suis fournisseur de la Cour!
Que vous procure le dessin?
Dessiner me détend, me fait tout oublier. Un analgésique magnifique en cas de mal de dos. Par ailleurs, tourner l’actualité en dérision aide à évacuer l’angoisse du monde. Je regarde les événements du balcon car prendre du recul permet d’en rire. Mon métier m’offre ce super pouvoir de me moquer des politiques et d’une certaine manière de venger les concitoyens à travers le dessin. Je mets une telle distance face à l’actualité que cela ne m’atteint plus. Voir des poubelles ou des trottinettes renversées quand je sors me touche beaucoup plus. Alors, pour me venger, j’en mets dans mes dessins!
Quel regard portez-vous sur votre carrière?
Je m’en suis plutôt bien tiré. Sans doute aurais-je aimé être un grand peintre pour avoir une œuvre qui dure ou alors avoir inventé un personnage qui me survive. C’est ma grosse frustration… Le problème est que je n’ai aucune imagination. J’ai besoin qu’on me donne un sujet. Si vous me mettez sur une île déserte avec mes feutres et mon papier, je dessinerai un palmier et puis… quoi? Je n’inventerai rien car j’en suis incapable! Quelque 85 % de mes dessins n’ont déjà plus aucun intérêt.
Dur, dur, la soixantaine?
Non, physiquement ça va et mentalement j’ai 30 ans. Dessiner ramène toujours à l’enfance. Je ne me sens pas vieillir dans mon métier. Là où d’autres auraient du mal face à l’arrivée de collègues plus jeunes, ici personne ne me renvoie mon image de vieux, à part un miroir. Je continuerai tant que je pourrai tenir un crayon. Mais qu’on me prévienne si mes dessins deviennent mauvais car je risque de ne pas m’en rendre compte. Sinon, je rendrai mon dernier souffle sur ma table de dessin!
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