Rencontre avec Gérard Jugnot: « Ma passion m’a sauvé de l’ennui »
A l’écran et sur les planches, il a vécu plein de vies. Coup de projecteur sur celle d’un des comédiens français les plus populaires. Une carrière sans clap de fin!
Depuis ses débuts, dans les années 70, avec la troupe de théâtre Le Splendid, Gérard Jugnot peut s’enorgueillir d’une riche filmographie. L’acteur et réalisateur s’est confié sur sa jeunesse, son métier ou encore sa famille, lors d’un passage à Bruxelles en marge de la sortie au cinéma de la comédie » Pourris gâtés « .
Dans ce film, vous campez un riche homme d’affaires qui va donner une leçon à ses enfants pourris gâtés en leur faisant croire qu’il a de gros problèmes avec le fisc et qu’ils vont devoir travailler. Y a-t-il des similitudes avec votre vie?
Tous les parents se préoccupent de mettre leurs enfants à l’abri sans les surprotéger, sans les gâter trop. Sans doute que j’ai un peu pourri gâté Arthur parce que je me suis séparé de sa mère quand il avait 5 ans, donc il y avait de la culpabilité... J’ai vite bien gagné ma vie et mon fils n’a jamais manqué de rien mais j’ai toujours essayé de faire gaffe à ce qu’il me voie faire les courses, cuisiner, m’occuper de choses simples... Puis, il connaissait ses grands-parents et il a vu qu’on ne pétait pas dans la soie.
Il est question de l’absence du père dans ce film...
Mon père n’était pas absent malheureusement! (rires) J’ai eu la chance d’avoir mes parents pendant très longtemps mais j’ai souffert de conflits avec mon père, inquiet de mon choix professionnel car il ne connaissait pas ce métier. Il aurait adoré que je sois ingénieur, notaire ou encore pharmacien. Je l’ai été... dans des films! Il craignait que je termine clochard, je l’ai été dans » Une époque formidable « . Donc, j’ai dû essayer de lui prouver qu’un » artiste » pouvait avoir une vie sociale agréable, bien gagner sa vie et peut-être même mieux que lui.
Et vous, étiez-vous un père absent pour Arthur?
Comme dans notre métier, je dirais intermittent mais présent. S’il m’avait supporté en permanence, je lui aurais cassé les noisettes donc finalement le voir moins souvent le mettait à l’abri de ma maniaquerie, de mes reproches. Là, on vient de jouer au théâtre ensemble – des jolis rôles de père et fils d’ailleurs – et ça m’exaspérait de voir sa loge mal rangée! Je crois que je suis un meilleur père au cinéma que dans la vie. (rires) L’aventure de la paternité est très compliquée... C’est la raison pour laquelle je me suis arrêté assez vite, Arthur était réussi, tout va bien, donc on passe à autre chose! (rires) Mon fils est un super acteur, un super directeur de théâtre, je suis content qu’il ait trouvé sa voie. Cette même passion qui m’a sauvé de l’ennui.
Devant le miroir, je me demande pourquoi ce petit garçon a déjà cette tête de vieillard!
Comment était votre jeunesse?
Simple, un peu triste, terne. C’est pour ça que j’ai foncé, sans regret, dans cette vie aventureuse qui m’a réussi. Je voulais que la vie brille plus que dans ma jeunesse. Attention, je n’ai manqué de rien, j’ai eu de l’affection... Je n’ai rien à reprocher à mes parents. Mais il n’y avait pas beaucoup d’humour, de fantaisie, dans ma famille. Mon père, entrepreneur dans le bâtiment, était dans le travail, dans le sérieux, très terre à terre. Il a passé sa vie à essayer de monter dans l’échelle sociale, en négligeant un peu le côté culturel, joie de vivre, etc. Je dis toujours, en déconnant, mes parents m’ont appris la gourmandise et le cholestérol, j’aurais préféré apprendre Mozart et Molière! Mais je l’ai appris par moi-même et avec d’autres personnes, donc tout va bien.
Votre nom évoque forcément les films cultes comme » Les Bronzés » et le » Père Noël est une ordure « . Est-ce parfois pesant cette étiquette?
Non, on a eu une carrière collective avec mes camarades du Splendid puis j’ai aussi eu une carrière individuelle. J’ai fait suffisamment de films qui ont marqué les gens pour ne pas rester » Star des années 80 « , vous savez comme les mecs qui chantent toujours leurs mêmes chansons. Mais je suis très fier du parcours qu’on a eu ensemble avec ces films. Je croise des mômes qui ont vu » Les Bronzés » alors que leurs parents n’étaient pas nés lors du tournage! C’est assez rare des films de garde comme le vin.
Revoyez-vous vos complices du Splendid?
On se téléphone, puis on s’est retrouvés aux Césars avant de dîner ensemble. On a ri comme des fous, c’était génial! On va essayer de refaire ça. Pas forcément travailler ensemble car c’est difficile de trouver le temps. Notre amitié a plus de cinquante ans, c’est dingue quand on y pense! Même si Thierry Lhermitte, Josiane Balasko, Christian Clavier, Michel Blanc, Marie-Anne Chazel, et moi, nous sommes très différents sur plein de choses, dès qu’une attaque vise l’un de nous, on le défend.
En avez-vous eu assez d’être catégorisé » acteur comique » et » Français moyen « ?
J’ai joué pas mal de rôles sérieux mais j’ai beaucoup de fierté à être un acteur de comédie, mon dada. En revanche, » Français moyen « , ça, ça m’énerve! Cela ne veut pas dire grand-chose puis c’est un peu péjoratif. Moi, je dis toujours le » Français ordinaire « . J’interprète des personnes ordinaires souvent confrontées à une situation extraordinaire. Ca m’a toujours plu et c’est d’ailleurs une mise en abîme de ma vie: quand je me lève le matin, je me trouve normal, simple, je n’ai pas un physique de jeune premier – ou de vieux premier – et pourtant ma vie est extraordinaire puisque j’ai vécu des choses épatantes, j’ai voyagé dans le monde entier, j’ai fait plein de films, j’ai rencontré plein de gens, j’ai vécu de ma passion... Jeune, j’étais un homme passe-partout ; aujourd’hui, je ne passe plus nulle part inaperçu. J’ai fait beaucoup de films sur ce thème de Monsieur Tout-le-monde qui devient Monsieur Quelqu’un.
Aimez-vous revoir vos films?
Parfois, quand ça repasse à la télé j’y jette un oeil. Mais je regarde ces films avec une distance. C’est, en fait, une grande Madeleine de Proust où je pense à l’âge de mon fils lors de tel tournage, au côté heureux ou pas de ma vie à telle époque, au fait que mon père était encore là ou non, etc. Les films représentent pour moi des agendas où je me souviens d’étapes de ma vie. Je me rappelle plus du tournage que du film. Des fois, les gens dans la rue me citent des répliques de films mais, moi, je les ai oubliées... Mon petit-fils (Célestin, 8 ans, ndlr) commence à regarder mes films ; ma femme, plus jeune que moi et qui n’a pas tout vu, en visionne aussi parfois.
Vous avez joué dans plein de comédies. Qu’est-ce qui vous amuse dans la vie?
Les choses incongrues, décalées, le côté vidéo gag... J’ai l’oeil attiré par les conneries comme une personne qui tombe, se cogne, renverse un truc, qui est maladroite. Un type chic avec une crotte de nez ou une femme très classe qui sort du restaurant avec un morceau de papier toilette coincé dans sa jupe, ce sont des situations qui me ramassent de rire! C’est drôle parce que je suis un peu frigide du rire, enfin... disons plutôt que j’ai plus de facilités à essayer de faire rire qu’à rire moi-même.
Gérard Jugnot
- 1951: Naissance à Paris
- 1974: Fondation de la troupe du Splendid
- 1978-1979 : Films « Les Bronzés »
- 1980: Naissance de son fils Arthur
- 1982 : Film « Le père Noël est une ordure »
- 2002: Film « Monsieur Batignole »
- 2004 : Film « Les Choristes »
- 2016 : Epouse Patricia Campi
Comment gérez-vous votre notoriété?
Très simplement. J’ai l’impression que je suis dans un petit village (Suisse et Belgique comprises) de quelque 100 millions d’habitants où tout le monde me connaît et est, globalement, content de me voir. On me sourit, on me remercie et on me dit de continuer. C’est plutôt agréable et mieux qu’un coup de pied au cul!
Vous interprétez souvent des personnages avec une part de fragilité. Quel genre d’homme êtes-vous?
Je crois que je me dévoile plus dans les films que j’écris que dans les films qu’on me propose. J’ai eu la chance de jouer beaucoup de cons donc je ne me suis jamais pris pour ce que je jouais, contrairement à ceux qui jouent des héros! Je ne sais pas qui je suis moi... Oui, j’ai une part de fragilité ou d’inquiétude qui fait que, comme tout le monde, je ne sais pas trop ce que je fais sur Terre. Donc je pratique le carpe diem: je suis à l’affut du plaisir.
Vous venez d’avoir 70 ans. Un cap?
Quand je me regarde dans le miroir, je me demande pourquoi ce petit garçon de 10 ans a déjà cette tête de vieillard! Je tente de garder la forme en faisant notamment du pilates et en me déplaçant à vélo électrique à Paris. J’essaye de ne pas m’encroûter et d’être un persistant. Un persistant, c’est celui qui continue à travailler. Pour moi, la retraite n’existe pas. En terme militaire, la retraite c’est la débâcle donc... il faudrait qu’on m’arrête! (rires)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici